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Message Publié : 13 Avr 2018 0:41 
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Pierre de L'Estoile
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Harrachi78 a écrit :
Citer :
Attention, dans le cas de l'islam, la notion de religion dépasse celle du christianisme, la charia étant un code de loi qui venait concurrencer les lois françaises. Une pierre d'achoppement souvent citée est la polygamie.


Si l'on considère un point aussi accessoire que la polygamie (pas 3% des familles ne le sont dans les faits) est évoqué pour souligner ce qui sépare un musulman d'un occidental à cette date, on fait mine d'ignorer les repères et les critères de légitimité politique qu'ils tiraient d'univers et d'environnements tout aussi différents, et on croirais que la loi qui régit la vie et la pensée de pays musulmans entier aurait eu un souci pour leur vie matrimoniale mais pas pour leur dicter des règles et des critères d'ordre politique et sur la nature du pouvoir qui doit les régenter.
A l'époque, la polygamie était semble-t-il beaucoup plus répandue. Bien que ce ne soit plus le cas, les législateurs maghrébins n'ont pas encore osé l'abroger. Mais ce n'est que la première des cinq coutumes auquel il faut renoncer pour se faire naturaliser : la polygamie ; le droit de djebr, qui permet à un père musulman de marier son enfant jusqu’à un certain âge ; le droit de rompre le lien conjugal à la discrétion du mari ; la théorie de " l’enfant endormi " qui permet de reconnaître la filiation légitime d’un enfant né plus de dix mois et jusqu’à cinq ans après la dissolution d’un mariage ; enfin le privilège des mâles en matière de succession. La naturalisation impliquait de renoncer à tout cela.
On ignore si les populations étaient prêtes à se battre pour ça : dans les faits, les procédures de naturalisation, étaient souvent contrecarrés par les administrateurs.

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Message Publié : 13 Avr 2018 20:34 
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Jean Froissart
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Peut-on avoir une idée du nombre de morts algériens au combat en 14-18 ?
Pour les veuves de guerre, ont-elles perçu des pensions de veuves de guerre équivalentes à celles des veuves des autres départements français ?
Idem pour les montants de pensions d’invalidité des survivants ?


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Message Publié : 13 Avr 2018 23:08 
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Kurnos a écrit :
Peut-on avoir une idée du nombre de morts algériens au combat en 14-18 ?


Il y a près de chez moi une nécropole militaire qui jouxte le cimetière du Ladhof à Colmar.
Voilà ce qu'elle regroupe :
Citer :
1958 à 1960 : regroupement des corps 1939-40 exhumés dans plusieurs départements français (Vosges, Haut-Rhin, Territoire de Belfort, Moselle et Meuse) ; regroupement de corps de prisonniers de guerre exhumés en Allemagne et en Autriche ; regroupement de corps 1914-18 exhumés de cimetières militaires du Haut-Rhin et du Bas-Rhin (Thann, Munster, Masevaux, Saint-Amarin, Saverne…)


Je dirais qu'environ 1/4 des tombes sont ornées d'un croissant. Mais, je ne sais pas si cela est représentatif

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Une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable.
Appelez-moi Charlie


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Message Publié : 14 Avr 2018 0:37 
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Pierre de L'Estoile
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Localisation : Nanterre
Kurnos a écrit :
Peut-on avoir une idée du nombre de morts algériens au combat en 14-18 ?
Pour les veuves de guerre, ont-elles perçu des pensions de veuves de guerre équivalentes à celles des veuves des autres départements français ?
Idem pour les montants de pensions d’invalidité des survivants ?

Wikipédia indique pour l'armée d'Afrique : près de 300 000 soldats combattre en Europe (190 000 Maghrébins - ailleurs, j'avais lu que les Algériens seuls étaient au nombre de 155000 - et 150 000 Européens juifs et chrétiens) et les unités d’Afrique du Nord participent à toutes les grandes opérations. Les pertes s’élèvent à environ 22 000 morts pour les Européens et 36 000 pour les Maghrébins.

Sur ce site, on lit Ce fut l’honneur de Georges Clemenceau d’avoir, contre l’avis de telles compétences coloniales et des élus français de la colonie, prescrit l’égalité entre les pensions de guerre des coloniaux et celles des Français. Ultérieurement, la Ve République se montrera plus ingratement boutiquière : les pensions des soldats algériens de la guerre de 1914-1918 furent arrêtées à leur taux de 1962 tandis que celles des Français connaissaient des réévaluations régulières.

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Message Publié : 14 Avr 2018 9:33 
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Jean Mabillon
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Pour la question des revalorisations :elles étaient versées pour ceux demeurant en métropole mais pour ceux de l'extérieur, les gouvernements indépendants ne tenaient pas à cette revalorisation, ils avaient fait savoir à la France qu'elle serait confisquée, il me semble, enfin c'est ce que répondait le secrétariat d'état aux anciens combattants


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Message Publié : 14 Avr 2018 13:05 
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Jean Froissart
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Inscription : 26 Août 2008 7:11
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Localisation : Corsica
Nebuchadnezar a écrit :
....prescrit l’égalité entre les pensions de guerre des coloniaux et celles des Français.

Merci je n'avais pas trouvé. Bien heureusement, l’inverse aurait été une tache discriminatoire intolérable indélébile. Une preuve de discrimination.


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 Sujet du message : Re: Nabuchadnezar
Message Publié : 18 Avr 2018 15:31 
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Grégoire de Tours
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... Bon retour Harrachi78, au plaisir de vous lire ...

Le plaisir est partagé ... :-)

... Non, le terme "colonisation" est défini et neutre. Elle peut s'appliquer effectivement à de très nombreuses entreprises humaines au travers de l'histoire ...

Si on démarre d'un Larousse ou d'un Robert, oui. D'un point de vue historique pur et dans le jargon propre à ce domaine la "colonisation" est ce qui a précédé la "décolonisation" et l'un comme l'autre sont applicables à une époque et un contexte bien définis.

... Pour le Moyen Age, cela ne s'applique précisément pas aux Plantagenêt et à la guerre de Cent Ans, car nous sommes dans un conflit dynastique ...

Un conflit entre "Ottomans" et "Hafçides" pourrait tout autant être qualifié de "dynastique", les arguments de "légitimité" des uns et des autres pouvant varier à l'infini.

... En totale, revanche, la conquête de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant est bien une conquête coloniale : il y a remplacement de toute l'aristocratie par des Normands, refonte fiscale totale, et extension de la féodalité. Des changements d'ampleur ...

Et pourtant, je crois savoir que l'origine de la conquête fut justifié par certaines prétentions "dynastiques" de Guillaume sur le trône anglo-saxon. Alors c'est quoi finalement le critère pour que l'on puisse parler de "colonisation" ?!

Pour en revenir à la régence d'Alger : division du territoire en beylicats, extension des frontières avec la conquête de Tlemcen en 1553, réorganisation fiscale avec l'appui des tribus "makhzen" qui vont lever l'impôt auprès des autres, constructions de fortins, les bordj garnis de janissaires pour tenir le territoire : il s'agit bel et bien d'une entreprise coloniale.

C'était pourtant la même configuration, avec les mêmes méthodes et le même contexte qui prėsidaient à la conquête du Maghreb par les Almoravides et Almohades, et encore la même chose avec les guerres d'hégémonie entre les trois dynasties de "diadoques". Le terme et le concepte même de makhzen sont de fondation propre au Maghreb musulman et que ce soit pour le sultan mérinide, zianide, abdelwadid ou pour le dey ou le bey ottoman, l'enjeu et le but était toujours la soumission d'un maximum de tribus par une allégeance bay3a qui, par définition, ne peut se faire que pour un souverain musulman qui va gouverner dans et selon les normes du monde musulman.

