Il faut je crois repartir du contexte local tant historique, sociologique que culturel.
Le Cambodge est un petit pays, sans ressources naturelles, à 90% agricole dont le principal axe de communication est le Mékong qui traverse le pays du nord au sud dans sa partie orientale. La côte n'est pas propice à l'installation de ports et il n'y adonc peu d'échanges commerciaux avec l'extérieur. C'est donc un pays pauvre, peu ouvert, qui au XXe siècle vit comme il vivait aux siècles précédents.
La société cambodgienne est très massivement rurale, peu éduquée. Il n'y a qu'une seule ville digne de ce nom, la capitale. Il n'y a pas d'industrie. Le commerce est souvent tenu par une minorité chinoise active mais perçue comme étrangère. Les services se limitent à l’administration. La classe "moyenne" se limite aux fonctionnaires. L'État est une monarchie traditionnelle plus populaire par le poids de la tradition que par adhésion à une quelconque doctrine. Son roi n'a pas une très grande envergure politique, c'est un "petit roi", cultivé mais aux pieds d'argile. Les intellectuels ont tous été formés en France mais sont peu nombreux et très politisés. L'élite sociale est assez corrompue. C'est une société en lente décomposition, comme l'était le Vietnam du sud. Le conflit voisin ne va faire qu'empirer les choses en exacerbant ses fragilités et en le déstabilisant.
Le Cambodge est une victime collatérale du conflit vietnamien : les belligérants violent ouvertement ses frontières, et s'en servent comme plate-forme arrière de toutes sortes de trafic. Ce faible État tombera donc comme un fruit pourri au moindre coup de butoir. La dynamique des Khmers rouges n'en fera qu'une bouchée. Au départ le Vietnam voisin voit plutôt d'un bon œil leur arrivée. Ils se revendiquent tous deux de l’expérience de la révolution chinoise agrémentée à la sauce locale. Les intellectuels français qui se laissèrent fasciner par ce modèle étaient les mêmes que ceux qui se fascinèrent pour la révolution culturelle : toujours ce même espoir d'un communisme universel revenant aux sources de la pureté originelle face à un monde occidental capitaliste et décadent. Mais les khmers n'ont pas tiré les enseignements des échecs chinois, notamment celui de la révolution culturelle, ils sont convaincus qu'ils réussiront là où le grand frère chinois a échoué.
La spécificité khmère va s'illustrer par son idéologie nationaliste, anti-occidentale, mais surtout anti-développement, anti-citadin : elle considère qu'il faut revenir à un état de pureté originelle, censé être représenté par le monde rural, elle rejette toute trace de modernité. Sur ce terreau se greffe un délire dialectique sur la lutte de classe et la dynamique de la rééducation de la société par le travail aux champs. Les paysans sont hermétiques à cette dialectique et au collectivisme. La catastrophe est en marche : chute de la production agricole, société totalement désorganisée, famine, recherche et punition des bouc-émissaires ... Il n'y pas effectivement à proprement parler de génocide mais une destruction de la société elle-même : c'est la même "ethnie" qui s'auto-détruit. C'est la famine qui est la principale cause de mortalité (même si les exécutions furent nombreuses). Face à l'échec économique et politique, le système khmer rouge s'enferme dans son délire idéologique destructeur et creuse sa propre tombe.
Petit pays, enfermé sur lui-même et ne présentant plus d'intérêt stratégique depuis la fin de la guerre du Vietnam, le monde occidental s'en désintéresse. A l'époque, on ne parlait pas de droit d'ingérence (qui ce serait apparenté à du colonialisme) et puis on était entré en plein dans la crise du deuxième choc pétrolier. Seul le Vietnam trouve un intérêt géopolitique à se débarrasser de ce voisin.
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"Historia vero testis temporum, lux veritatis, vita memoriae, magistra vitae." De oratore - Cicéron
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