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Message Publié : 19 Mars 2015 6:52 
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Marc Bloch
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Localisation : Versailles
En matière de crimes de masse, 2015 conduit à trois commémorations qui peuvent être objet de réflexions historiques. Centenaire du génocide arménien, libération des camps de la mort voici 70 ans et 40e anniversaire de la victoire des Khmers rouges.

Un petit résumé tiré de Wikipedia :

"Les crimes du régime Khmer rouge couvrent l'ensemble des meurtres, massacres, exécutions et persécutions ethniques, religieuses ou politiques commis par ce mouvement communiste radical, lorsqu’il contrôla le Cambodge de 1975 à 1979.
Les crimes perpétrés au Kampuchéa démocratique sont parfois désignés sous le nom de génocide cambodgien, bien que la qualification de génocide ne soit pas, pour le Cambodge, reconnue sur le plan international. Il n'existe pas non plus de consensus sur le nombre total de victimes ; toutefois, les 1,7 million de morts (soit 21 % de la population cambodgienne de l'époque) évalués par le programme d'étude sur le génocide cambodgien de l'Université Yale semblent de nos jours le chiffre le plus crédible."

Plusieurs questions se posent. Quelles étaient les motivations profondes de Pol Pot et sa bande : idéologie, folie ou autre chose ? Comment l'Occident (et en particulier les intellectuels pacifistes) a t il peu s'aveugler à ce point face au danger des Khmers rouges ? Quand les yeux se sont ils ouverts et pourquoi ? Le passage de Pol Pot par la Sorbonne est il un élément clef de sa maturation intellectuelle ?
Comment avait il compris le génocide juif par exemple ? Comment avaient il pu tirer du marxisme une pratique politique totalitaire ultra nationaliste ? Y a t il un racisme chez les khmers rouges ( conte les vietnamiens par exemple) ?


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Message Publié : 19 Mars 2015 7:34 
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Des adolescents fanatisés contre la culture occidentale, dont ils ne connaissent rien, sortent de la jungle, vident les villes et envoient tout le monde travailler à la rizière, pour rééduquer le peuple. C'est le début du cauchemar...

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Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)


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Message Publié : 19 Mars 2015 16:38 
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Localisation : Nantes
Il faut je crois repartir du contexte local tant historique, sociologique que culturel.

Le Cambodge est un petit pays, sans ressources naturelles, à 90% agricole dont le principal axe de communication est le Mékong qui traverse le pays du nord au sud dans sa partie orientale. La côte n'est pas propice à l'installation de ports et il n'y adonc peu d'échanges commerciaux avec l'extérieur. C'est donc un pays pauvre, peu ouvert, qui au XXe siècle vit comme il vivait aux siècles précédents.

La société cambodgienne est très massivement rurale, peu éduquée. Il n'y a qu'une seule ville digne de ce nom, la capitale. Il n'y a pas d'industrie. Le commerce est souvent tenu par une minorité chinoise active mais perçue comme étrangère. Les services se limitent à l’administration. La classe "moyenne" se limite aux fonctionnaires. L'État est une monarchie traditionnelle plus populaire par le poids de la tradition que par adhésion à une quelconque doctrine. Son roi n'a pas une très grande envergure politique, c'est un "petit roi", cultivé mais aux pieds d'argile. Les intellectuels ont tous été formés en France mais sont peu nombreux et très politisés. L'élite sociale est assez corrompue. C'est une société en lente décomposition, comme l'était le Vietnam du sud. Le conflit voisin ne va faire qu'empirer les choses en exacerbant ses fragilités et en le déstabilisant.

Le Cambodge est une victime collatérale du conflit vietnamien : les belligérants violent ouvertement ses frontières, et s'en servent comme plate-forme arrière de toutes sortes de trafic. Ce faible État tombera donc comme un fruit pourri au moindre coup de butoir.
La dynamique des Khmers rouges n'en fera qu'une bouchée. Au départ le Vietnam voisin voit plutôt d'un bon œil leur arrivée. Ils se revendiquent tous deux de l’expérience de la révolution chinoise agrémentée à la sauce locale. Les intellectuels français qui se laissèrent fasciner par ce modèle étaient les mêmes que ceux qui se fascinèrent pour la révolution culturelle : toujours ce même espoir d'un communisme universel revenant aux sources de la pureté originelle face à un monde occidental capitaliste et décadent. Mais les khmers n'ont pas tiré les enseignements des échecs chinois, notamment celui de la révolution culturelle, ils sont convaincus qu'ils réussiront là où le grand frère chinois a échoué.

