Je ne sais pas ce que vous appelez une contre-culture : est-ce que le fait que les filles portent des jeans en fait partie ?
La prise en compte du changement de mentalité et de l'évolution des moeurs par les politiques est tardive par rapport au mouvement,
et les gaullistes semblent durablement congelés : il faut attendre VGE pour voir le passage de l'âge de la majorité à 18 ans, par exemple. (Pompidou a pourtant déclaré être personnellement bouleversé par le suicide d'une enseignante, virée de l'enseignement et condamnée parce qu'elle sortait avec un garçon de 18 ans - dont les parents ont porté plainte pour détournement de mineur - dont l'histoire donnera naissance au film "Mourir d'aimer.")
Même chose pour le droit à l'avortement, malgré un procès retentissant à Bobigny en 1972, celui d'une mineure qui s'était fait avorter après un viol, dont l'acquittement montre que la loi est périmée. (La pétition ouverte des 343 - que Charlie Hebdo baptise aussitôt les "343 salopes" - date de 1971, et il y figure du beau monde : Stéphane Audran, Catherine Deneuve, Bulle Ogier, Nadine Trintignant, etc... pour le monde du spectacle, par exemple. Courageuses, ces dames, dans l'atmosphère de l'époque... d'autant plus que ça tombait théoriquement sous le coup de la loi.)
Mais le principal n'est pas dans la loi, mais dans les familles, les lycées, les universités et même sur le lieu de travail : c'est toute une société qui se décoince. La France d'avant 68 est encore un pays où on montre du doigt les "filles-mères", alors que la vie en couple hors mariage ne choque plus personne 10 ans plus tard. En fait c'est une foule de "détails" qui bougent, mais la liste est impressionnante.
Il s'agit de choses qu'on considère aujourd'hui comme tellement évidentes qu'on ne les voit plus, et qu'il faut aller chercher dans des minorités intégristes pour y trouver une opposition : la mixité à l'école, par exemple. Les adolescents depuis longtemps disposent d'une liberté de vie impensable à l'époque.
Sur le lieu de travail il y a une évolution sur une décennie qui voit
le passage de " l'autorité fondée sur le galon " à " l'autorité fondée sur la compétence." Ce n'est évidemment ni si rose ni si simple que cela, mais l'existence d'une lame de fond ne fait pas de doute. (Consultant industriel dans les années 80 j'ai mené des dizaines de groupes de travail auxquels participaient des ouvriers, une démarche jugée normale par l'encadrement, mais qui aurait été taxée de gauchiste 15 ans plus tôt.)
Evidemment on peut toujours dire que ces évolutions auraient eu lieu tout autant si Mai 68 n'avait pas eu lieu. Après tout les jeunes suisses ne sont pas montés sur des barricades et ces évolutions ont eu lieu en Suisse comme ailleurs. Mais en France on s'accorde à dire que Mai 68 a d'abord été
une formidable libération de la parole, et c'est bien à partir de là que toutes les formes d'autorité ont été questionnées.
Au passage on peut juger rétrospectivement que jamais on n'a dit autant de conneries
et certains discours de Mai 68 prêtent aujourd'hui largement à sourire, comme dans le film "le péril jeune".
Mais peut-être fallait-il effectivement, par exemple, que le MLF fasse beaucoup de bruit pour que les femmes voient leur place évoluer. (De la même façon que Ni putes ni soumises l'a fait sur la cause des filles des cités quelques décennie plus tard - là je sors des bornes chronologiques du forum, mais c'est pour souligner avec une illustration plus récente que s'il y a eu un MLF c'est qu'il y avait une réelle question sur la liberté des filles.)
Sur le plan politique, je pense que Mai 68 marque
le début de la fin pour les communistes. C'est très peu visible sur le moment - d'autant que les gauchistes n'ont pas encore renoncé au vocabulaire marxiste - mais les étudiants de Mai vomissent les communistes et leur langue de bois.
Ce mot de Cohn-Bendit le 13 Mai, après le défilé où les ouvriers ont rejoint massivement les étudiants :" Ma satisfaction aujourd'hui est d'avoir été en tête d'un cortège où les crapules staliniennes étaient dans le fourgon de queue." On n'est pas plus aimable !
Le PCF répondra en dénonçant "l'anarchiste allemand", ce qui donnera une des chansons de Mai : "Nous sommes tous des juifs allemands."
Dans les années 75-80 il y avait quelques jeunes communistes très actifs dans mon lycée, mais je peux vous garantir que les discussions avec eux étaient... heu... constructives !
Coluche, au début des années 80 : "La différence entre le beaujolais et les communistes c'est que le beaujolais est sûr de faire 12,5 ". (Un score qui ferait pâlir d'envie les communistes d'aujourd'hui, mais à l'époque ils tombaient de bien plus haut.)