En voici un copié/collé
Citer :
Lettre de Prague
Cette lettre est un document. Ecrite par une Pragoise, membre du parti communiste tchécoslovaque, et adressée à des amis français, elle révèle au-delà des faits, connus maintenant de tous, les bouleversements et les angoisses ressentis par une patriote et une militante sincère.
En dépit du retard avec lequel il est parvenu jusqu’à nous, nous avons tenu à présenter des extraits de ce témoignage à nos lecteurs.
Mes chers amis,
En cette cinquième nuit d’occupation, moi, optimiste éternelle, j’espère trouver le moyen pour vous passer cette lettre.
J’écoute du matin au soir la radio ; avec beaucoup de difficultés, parce que les stations sont de plus en plus interrompues. Je les écoute pour savoir comment le monde est informé de la vérité chez nous. Or, ce n’est pas assez et, avant tout, ce n’est pas juste. JE VOUS PRIE TOUS DE DIRE LA VERITE TELLE QU’ELLE EST, ET TELLE QUE J’ESSAIERAI DE VOUS LA DECRIRE.
Dans cette nuit du 20 au 21 août, j’ai été réveillée par un bruit énorme d’autos et d’avions. J’ai pensé : quand même, le processus de démocratisation devrait avoir certaines limites et ne pas réveiller les gens à 2 heures du matin. Décidé de porter plainte au Comité local des citoyens, j’ai fermé la fenêtre et me suis rendormie. A 6 heures, ce 21 août, la cloche de ma porte sonnait comme folle, je suis allée ouvrir et, mon ami, le capitaine M… se précipite dans l’appartement, les yeux en larmes, en criant : « Tu sais que nous sommes occupés ! ». A vrai dire, je croyais qu’il s’agissait d’une plaisanterie. Je cours à la fenêtre et, dans ma rue, je vois des tanks, des blindés soviétiques, qui roulaient l’un après l’autre, la bouche des canons ouverte, et les soldats qui, assis sur ces blindés, levaient les fusils automatiques vers nos fenêtres. Vous me connaissez tous ; vous savez tous que j’ai déjà participé à la résistance, dans un groupe de la jeunesse communiste. Le 15 mars 1939, j’ai vu les blindés nazis passer la frontière. Or, moi, une femme certainement assez polie, j’ai commencé à dire des injures, comme un marin, sans réfléchir à mes paroles.
« Que diras-tu à ta mère ? »
Une heure après, la bataille a commencé autour de l’immeuble de la radio. Vous savez bien où j’habite ; mon fils, réveillé par ce vacarme, me demande, au moment précis où je l’informe que sous sommes envahis : « Ce sont les Allemands de l’Ouest ? » Et moi, je dois répondre : « NON, CE SONT NOS FRERES ALLIES. » Nous sommes demeurés à plat ventre dans notre appartement pendant une heure car, dès son commencement, le tir était féroce. Nous sommes partis au travail vers 9 heures. Devant l’immeuble de la radio, nous avons discuté avec de jeunes soldats russes qui, entourés par les Tchèques, nous regardaient, très étonnés. Après notre départ, la bataille a recommencé. Nous avons vécu ainsi pendant quatre jours et cinq nuits. Les Soviétiques tirent sur la population pour des raisons inconnues, et dans des lieux inattendus. Les hélicoptères volent au-dessus de nos têtes pour le contrôle des quartiers. De 22 heures à 9 heures du matin, nous ne devons pas sortir. Malgré ces conditions, nous continuons à travailler ; nous travaillons et nous rentrons à la maison.
Nos seules armes sont les tracts et les inscriptions sur les façades des immeubles. Pour égarer l’occupant, nos maisons sont sans numéros, nos rues ont perdu leur nom, la disparition des plans des villes, des panneaux d’orientation et de signalisation gênent considérablement les troupes d’intervention dans leur progression. Seules restent deux affiches : Moscou, 1.800 km ; Berlin, 300 km. Une unité et une fraternité exceptionnelles règnent au sein de la population. La statue de Vencelas porte comme symbole de la résistance un drapeau tchécoslovaque et est recouverte d’affiches sur lesquelles on peut lire en russe : « Que diras-tu à ta mère ? Diras-tu que chez nous, en Tchécoslovaquie, il y a des morts ? » « Soldats soviétiques, rentrez chez vous ! »
L’histoire n’a pas encore connu une occupation aussi idiote, et une résistance aussi unie. Sous prétexte de nous aider, cinq Etats « frères » nous envahissent, certainement mal informés en plus. Ils n’ont pas trouvé de personnalités politiques pour former un gouvernement. Eux, des étrangers, arrêtent notre premier secrétaire, Alexander Dubcek, notre chef du gouvernement, Cernik, notre président de l’assemblée nationale, Smrkovsky, notre président du Front national. Les troupes occupent immédiatement les bâtiments du Parti communiste, les ministères. Svoboda, notre président de la République, est prisonnier au château.
Un jour, quand même…
Nos postes émetteurs ne sont pas illégaux, comme le déclarent les radios étrangères. Ce sont nos émissions légales qui, à cause de l’agression, ont dû passer en clandestinité. Le congrès extraordinaire de notre parti n’est pas illégal ; ce sont « nos frères » qui ont contraint les autorités légales, le président, le gouvernement, le Parlement, les journaux à agir en clandestinité. Ils ont également forcé le Parti communiste à travailler en clandestinité dans un Etat souverain et allié. Et nous travaillons ! Les journaux sortent, bien que les services de rédaction et les imprimeries soient occupés. La radio fonctionne : onze postes émetteurs de onze régions tchèques et slovaques diffusent sans arrêt, jour et nuit. Comment ? On vous le dira plus tard. Mais le rôle de cette radio est primordial, c’est notre seul moyen de liaison directe. La vie culturelle est complètement arrêtée ; les cinémas et théâtres ne jouent pas… (Zut ! On tire de nouveau, devant notre maison… Il est minuit !) En quelques jours, Prague est devenue une ville en état de siège !
Nous ne savons rien ; nous ne connaissons rien ; nous ne connaissons personne, lorsque les troupes d’intervention nous interrogent. Après des discussions, hélas vaines, maintenant, nous avons décidé d’ignorer nos occupants : « Le cirque soviétique de nouveau à Prague… Ne pas les nourrir, pas d’eau pour l’occupant ! Ne pas les provoquer », dit un tract.
Durant la nuit du 25 au 26 août, on a tiré de nouveau dans notre rue. Hier, ils ont tiré sur une voiture de secours, et ont tué un motocycliste. Cela continue, et c’est de plus en plus dur.
Pensez à nous, aidez-nous en disant et diffusant la vérité ! Le courrier et les communications téléphoniques sont bloqués. Essayez, s’il vous plaît, de m’envoyer une carte postale innocente pour que je sache que vous avez bien reçu ma lettre. Tout est contrôlé, bien sûr ! Mais un jour, quand même, ce jeu devra avoir certaines règles. Pour le moment, il n’y en a pas, donc personne n’est sûr de rien.