Vous pouvez naturellement appeler cela "colonisation" comme d'autres pourrer nommer la chose "impérialisme", d'autres encore pour décrire la chose comme "irrédentisme" califal et on pourrait ainsi passer la soirée a tenter l'invention de termes suceptibles de décrire la chose selon diverses perspectives modernes. Il n'en restera pas moins a la fin de la journée que les concernés n'ont jamais considéré le règne ottoman comme un pendant de la colonisation française, ni de près ni de loin.

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Message Publié : 18 Avr 2018 15:45 
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Grégoire de Tours
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Localisation : Alger, Algerie
Nebuchadnezar a écrit :
A l'époque, la polygamie était semble-t-il beaucoup plus répandue. Bien que ce ne soit plus le cas, les législateurs maghrébins n'ont pas encore osé l'abroger. Mais ce n'est que la première des cinq coutumes auquel il faut renoncer pour se faire naturaliser : la polygamie ; le droit de djebr, qui permet à un père musulman de marier son enfant jusqu’à un certain âge ; le droit de rompre le lien conjugal à la discrétion du mari ; la théorie de " l’enfant endormi " qui permet de reconnaître la filiation légitime d’un enfant né plus de dix mois et jusqu’à cinq ans après la dissolution d’un mariage ; enfin le privilège des mâles en matière de succession. La naturalisation impliquait de renoncer à tout cela.
On ignore si les populations étaient prêtes à se battre pour ça : dans les faits, les procédures de naturalisation, étaient souvent contrecarrés par les administrateurs.

La polygamie a toujours été marginale, non pas que ca soit mal vu, mais simplement par commodité : entretenir plusieurs épouses n'est pas donné à tous, et c'est souvent trop compliqué a gerer pour le commun, hier comme aujourd'hui. D'ailleurs, souvent les actes de mariage d'antan portaient une clause selon laquelle l'épou renonce à prendre une seconde épouse.

Sinon, la naturalisation impliquait ce que vous évoquez et bien plus encore : legislation de l'heritage, statut personnel, coutumes ancestrales et jusqu'a l'idée même de s'affranchir de toute l'autorité et la place de la religion musulmane dans la vie, privée comme publique, du musulman. A l'époque, on avait un nom pour désigner le peu de gens qui osaient accepter l'offre de naturalisation -aussi rare et limitée qu'elle était- : m-tôrni, qui vient du français "tourner" et qui signifie littéralement "tourne-casaque". Aujourd'hui encore, le mot existe dans le parler dialectal algérien pour dire de quelq'un est "zinzin", "détraqué" qui a perdu les boules.

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Message Publié : 19 Avr 2018 16:16 
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Pierre de L'Estoile
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Harrachi78 a écrit :
Si on démarre d'un Larousse ou d'un Robert, oui. D'un point de vue historique pur et dans le jargon propre à ce domaine la "colonisation" est ce qui a précédé la "décolonisation" et l'un comme l'autre sont applicables à une époque et un contexte bien définis.
Non, justement. D'un point de vue historique, on s'intéresse à des phénomènes dont on essaie d'étudier la genèse et de les rapprocher d'autres en dépit de leur dénomination officielle. Sinon, la quasi-totalité de l'histoire des pays extra-européens devient incompréhensible.

Citer :
Et pourtant, je crois savoir que l'origine de la conquête fut justifié par certaines prétentions "dynastiques" de Guillaume sur le trône anglo-saxon. Alors c'est quoi finalement le critère pour que l'on puisse parler de "colonisation" ?!
Par conflit dynastique, il s'est agi d'un royaume dans lequel le le souverain est contesté dans sa propre famille, sans qu'il y ait de véritables implications au niveau du peuple.
En revanche, dans le cas des luttes impérialistes du Maghreb, il y avait bien des modifications des limites des états et modification des systèmes fiscaux. Dans le cadre de la régence d'Alger, il y a même installation d'autres populations : les Janissaires, qui donneront naissance aux Kouloughlis.

Citer :
Vous pouvez naturellement appeler cela "colonisation" comme d'autres pourraient nommer la chose "impérialisme"
Tout-à-fait, l'impérialisme et la colonisation vont souvent de pair. Le seul contre-exemple que je vois, ce sont les peuples qui se déplacent pour mettre en culture des terres vierges.

