Je reviens de Budapest. Ville monumentale, assez écrasante, très différente de Prague, ma précédente incursion à l'est, et où des restaurations ponctuelles (le parlement, le palais Budavari) cachent mal le délabrement assez général des bâtiments.
Mais ce qui m’a le plus marqué, d’où ce post en Histoire récente, est la visite, au 60 Andrassy Ut, de ce que les Hongrois ont baptisé « Terror Haza », (la maison de la terreur). C’est aujourd’hui un musée, mais ce fut le QG, en 1944-1945, des nazis hongrois, les « Croix fléchées » (voir ci-dessous leur symbole); c’était alors, comme le déclarait leur chef, Ferenc Szalasi, la « maison de la loyauté »… Puis, de 1945 à 1956, les polices politiques communistes, successivement le PRO (Département de la police politique, l’AVO ( Bureau de la Sécurité d’Etat) puis l’AVH, y établirent leur siège. Autant dire que l’endroit porte aujourd’hui bien son nom. En 1956, la terreur changea d’adresse, mais pas de méthode.
Le cheminement de la visite elle-même est conçu comme une métaphore de l’expression « plongée dans l’horreur » : elle commence au 2ème étage, se poursuit au 1er, où l’on traverse les bureaux reconstitués de ces polices, et une exposition d’objets, uniformes, affiches, automobile leur ayant appartenu, une évocation des goulags, une autre de la résistance, notamment religieuse, avec une grande place fait au cardinal Mindszenty, ou encore de la révolte de 1956 et de sa répression. On y apprend en particulier que l’épuration de 1945 ne fut pas complète, les soviétiques ayant trouvé utile les « connaissances approfondies » de certains nazis hongrois reconvertis illico dans l’AVO ; de même, après 1989-1991, certains fonctionnaires de la police politique poursuivirent tranquillement leur carrière…
Malheureusement, les photos ne sont pas autorisées j’en ai cependant volées quelques-unes sans flash (voir à la fin); mais
le site du musée est assez bien fait pour approfondir.
La visite prend sa véritable dimension lorsqu’ un ascenseur nous descend lentement dans le sous-sol ; l’AVO/ AVH qui occupait partiellement l’immeuble l’a progressivement annexé en totalité, puis a relié ensemble les caves du bloc d’habitation, qui est ainsi devenu un véritable labyrinthe : cellules (les unes de taille normale, d’autres très spéciales (plafond de 70 cm, noir total, surface de 40×40cm), salles d’interrogatoire, de torture, où le piège du sensationnel est absolument évité (pas de mannequins, pas de spectaculaire, mais une simple chaise isolée face à une table sur laquelle est posé du matériel électrique hors d’âge…), salle d’exécution enfin, au milieu de laquelle se dresse une poutre munie d’un nœud coulant, la mort étant donnée par garrot. Juste avant la sortie, la dernière salle semble violemment illuminée après la pénombre : y est présenté un petit film montrant l’armée russe quittant la Hongrie… On peut enfin remonter les escaliers et sortir, mais le malaise persiste : là, plantés sur le trottoir du 60 Andrassy Ut, une des artères les plus passantes de Budapest, grouillante de vie sous le soleil, comme elle a dû aussi l'être lors de ces années noires, et aujourd'hui sous le regard muet des victimes, nous cherchons vainement le soupirail aperçu dans les bas-fonds du bâtiment, le seul qui apportait la lueur du dehors…
Sur la façade du 60 Andrassy Ut s’aligne une longue théorie de portraits des victimes de l’AVH :
Dans le hall, un char soviétique de l’intervention de 1956 au milieu d’un mur de photographies de victimes :
On parle souvent du parti unique et du système de vote, mais voir un bureau de vote hongrois des années 50 permet de bien visualiser la réalité ; un peu flou, veuillez m’en excuser, mais le gardien rôdait pas loin… du rouge, encore du rouge, et sous la surveillance symbolique de Lénine, Staline, et du dirigeant hongrois de service, et bien réelle de 3 assesseurs sur une estrade, comment ne pas voter comme il faut ?
Le symbole des nazis hongrois, dont la parenté nazie se passe de commentaire: