Quelques extraits des mémoires de Peyrefitte,
C'était de Gaulle, tome III :
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Dimanche 5 mai 1968.
GdG. — Vous estimez que c’est trop, d’avoir condamné quelques garçons avec sursis, et quatre, dont seulement deux étudiants, à deux mois de prison ferme, pour une émeute qui a duré cinq heures et où ces lascars se sont particulièrement faits remarquer ? Alors qu’ils étaient des centaines à bombarder des policiers avec toute sorte de projectiles ? Vous trouvez ça excessif ? L’histoire de France est pleine d’émeutes qui n’ont pris fin que quand quelques dizaines d’émeutiers sont restés sur le carreau. »
[…] Ça n’avait que trop attendu ! On ne peut pas reprocher au recteur et aux doyens de s’être précipités, mais d’avoir trop longtemps traîné. »
[…] « Pas de faiblesse ! Une fois de plus, il faut résister à ceux qui veulent s’attaquer à l’État et à la nation. Nous ne devons pas tolérer, maintenant que la France est en paix, des violences que nous n’avons pas acceptées dans les périodes les plus difficiles. […]
Le Général a sûrement raison dans son principe : il faut marquer que l’on ne peut impunément se rebeller contre la force publique en la criblant de projectiles. Mais depuis janvier, on voit tant d’exemples de la solidarité passionnelle qui s’établit entre jeunes dès que l’un d’eux est épinglé, ou dès que paraît un uniforme ! Je suis effrayé de l’immense fossé qui s’est creusé entre le monde adulte et celui des jeunes, comme de la solidarité qui s’établit entre les jeunes si le pouvoir adulte montre son nez. Et les émeutes dont l’histoire de France est pleine pouvaient bien se terminer par un massacre d’émeutiers. Mais qui l’envisagerait aujourd’hui. Le peuple l’accepterait-il ?
Le Général reprend, comme s’il devinait nos réticences à travers nos silences : « Ce qui est exceptionnel, ce n’est pas ces peines, qui sont assez légères, c’est surtout que des manifestants dans la rue bombardent des policiers avec des boulons et des pavés et les attaquent au corps à corps avec des manches de pioches. On est très au-delà de l’outrage à agents ou de la rébellion ! C’est une émeute insurrectionnelle ! N’importe qui, les étudiants comme les autres, a le droit d’exprimer ses opinions verbalement ; mais personne n’a le droit de le faire en joignant l’acte à la parole. Ce sont des agressions sauvages qu’on ne peut laisser s’instaurer dans ce pays. Il faut le marquer immédiatement, et avec la plus grande vigueur !
Fouchet (comprenant qu’il doit faire un pas vers le Général). — La défense des étudiants ne tenait pas. Ils ont tous raconté qu’ils ne s’étaient munis d’armes que pour répondre à une agression d’Occident. C’était peut-être vrai pour ceux qui étaient dans la cour de la Sorbonne, mais ce ne l’était évidemment pas pour ceux qui ont attaqué la police dans la rue. On a découvert dans leurs sacoches des provisions de projectiles et de gourdins. Ce n’étaient pas des enfants de chœur qui se sont mis à arracher les pavés et à bombarder la police en se protégeant avec des casques de moto. C’étaient des commandos, c’était un groupement armé.
GdG. — Eh bien, il faut en tirer les conséquences ! Nous avons affaire à une organisation armée dont l’objectif est la subversion. […]
GdG. — Bien entendu, il faut assumer les examens déjà prévus. […]
GdG. — Mais enfin, ce Cohn-Bendit, qu’est-ce qu’il a pour lui ? Comment s’y prend-il pour entraîner tant de jeunes derrière lui ?
AP. — Il a un grand talent. Il est successivement badin, désinvolte, ange exterminateur des structures bourgeoises, au nombre desquelles il compte le parti communiste. C’est un révolutionnaire anarchiste et rigolard. Il veut tout détruire, et il le fait si gaiement que les radios le flattent et l’adulent. […]
GdG. — Quand un enfant se met en colère et passe la mesure, la meilleure façon de le calmer, c’est quelquefois de lui donner une taloche.
Joxe. — Le problème, c’est que ce ne sont plus tout à fait des enfants et pas encore des adultes.
GdG. — Nous n’avons pas à nous déterminer en fonction des humeurs passagères de ces bandes d’adolescents qui se laissent manipuler par des meneurs. Nous devons nous déterminer en fonction de nos devoirs à l’égard du pays. […] Il faut que force reste à la loi. […]
GdG. — Quand il y a une émeute, il faut que les situations soient nettes. Il faut que les émeutiers soient amenés à dire pourquoi ils font leur émeute. Il faut que le pouvoir sache ce qu’il veut, le dise, le fasse comprendre. Si le pouvoir n’est pas au clair avec lui-même, comment ceux qui lui obéissent le seraient-ils ?
[…] « Il faut sanctionner immédiatement quelques coupables bien choisis. Et si les violences continuent, il faudra cogner dur et ramasser quelques dizaines ou quelques centaines de manifestants chaque fois. »
S’adressant à Joxe, il précise : « Il faut régler tout ça en flagrant délit ! Veillez à ce que vos magistrats ne fassent pas traîner les choses ! La rapidité de la sanction est plus importante que la lourdeur de la peine. »
Mardi 7 mai 1968.
Vers minuit, Geismar [secrétaire général du SNESup] demande à parler au téléphone avec le permanencier du cabinet. Je le prends moi-même.
Geismar : « Nous venons de donner l’ordre de disperser et il n’est pas suivi ; il ne peut pas l’être. Il y a 70 000 étudiants dans un état de grande exaltation, auxquels il est impossible de donner une consigne.
AP. — D’après mes informations, ils seraient plutôt 7 000.
Geismar. — Ça m’étonnerait. On ne peut pas les compter. […] Des affrontements ont déjà eu lieu. Le sang va couler, si vous ne demandez pas à la police de se retirer.
AP. — Comment voulez-vous que le gouvernement laisse des émeutiers maîtres de la rue ? Vous avez joué à l’apprenti sorcier, et vous êtes maintenant débordé.
[…]
Geismar. — Quant à vous, vous refusez de faire ce que je vous demande. Il n’y a donc plus d’État !
AP. — Vous vous croyez sous la IVe République ? Il y a un État. Il fera son devoir. Faites le vôtre, qui n’est sûrement pas de souffler sur le feu pour appeler ensuite les pompiers. »
Geismar, si extrémiste soit-il, est dépassé lui-même par de plus extrémistes et me demande mon aide pour les calmer… Étrange, cet incendiaire qui se voit entouré de flammes et qui crie au feu.
Je poursuivrai, le temps de recopier d'autres extraits sur les violences de Mai 68.