Citer :
on pourrait ainsi passer la soirée a tenter l'invention de termes susceptibles de décrire la chose selon diverses perspectives modernes. Il n'en restera pas moins a la fin de la journée que les concernés n'ont jamais considéré le règne ottoman comme un pendant de la colonisation française, ni de près ni de loin.
Auriez-vous des sources sur le point de vue des intéressés ?
Parce que force est de constater que les Berbères ont opposé une forte résistance aux Ottomans : les royaumes de Koukou et des Beni-Abbes ont longtemps préservé leur indépendance, tout comme les Berbères résisteront également farouchement aux Français.

Harrachi78 a écrit :
Sinon, la naturalisation impliquait ce que vous évoquez et bien plus encore : legislation de l'heritage, statut personnel, coutumes ancestrales et jusqu'a l'idée même de s'affranchir de toute l'autorité et la place de la religion musulmane dans la vie, privée comme publique, du musulman. A l'époque, on avait un nom pour désigner le peu de gens qui osaient accepter l'offre de naturalisation -aussi rare et limitée qu'elle était- : m-tôrni, qui vient du français "tourner" et qui signifie littéralement "tourne-casaque". Aujourd'hui encore, le mot existe dans le parler dialectal algérien pour dire de quelq'un est "zinzin", "détraqué" qui a perdu les boules.
Intéressant. La notion de s'affranchir de la place de la religion musulmane dans la vie... ne figure évidemment pas dans les textes français, mais ce devait être bien ainsi que les intéressés la percevaient. Auriez-vous des sources ?
De mon côté, j'ai lu sur Gallica les rapports et articles de journaux relatifs au projet de loi Blum-Violette. Les partisans dénoncent le fait que les opposants reprochent systématiquement aux Arabes de vivre en polygamie (un cliché facile) tandis que l'administration coloniale décourage systématiquement les candidats à la naturalisation qui affirment être en règle.

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Message Publié : 19 Avr 2018 20:25 
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Pierre de L'Estoile
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Harrachi78 a écrit :
Sinon, la naturalisation impliquait ce que vous évoquez et bien plus encore : legislation de l'heritage, statut personnel, coutumes ancestrales et jusqu'a l'idée même de s'affranchir de toute l'autorité et la place de la religion musulmane dans la vie, privée comme publique, du musulman. A l'époque, on avait un nom pour désigner le peu de gens qui osaient accepter l'offre de naturalisation -aussi rare et limitée qu'elle était- : m-tôrni, qui vient du français "tourner" et qui signifie littéralement "tourne-casaque". Aujourd'hui encore, le mot existe dans le parler dialectal algérien pour dire de quelq'un est "zinzin", "détraqué" qui a perdu les boules.
La loi du 20 septembre 1947 accordait la citoyenneté française aux musulmans sans qu'ils aient besoin d'abandonner leur statut personnel. Ils pouvaient opter pour le statut de droit commun ce que très peu ont fait. Dès lors les Musulmans jouissaient de tous les droits attachés à la citoyenneté et avaient accès à tous les emplois publics. Toutefois ils restaient sous-représentés lors des scrutins du fait du système des deux collèges. Ce système des deux collèges a été abrogé en 1958.


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Message Publié : 20 Avr 2018 9:18 
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Grégoire de Tours
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... on s'intéresse à des phénomènes dont on essaie d'étudier la genèse et de les rapprocher d'autres en dépit de leur dénomination officielle. Sinon, la quasi-totalité de l'histoire des pays extra-européens devient incompréhensible ...

Pour un européen peut-être, pour les concernés, les événements du passé se dėcryptent tout aussi bien, sur d'autres bases et selon une autre grille de lecture. Dans le cas prėcis qui nous intéresse dans ce topic, il s'agit de comparer deux faits ("colonisation française" et "domination ottomane" en Algérie) vėcus par une seule communauté humaine (algériens musulmans). Faire cela en faisant appelle à une conception toute européenne du monde et faire totalement fi de comment les concernės pouvaient eux-mêmes voire leur chose relève a mon sens d'une totale gageur, surtout que par les concernés on n'entends pas une communauté humaine disparue ... lol

... dans le cas des luttes impérialistes du Maghreb, il y avait bien des modifications des limites des états et modification des systèmes fiscaux ...