La spécificité khmère va s'illustrer par son idéologie nationaliste, anti-occidentale, mais surtout anti-développement, anti-citadin : elle considère qu'il faut revenir à un état de pureté originelle, censé être représenté par le monde rural, elle rejette toute trace de modernité. Sur ce terreau se greffe un délire dialectique sur la lutte de classe et la dynamique de la rééducation de la société par le travail aux champs. Les paysans sont hermétiques à cette dialectique et au collectivisme. La catastrophe est en marche : chute de la production agricole, société totalement désorganisée, famine, recherche et punition des bouc-émissaires ... Il n'y pas effectivement à proprement parler de génocide mais une destruction de la société elle-même : c'est la même "ethnie" qui s'auto-détruit. C'est la famine qui est la principale cause de mortalité (même si les exécutions furent nombreuses). Face à l'échec économique et politique, le système khmer rouge s'enferme dans son délire idéologique destructeur et creuse sa propre tombe.

Petit pays, enfermé sur lui-même et ne présentant plus d'intérêt stratégique depuis la fin de la guerre du Vietnam, le monde occidental s'en désintéresse. A l'époque, on ne parlait pas de droit d'ingérence (qui ce serait apparenté à du colonialisme) et puis on était entré en plein dans la crise du deuxième choc pétrolier. Seul le Vietnam trouve un intérêt géopolitique à se débarrasser de ce voisin.

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"Lisez, éclairez-vous, ce n'est que par la lecture qu'on fortifie son âme." - Voltaire
"Historia vero testis temporum, lux veritatis, vita memoriae, magistra vitae." De oratore - Cicéron


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Message Publié : 19 Mars 2015 18:47 
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Marc Bloch
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Inscription : 09 Août 2006 6:30
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Localisation : Allemagne
Merci Clio : j'avais déjà pas mal lu sur cette tragédie, mais c'est la première fois que je découvre une synthèse aussi claire et aussi brillante.

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" Je n'oublie pas le Colonel Arnaud Beltrame "


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Message Publié : 19 Mars 2015 22:15 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 27 Déc 2013 0:09
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Clio a écrit :
Seul le Vietnam trouve un intérêt géopolitique à se débarrasser de ce voisin.
Quel intérêt le Vietnam avait-il de se débarrasser des Khmers Rouges ?


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Message Publié : 20 Mars 2015 7:09 
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Marc Bloch
Marc Bloch

Inscription : 10 Fév 2014 7:38
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Localisation : Versailles
Comme Faget je remercie Clio de la qualité de sa synthèse.

Pour répondre à Barbetorte, je pense que l'explication se trouve au Nord : Hanoi est allié de Moscou contre Pékin. Donc les Chinois sont alliés des Khmers rouges . Et donc le Vietnam souhaite se débarrasser d'eux pour ne pas être pris en tenailles entre la Chine et le Cambodge.


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Message Publié : 20 Mars 2015 7:56 
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Salluste
Salluste

Inscription : 22 Avr 2009 8:49
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Et plus le Cambodge/Kampuchea s'enfonce dans son échec, plus le pouvoir en place vire à un nationalisme délirant de plus en plus anti-viétnamien, couplée à une réthorique devenant de plus en plus guerrière devenant de plus en plus provoquant et dangereux pour les minorités.
Hanoî doit donc "sécuriser" son flanc Sud-Ouest en éloignant la tension à ses frontières déjà bien malmenée. D'où l'invasion pour disperser les Khmer dans le pays : au moins ainsi la crise reste au coeur du Cambodge et risque moins de s'étendre.


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Message Publié : 23 Mars 2015 19:27 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

Inscription : 12 Nov 2009 21:20
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Localisation : 13
Il y a aussi au Cambodge une sorte de paranoïa nationale : la peur séculaire de voir le pays disparaître sous la pression des voisins vietnamiens et thaïlandais.

Comme d'habitude le marxisme sert de camouflage au nationalisme extrême. Les capitalistes sont par contre des traîtres vendus aux colonisateurs. Les khmers rouges sont les seuls patriotes.

Pol Pot a admiré saint Just et Robespierre. Il est passé par la Sorbonne.


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