Il y avait plusieurs transformations concevables du régime (à part l'effondrement, qui s'est produit). 1° Le décollectivisation, le passage à l'économie de marché, sans baisse des dépenses militaires. 2° La baisse des dépenses militaires sans décollectivisation. 3° La décollectivisation et baisse des dépenses militaires. 4° La guerre. Enfin, tout aurait pu continuer. Le mérite - pas immense, pas nul - du livre de Hélène Carrère d'Encausse a été de contribuer à faire prendre conscience que le régime ne pouvait pas libéraliser sans connaître l'éclatement : la libéralisation, a fortiori la démocratie, cela signifierait non seulement la fin de l'Empire en Europe centrale, mais aussi la fin de l'union des Russes et des non-Russes dans l'Union Soviétique (encore que HCE hésitait en ce qui concerne les Ukrainiens et les Biélorusses) : le maître du Kremlin, donc, au lieu de gouverner 360 millions d'hommes, n'en gouvernerait plus que 160 : puissant frein à la libéralisation. Ce qui s'est passé est que Gorbatchov était un naïf, peu informé, peu sensible à ces questions nationales (le régime vivait dans l'irréalité et formait mal ses dirigeants), peut-être notamment parce qu'il était Russe et que c'était un trop brave homme : enclin à sous-estimer l'agressivité des autres car peu doué pour l'agressivité lui-même. Il a libéralisé sans comprendre les forces qu'il allait déchaïner. Ce qu'il a fait aurait été faisable s'il n'y avait pas eu l'Empire. Dans l'Empire soviétique, lâcher le couvercle, c'était entraîner la sécession rapide des Polonais, des Baltes, etc., et la fin du régime. Le scénario n°1 aurait fait passer le régime de l'extrême-gauche à l'extrême droite. Pas si facile... Et même acrobatique... Le scénario n°2 était un scénario réformiste modéré, le plus facile à suivre. Le scénario n°3 était plus difficile à contrôler pour le régime. Le scénario n°4 était plus ou moins pronostiqué par Cornélius Castoriadis. Jorge Semprun s'est exprimé plusieurs fois en ce sens aussi. Scénario pas impossible, quoique hautement improbable. CC, un timbré. JS, il rêvait d'une grande guerre pour se distraire. Emmmanuel Todd exprimait la sagesse moyenne : ils vont devenir comme nous. Originalité : il annonçait prophétiquement que le changement était proche (depuis ET a dû faire quelques dizaines d'autres prophéties, petites et grandes. De temps en temps il ne se trompe pas).
Ce que personne n'avait annoncé, c'est que la fin des régimes entraînerait souvent une baisse de la production (on imaginait plutôt une hausse rapide de la production, comme ce qui s'est produit en Chine), et que la fin du régime, en Russie, laisserait la place à qqchose d'aussi autoritaire en politique, d'aussi médiocre en économie, avec des problèmes gigantesques de crime, de corruption, de santé - une Russie "latino-américaine" en somme, non européenne, médiocre. Deux explications : . la Russie, en plein rattrapage en 1914, a été profondément barbarisée par le régime. . Elle était "barbarisable" : le régime n'est pas né de rien, mais du pire de la tradition russe. Après le regime, il y a un certain retour dans l'ornière. L'alcoolisme, la brutalité, le nationalisme, l'arriération économique, ce sont des phénoménes pas inconnus en Russie... Cela fait très longtemps que, en Europe non méditerranéenne, il existe une partie développée, à l'Ouest, et une partie relativement sous-développée, à l'Est. Cela fait très longtemps que l'Allemagne a rejoint la première Europe. Maintenant c'est la Pologne. La frontière passe maintenant entre la Pologne, d'une part, la Biélorussie et l'Ukraine d'autre part.
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