Exemple concret de ce qui a été dit plus haut : les luttes entre dynasties et empires au Maghreb s'inscrivent dans le cadre et contexte (politique et culturel) du monde musulman "classique". J'ignore donc ce que vous entendez par "système fiscal", mais je n'ai jamais eu vent d'un tel critère dans la définition d'une légitimité politique ou comme ligne de partage entre deux époques : tous les souverains et Etats maghrébins ont gouverné le territoire sous leur contrôle de la même manière : un groupe prend le pouvoir et impose ses règles à tous les autres dans le cadre du gouvernement musulman classique. Dans le cas du Maghreb, la collecte de l'impôt fut quasi identique dans sa forme et son fond jusqu'en 1830 : une mahalla armée et comlandée par un grand dignitaire du régime sillone le pays à période fixe et selon un itinéraire convenu, rėcoltant en chemin les fonds imposés et receuillant en même temps la bay3a renouvelée pour le souverain en place. Sur son chemin, il y aura des tribus dites makhzen (alliées du régime et son support dans la région) dispensées, des tribus dites ra3iyya (sujettes) dont les unes vont payer pour avoir la paix et d'autres refuser ou se soustraire lorsqu'il y a moyen pour entrer ainsi en rébellion et faire de leur région un espace hors-la-loi (bilâd sîba). Que le type, le nombre et le poids des impôts varie d'une époque à une autre cela se peut bien entendu, mais le mode de collecte en lui-même et la perception qu'en avaient les contribuables n'a jamais varié car, au final, le seul "système fiscal" qui pouvait avoir un tel titre dans cet univers était celui de la zakât-jizya-kharrâj, c'est-à-dire le classique islamique. Tout autre impôt était vu comme illégitime, superflu ou facultatif par les concernés et son paiement dépendait au final de la relation avec le régime et en même temps de la capacité du régime à imposer sa loi par la force.

... Dans le cadre de la régence d'Alger, il y a même installation d'autres populations : les Janissaires, qui donneront naissance aux Kouloughlis ...


Que dire donc du cas des Mamelouks en Égypte ayyubide puis mamelouke ?! Là encore, c'est sous le prisme de l'univers mental musulman et maghrébin (de l'époque) qu'il faut regarder la chose et non selon une grille de lecture européenne : les Kouloughlis, enfants du pays d'ailleurs, n'étaient pas plus "colons" que les andalousiens, les biskris ou les zwâwi (kabyles) qui formaient des communutés à Alger, pas plus non plus que les juifs venus de toutes parts (alors qu'ils ne sont pas musulmans soit dit en passant) ou les innombrables affranchis et convertis (dis "renégats" selon la terminologie d'un autre univers) qui font souche car cette "segmentarité" si je puis dire était ordinaire et naturelle dans toute grande ville musulmane d'alors. La situation décrite était d'ailleurs propre au monde citadin. Dans le pays rural et nomafe, c'est une segmentarité tribale qui régit les sociétés et, là encore, le régime ottoman d'Alger gérait sa chose comme n'importe que autre des pouvoirs maghrébins qui l'ont précédés.

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Message Publié : 20 Avr 2018 11:35 
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Grégoire de Tours
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Localisation : Alger, Algerie
... Parce que force est de constater que les Berbères ont opposé une forte résistance aux Ottomans : les royaumes de Koukou et des Beni-Abbes ont longtemps préservé leur indépendance, tout comme les Berbères résisteront également farouchement aux Français ...

Pour la période indiquée vous parlez plutôt de Kabyles (on disait Zwâwa en ce temps). Il n'y eut pas plus de résistance qu'ailleurs puisque le nouveau régime, une fois constitué à Alger, comptait autant de tribus alliées (makhzen) qu'ailleurs. Le fait est que, considérant la géographie de la région et la densité plutôt marquée de la population, le régime avait moins de facilité pour imposer sa volonté dans la zone et les tribus de la zone avaient plus de moyens/possibilités de se soustraire au pouvoir coercitif du régime. Le résultat fut une relation tout aussi classique entre un Etat musulman prémoderne et une communauté difficilement controlable : composer. On pourrait parler de la même situation entre les sultans Zianides et les tribus hilaliennes du Sud oranais en leur temps, et ce fut longtemps le même état de faits entre le régime Almoravide à Marrakech et les tribus Masmôda dans l'Atlas avoisinant ... etc. Par-contre, avant même de résister aux français sur leur territoire, ce fut directement dans la plaine et aux portes même d'Alger que les grands chefs de tribus kabyles (pensez à Ben-Zamoun par exemple) ont mené des opérations au tout début de l'invasion (al-ghazw al-faranssî est le terme usuel ici pour nommer les guerres de conquête françaises en Algérie) c'est car il s'agissait alors d'une affaire de Jihâd contre l'infidèle et non plus de lutte tribale ou contre le régime (musulman) en place, ce pourquoi aussi la situation va perdurer même après l'installation définitive des français à Alger.

... Intéressant. La notion de s'affranchir de la place de la religion musulmane dans la vie... ne figure évidemment pas dans les textes français, mais ce devait être bien ainsi que les intéressés la percevaient ...

Exactement. Les français de 1830 et d'après étaient naturellement mus par leurs propres principes qu'ils tiraient de leur propre histoire et de leur propre univers culturel et mental. Combattre l'Islam ou la religion en tant que soit ne pouvait s'inscrire dans les textes officiels ni s'afficher dans le discours formel des autorités, comme bien même ca pouvait s'inscrire dans l'arrière-pensée de certains cercles ou de certains auteurs pour diverses raisons internes au contexte français et qui peuvent même être opposés (anticléricaux, conservateurs catholiques ... etc.). Mais rien de tel ne pouvait être perçu par un algérien de 1830 ni même d'après car, pour lui la chose pouvait se résumer au fait -carrément cataclysmique et humiliant pour lui- que son pays musulman est tombé sous le pouvoir des maudits chétiens (nssâra), et toute tentative de changer son "way of life" sera perçue comme une tentative de détruire l'Islam car c'était cela le marqueur identitaire majeur en ce temps. Les réactions étaient donc les mêmes pour tout ce qui était entrepris par l'administration coloniale : que ce soit pour un vaccin où pour l'établissement d'un registre d'Etat-civil, tout était louche ; alors de là se voir inviter à devenir "français" c'est que le monde était devenu fou à leurs yeux ... lol

... Auriez-vous des sources ? ...

Je dirais que Le Maghreb à l'Epreuve de la Colonisation de Daniel Rivet pourrait une excellente synthèse sur le sujet, assez complet sans être hyper lourd à digérer pour qui aimerait juste survoler le sujet. Pour le cas algérien de manière plus précise, je crois que L'Algérie des Passions de Pierre Darmon pourrait faire l'affaire et il est très attachant dans le sens où il livre parfois des pans de la vie locale dans les "deux Algéries" de l'époque. Sinon, pour un panorama plus large, plus varié et plus concis et plus centré sur les événements, je crois que L'Histoire de l'Algérie à la période Coloniale peut éclairer peut faire l'affaire, quitte à aller plus profond par la suite sur le thème qui intersesse. Sur le thème précis de la société algéroise de l'époque otyomane, je crois que l'un des rares ouvrages dédié au sujet à ce jour est La Famille à Alger au 17e et 18e siècles de Fatiha Loualiche et il s'agit surtout d'une exploitation de documents d'archive de l'époque.

... De mon côté, j'ai lu sur Gallica les rapports et articles de journaux relatifs au projet de loi Blum-Violette. Les partisans dénoncent le fait que les opposants reprochent systématiquement aux Arabes de vivre en polygamie (un cliché facile) tandis que l'administration coloniale décourage systématiquement les candidats à la naturalisation qui affirment être en règle ...

