L'avis de Jacques Delors sur la question :
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/europe_828/evenements_13497/jacques-delors-chute-du-mur-un-defi-incroyable-22.10.09_77271.htmlCiter :
En 1989, vous étiez président de la commission européenne. Avez-vous pressenti la chute du mur de Berlin, et comment l’avez-vous vécue ?
Ce fut un choc émotionnel et politique. Je suivais avec beaucoup d’attention les évènements dans les pays de l’Est puisque au sommet du G7 de Paris, en juillet 1989, alors que la situation avait déjà radicalement évolué en Pologne et en Hongrie, on avait confié à la commission européenne le soin de coordonner les aides à ces deux pays. Ensuite, il y avait eu des évènements assez sérieux, notamment lorsque des Allemands de l’Est qui passaient leurs vacances en Hongrie ont voulu franchir la frontière pour aller en Autriche puis en Allemagne, et que Gorbatchev a demandé aux autorités hongroises de les laisser passer. Il y avait aussi eu des manifestations à Leipzig. Nous étions donc anxieux, mais de là à prédire la chute du mur ce jour-là, non. Le 12 novembre au soir, j’ai donné une interview à la télévision allemande. On m’a demandé si j’avais de l’angoisse. J’ai répondu « Ich habe keine Angst » et je leur ai dit que les Allemands de l’Est faisaient partie de l’Europe. Ça n’a pas plu à tout le monde, mais je l’ai dit.
Comment avez-vous agi par la suite ?
Nous avons essayé de suivre les évènements qui étaient entre les mains des chefs d’État, qui se sont réunis le 18 novembre pour en parler dans une réunion exceptionnelle à l’Elysée. Je suivais les évènements qui se déroulaient sur deux fronts. En RDA, il y allait y avoir des élections. Elles allaient manifester l’enthousiasme des Allemands de l’Est pour l’unification. Il y avait de l’autre côté des discussions entre les quatre vainqueurs de la guerre et les deux Allemagne, qui allaient aboutir à un accord, les Allemands acceptant de reconnaître l’intangibilité de la frontière Oder-Neisse. Avec ces évènements, en trois mois, on est passé de l’idée de confédération entre les deux Allemagne à celle d’unification. J’ai demandé qu’on réunisse un conseil européen exceptionnel et en avril 1990, à Dublin, les douze pays membres de l’union ont soutenu l’unification de l’Allemagne. Après cela, il s’agissait pour nous de mettre en forme l’aide aux Länder de l’Allemagne de l’Est.
La réunification de l’Allemagne s’est faite très vite. Ce scénario, avec l’Allemagne qui redevenait une super-puissance, ne vous inquiétait pas à l’époque ?
Non. La force et la rapidité des évènements commandaient. Les autres chefs d’État ont été bousculés par ces évènements, mais ce n’est pas péjoratif de ma part. Certains d’entre eux avaient des souvenirs des cinquante dernières années, par conséquent on comprend qu’ils aient pu réfléchir et demander des garanties, principalement sur la frontière Oder-Neisse. On peut dire avec le recul, parce qu’on critique beaucoup la construction européenne, qu’elle a répondu vite et positivement à un défi incroyable.
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La réaction de François Mitterrand par rapport à la réunification allemande a été ambiguë et critiquée à l’époque. Est-ce qu’on peut dire que la relation franco-allemande en a souffert ?
Sa réaction a été décrite en des termes injustes. Comme Margaret Thatcher pour la Grande-Bretagne, il se demandait si le rapport de force serait toujours le même en Europe, si la construction européenne pouvait continuer. Mais tout cela a été critiqué d’une manière excessive. Ensuite, le couple franco-allemand a bien fonctionné pendant la période Kohl-Mitterrand. La preuve, c’est qu’en 1991, lorsque la tragédie yougoslave a commencé, l’Allemagne était plutôt, du point de vue historique, culturel, émotionnel, du côté de la Croatie et de la Slovénie, et la France du côté de la Serbie. Ils ont mis de côté cette divergence, qui aurait pu être grave, pour réaliser le traité de Maastricht et l’euro. Et le couple a bien fonctionné jusqu’en fin 1995.
Une question d’un internaute : est-ce qu’il a été clairement établi entre le chancelier Kohl et Mitterrand que l’euro serait la contrepartie de la réunification allemande ?
Non. Mais vous voyez la situation de l’époque. Le chancelier Kohl se sentait un devoir vis-à-vis de ses collègues européens, qui rapidement avaient consenti et appuyé l’unification allemande. Ce n’était pas facile pour lui de faire l’euro parce que le Deutschmark, c’était le symbole de la nouvelle Allemagne. La majorité des Allemands étaient réticents. Il a pensé qu’il devait faire cet effort.