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Colonel Antoine Argoud, un des dirigeants de l'OAS
LE MONDE | 12.06.04 • MIS A JOUR LE 14.06.04 | 08h04
Adversaire de toujours du général de Gaulle.
Le colonel Antoine Argoud, opposant à l'indépendance de l'Algérie, est mort, jeudi 10 juin, à Vittel (Vosges). Il était âgé de 89 ans. Avec cet officier issu d'une famille de paysans lorrains, pianiste à ses heures et passionné de graphologie, disparaît également l'un des tout derniers dirigeants de l'Organisation de l'armée secrète (OAS) qui combattit par les armes et par les attentats la politique de désengagement du général de Gaulle.
Né le 26 juin 1914 à Darney (Vosges), Antoine Argoud appartient à la promotion de 1934 de l'Ecole polytechnique, d'où il sort dans l'arme blindée-cavalerie (ABC). Le désastre subi par l'armée française, en juin 1940, le surprend à Rabat, au Maroc - alors protectorat français. Argoud dira avoir trouvé l'effondrement des armées françaises devant la Wehrmacht "inexplicable". Mais, après avoir hésité, le jeune lieutenant finit par refuser de rejoindre la France libre pour poursuivre le combat derrière l'homme du 18 juin, futur objet d'une haine de longue durée.
Si la discipline est évoquée pour expliquer ce choix, l'adhésion d'Argoud à la politique menée par Vichy - dont il estime que le chef, le maréchal Pétain, sert bien de "bouclier" à la France envahie - joue aussi son rôle. C'est ce qu'il confie dans ses Mémoires publiées en 1974 par Fayard, sous un titre bien dans le style du personnage : La Décadence, l'Imposture et la Tragédie.
La clandestinité qu'il a repoussée au temps de la Résistance, le colonel Argoud y entrera lors de l'affaire algérienne, tournant décisif d'une existence qui transforme l'officier brillant en proscrit. Après l'Ecole de guerre, il entre dans l'état-major du général de Lattre de Tassigny. Argoud, qui se veut versé dans la théorie de la guerre révolutionnaire - qu'il combat -, ne suit pourtant pas ce premier mentor en Indochine.
Après un premier séjour en Algérie, en 1956-1957, c'est auprès du général Jacques Massu - dont il est désigné chef d'état-major fin 1958 - que commence vraiment sa carrière politique. Interprétant le combat mené par la France comme un "épisode de la lutte entre le monde communiste et le monde occidental", Argoud, qui invoque de manière récurrente sa fidélité à la "conscience chrétienne", privilégie l'action psychologique. Pour savoir ce que recouvre cette expression on peut se reporter à nouveau à ses Mémoires, dans lesquelles il vante les bienfaits des exécutions sommaires pour le bien de la "pacification".
Dans le contexte de l'infléchissement de la politique algérienne du général de Gaulle et de la révolte des activistes français d'Alger, ulcérés par le rappel du général Massu, lors de la "semaine des barricades", en janvier 1960, Argoud tente de convaincre le nouveau commandant en chef, le général Challe, de faire pression sur le pouvoir pour que celui-ci tienne bon la barre de l'Algérie française.
Rappelé en métropole en février 1960, mais mal surveillé, Argoud revient en Algérie, clandestinement cette fois, en avril 1961, pour participer au putsch des généraux, dont il est l'un des instigateurs. Pendant la rébellion, il tente de faire basculer Oran dans le camp des putschistes. Il ne revient en direction d'Alger que pour apprendre la reddition de Challe, qui a pris la tête de la révolte.
LIEN "ADMINISTRATIF"
Après l'échec du putsch, Argoud se réfugie en Espagne, mais parvient à s'échapper des Canaries, où il a été mis en résidence surveillée par les autorités espagnoles, pour participer aux dernières actions de l'OAS. Les accords d'Evian consacrant l'indépendance de l'Algérie, Argoud entend poursuivre la lutte sur d'autres fronts et annonce, en mai 1962, qu'il a constitué avec Georges Bidault ou Jacques Soustelle, deux personnalités de la Résistance en rupture avec la politique gaulliste, un comité exécutif qui deviendra le "Conseil national de la résistance".
Mais la guerre n'en est pas moins bel et bien finie. Le 25 février 1963, il est enlevé dans son hôtel à Munich par un commando de "barbouzes" (surnom des truands utilisés alors par la police secrète pour des opérations politiques). On le retrouve mystérieusement ligoté dans une camionnette, près de la préfecture de police de Paris.
Le 30 décembre 1963, la Cour de sûreté de l'Etat condamne le fugitif à la détention criminelle à perpétuité. Il bénéficie de l'amnistie du 15 juin 1968, et se retire dans son village natal de Darney (Vosges). Il exerce ensuite la profession d'expert-graphologue auprès du tribunal de Nancy.
Son ton cassant et péremptoire ne tarde pourtant pas à fasciner cinéastes et journalistes, par exemple dans la série documentaire d'Harris et Sédouy, Français si vous saviez, de 1972. On tendra souvent le micro à ce champion amer d'une cause perdue, qui ne cessera de clamer son écœurement face à une France "décadente" avec laquelle il disait n'avoir plus de lien qu'"administratif".
Nicolas Weill
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 13.06.04