Concernant le cliché en lui-même ca peut se comprendre assez facilement : nos sociétés musulmanes ne connaissent pas du tout la perception augustinéenne négative et culpabilisante sur le sexe qui prévaut dans la mentalité et les traditions européennes. On assimile donc polygamie à volupté, harem et on considère avec dégoût (conformément aux reperes culturel et à l'univers mental des concernés) la chose qui est ainsi mise en avant pour caractériser l'autre, le barbare, l'etranger absolu. Si ca peut rassurer, les algériens avaient eux ausdi leurs propres clichés sur les Rûmi et ainsi de suite. Dans un sens, ceux parmi les Européens qui consideraient la masse des algériens comme inassimilables avaient raison, ou en tout cas leur jugement collait avec l'idées que le commun des algériens se faisaient d'eux-mêmes, même si les raisons et la lecture que se faisaient les uns sur les autres n'avait rien de commun !

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Message Publié : 20 Avr 2018 14:50 
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Barbetorte a écrit :
La loi du 20 septembre 1947 accordait la citoyenneté française aux musulmans sans qu'ils aient besoin d'abandonner leur statut personnel. Ils pouvaient opter pour le statut de droit commun ce que très peu ont fait. Dès lors les Musulmans jouissaient de tous les droits attachés à la citoyenneté et avaient accès à tous les emplois publics. Toutefois ils restaient sous-représentés lors des scrutins du fait du système des deux collèges. Ce système des deux collèges a été abrogé en 1958.

Voyez-vous, 1947 est plus proche de nous aujourd'hui qui ne l'était des algériens vivant en 1830 et, il va sans dire, les gens et leur société en Algérie ne sont pas demeurés sans changement entre 1830 et 1947, pas plus que le monde autour d'eux : ils ont évolué autant qu'avait évolué l'attitude de l'administration coloniale à leur ėgard par la force des événements, mais à un rythme bien plus élevé et vers un sens totalement différent.

Concrètement, que s'est-il passé entre temps ? Et bien un sentiment national de type moderne est né, appuyé au départ sur cette sorte de "patriotisme musulman" originel et rapidement arrimé au mouvement de Renaissance arabe (Nahda) apparu en Orient, il sera aussi, contexte colonial local oblige, totalement influencé par les formes, les normes et les idées du nationalisme français. Donc, si l'idée de voir les habitants musulmans de l'Algérie se faire français en 1870 passait pour une folie chez les concernés, la chose relevait plutôt de l'insulte à leurs yeux en 1947.

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Message Publié : 20 Avr 2018 21:51 
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Harrachi78 a écrit :
Voyez-vous, 1947 est plus proche de nous aujourd'hui qui ne l'était des algériens vivant en 1830
Mais je vois très bien et je sais compter.

Harrachi78 a écrit :
Concrètement, que s'est-il passé entre temps ? Et bien un sentiment national de type moderne est né, appuyé au départ sur cette sorte de "patriotisme musulman" originel et rapidement arrimé au mouvement de Renaissance arabe (Nahda) apparu en Orient, il sera aussi, contexte colonial local oblige, totalement influencé par les formes, les normes et les idées du nationalisme français. Donc, si l'idée de voir les habitants musulmans de l'Algérie se faire français en 1870 passait pour une folie chez les concernés, la chose relevait plutôt de l'insulte à leurs yeux en 1947.
Ce qu'il s'est surtout passé, c'est que tout a été fait depuis le début pour que les choses finissent mal. Si la colonisation avait pris la forme qu'avaient souhaitée à la fois Abd-el-Kader et Napoléon III, l'indépendance aurait probablement fini par arriver mais certainement de façon moins conflictuelle.


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Message Publié : 20 Avr 2018 22:02 
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Grégoire de Tours
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Ma foi, vu sous cet angle, je dirais que si il n'y eut pas de tentative de colonisation tout court nous n'aurons pas à méditer pourquoi la greffe à échoué ...

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