La discussion portant sur l'attitude de de Gaulle durant la guerre d'Algérie ayant précédemment abouti à une impasse, je ne reviendrai pas sur certaines de vos assertions qui me semblent pourtant pour le moins discutables (notamment les "8 millions de musulmans qui n'avaient plus envie de rester français", affirmation plus proche d'un "avis" que d'un "fait", pour reprendre vos termes...).
duc de Raguse a écrit :
Quant à la "cour illégale", je vous demande des précisions !
Tenons nous en donc au droit, et à la légalité de la Cour militaire de justice ayant condamné à mort le lieutenant-colonel Bastien-Thiry. Puisque vous voulez des faits, en voici d'incontestables.
En septembre 1962, André Canal (le Monocle) est condamné à mort par cette même Cour de justice. Il intente alors un recours en annulation contre l'ordonnance du 1er juin 1962 qui instituait cette juridiction d'exception.
Cette ordonnance avait été prise sur le fondement de la loi référendaire du 13 avril 1962 autorisant le président de la République à « arrêter, par voie d'ordonnance ou, selon le cas, de décrets en conseil des ministres, toutes mesures législatives ou réglementaires relatives à l'application des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 ».
Le 19 octobre (l'exécution est prévue pour le 20), le Conseil d'État rend sa décision et annule l'ordonnance attaquée. Voici ce que dit l'arrêt : « il ressort des termes mêmes aussi bien que de l'objet de la disposition législative précitée, que l'organisation et le fonctionnement d'une telle juridiction ne pouvaient légalement porter atteinte aux droits et garanties essentielles de la défense que dans la mesure où, compte tenu des circonstances de l'époque, il était indispensable de le faire pour assurer l'application des décisions gouvernementales du 19 mars 1962 ».
Or, « il ne résulte pas de l'instruction que, eu égard à
l'importance et à la gravité des atteintes que l'ordonnance attaquée apporte aux principes généraux du droit pénal, en ce qui concerne notamment la procédure qui y est prévue et l'exclusion de tout droit de recours, la création d'une telle juridiction d'exception fût nécessitée par l'application des décisions gouvernementales du 19 mars 1962 ».
En conséquence, « l'ordonnance [...] est entachée d'illégalité » et « il y a lieu, par suite, d'en prononcer l'annulation ».
Donc, en octobre 1962, la Cour militaire de justice est déclarée illégale par la plus haute juridiction administrative française, et ce pour des motifs extrêmement graves.
C'est pourtant cette même cour qui a condamné à mort le lieutenant-colonel Bastien-Thiry, sans qu’il ait pu bénéficier d’un recours en cassation. En effet, entre temps, de Gaulle a fait voter par le Parlement (où, depuis les élections de novembre, l'UNR est très largement majoritaire) une disposition selon laquelle les ordonnances prises en vertu de la loi du 13 avril 1962 (dont celle créant la Cour militaire de justice) "ont et conservent force de loi à partir de leur publication".
Or, ce vote est lui-même anticonstitutionnel. En effet, un tel procédé, consistant à faire voter par le Parlement une loi mettant en échec une décision ayant autorité de chose jugée, constitue une atteinte au principe constitutionnel de séparation des pouvoirs. C'est ce qui ressort de nombreuses décisions du Conseil constitutionnel, qui aura l'occasion de résumer sa position par la formule suivante : « il n'appartient ni au législateur, ni au gouvernement de censurer les décisions des juridictions ».
En résumé, la Cour militaire de justice n'est pas à proprement parler illégale mais elle est, ce qui est pire, anticonstitutionnelle.