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 Sujet du message : CC 16 juillet 1971
Message Publié : 22 Nov 2015 20:09 
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Marc Bloch
Marc Bloch

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Lors d'un débat ouvert par Marc30 sur Gaston Palewski, Caesar Scipio a abordé le délicat problème posé par la décision du conseil constitutionnel en date du 16 juillet 1971 à propos de la liberté d'association. Il a présenté une analyse innovante faisant un lien avec le virage à gauche du PS et le risque en voir une majorité socialo communiste d'arriver au pouvoir et mettant fin à notre modèle économique et social libéral.


"Or ce que je constate, c'est que la décision du conseil constitutionnel du 16 juillet 1971, en créant un bloc de constitutionnalité plus étendu et en constitutionnalisant les valeurs libérales, individualistes et bourgeoises de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, fait enfin et définitivement de la France une démocratie libérale qui garantit les droits de l'individu et de la minorité politique contre la majorité politique temporaire. Du moins par des voies légales et pacifiques.

Il ne pourra plus y avoir de dictature du prolétariat ni d'expropriation non payée au prix de marché dans la France d'après le 16 juillet 1971. Il n'y aurait par exemple pas eu d'expropriation de Renault dans ce nouveau cadre constitutionnel.

Un Giscard, vraiment libéral au plan politique, l'a bien compris et en a tiré des conséquences complémentaires indispensables en donnant la possibilité à une minorité parlementaire de saisir le constitutionnel en 1974.

Et enfin, et il était grand temps vu le verrouillage que les partis politiques ayant des parlementaires exercent sur leurs parlementaires, Sarkozy a eu la vision et le courage de faire adopter en 2008 la touche finale qui était dans l'air depuis 20 ans mais que ses prédécesseurs n'etaient pas pressés de faire adopter : la possibilité pour tout citoyen justiciable de saisir le conseil constitutionnel via la question prioritaire de constitutionnalité.

L'hypothèse que j'émets, c'est que la décision du 16 juillet 1971 n'est pas une pure coïncidence mais qu'elle a aussi eu une motivation contingente cachée : le sentiment d'urgence de prémunir le pays contre le risque d'une révolution marxiste dure conduite par les voies constitutionnelles d'une majorité parlementaire constituée du PC et du PS d'Epinay. Et d'ailleurs, en 1974 ce n'est pas passé loin. Jamais l'écart n'a été aussi serré au 2eme tour que lors de ce 1er duel entre Giscard et Mitterrand."

Le site Wikipedia
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Décision_Liberté_d%27association
Dit ceci

"Selon le professeur Patrick Wachsmann[3], parmi les raisons ayant conduit à cette décision historique,

viendrait au premier plan "le souci du second président (...) Gaston Palewski, d’assurer la pérennité d’une institution qui risquait d’être vouée à la marginalité (...) en raison du fait que la stabilité de la majorité parlementaire acquise au gouvernement (et, plus encore, au président de la République) rend parfaitement vaine cette frontière entre la loi et le règlement que le Conseil avait d’abord eu pour mission de faire respecter par le Parlement."
Ont pu s’y ajouter d’autres éléments : une claire hostilité de Palewski, ancien directeur de cabinet de De Gaulle, envers Pompidou, coupable d’avoir précipité la chute du général en accréditant l’hypothèse qu’il pourrait lui succéder à l’Élysée, voire une déception de n’avoir pas été élevé à la dignité de Grand’croix de la Légion d’honneur. Toujours est-il que les travaux préparatoires, aujourd’hui disponibles, confirment l’engagement personnel de Palewski en faveur de la décision finalement rendue, alors que le rapporteur, François Goguel, estimait que la loi déférée était conforme à la Constitution."


J'avais pour ma part toujours entendu parler de cette fameuse Grand Croix qui semble avoir désorienté notre ami 30 !
https://books.google.fr/books?id=a3gNCg ... ki&f=false

Je termine en soulignant qu'Eric Zemmour a consacré un chapitre du "suicide français" à cette décision (chapitre titré : "la trahison des pairs") dont il fait une étape clef du double processus de dé démocratisation/dérepublicanisation et d'américanisation de nos institutions.


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 Sujet du message : Re: CC 16 juillet 1971
Message Publié : 22 Nov 2015 23:29 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

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Zemmour bosse énormément, mais même s'il est passé par Sciences Po, il ne comprend pas grand chose à l'économie mondialisée et il ne comprend pas grand chose au droit constitutionnel.

Ce n'est pas un reproche hargneux que je lui adresse. Je ne suis pas de ceux à qui il donne de l'urticaire et je partage certaines de ses analyses. Mais je constate ces lacunes chez lui.

Je l'ai entendu critiquer l'Etat de droit et opposer l'Etat de droit à la démocratie. Ce qui est un contresens. La démocratie sans l'Etat de droit qui protège les libertés individuelles fondamentales, c'est la démocratie à l'africaine ou à l'ukrainienne : la tyrannie de la majorité parlementaire. L'Etat de droit, c'est ce qui prémunit contre les lois établissant la tyrannie de la majorité politique du moment contre la minorité du moment.

La hiérarchie des normes est certes assez rigide. Une fois que le traité est ratifié ou directement applicable comme les règlements ou directives communautaires, c'est lourd ou complexe pour en sortir mais c'est possible.
Si on veut faciliter les exemptions, exceptions et sorties, une Marie-France Garaud, qui est elle une vraie juriste, à très bien expliqué comment faire : adopter en France un système à l'allemande (dont nous sommes en fait assez proches) permettant d'obliger le gouvernement à désapprouver l'approbation des projets de textes européens contraires à la constitution.

Je dis qu'on en est très proche parce que notre constitution prévoit déjà que si un traité (ou son équivalent qu'est le droit dérivé communautaire) est contraire à la constitution, il ne peut être ratifié qu'après réforme de la constitution. Donc si on ne veut pas dudit traité ou du droit dérivé, il suffit de rétorquer la réforme constitutionnelle.

Bref, l'analyse zemourienne est un contresens. Ce n'est pas le cadre juridique qui empêche de mener une politique souverainiste ou conforme à tel ou tel vœu. C'est tout simplement la configuration politique qui fait que les gouvernements français ont tous voulu depuis une quarantaine d'années la politique que certains regrettent.

Si vous mettez à la tête des institutions de la 5ème république des gens qui veulent refaire de l'UE une simple organisation internationale dépourvue de pouvoirs supranationaux, c'est faisable. Si vous avez au sein du conseil constitutionnel une majorité de membres en faveur d'une telle politique, ils le feront d'une seule manière : en se fondant sur la DDHC de 1789 qui prévoit à son article 3 que toute souveraineté repose sur la nation.

Le droit est à 95% la mise en forme de la volonté politique.


Enfin, en réponse à Jerome, je ne suis pas du tout convaincu par la thèse consistant à expliquer que les motivations de Palewski relevaient d'inimitiés personnelles. Non que je les nie, mais enfin les politiques ne sont pas exclusivement ni même principalement mus par des inimitiés personnelles quand bien même ils les éprouvent.


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 Sujet du message : Re: CC 16 juillet 1971
Message Publié : 24 Nov 2015 3:25 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

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Plusieurs réponses

1- jamais entendu parler de cette histoire de légion d'honneur
2- l'explication qui m'a été donnée en fac était plus liée à mai 68 et à la volonté des institutions gaullistes de prouver leur caractère libéral et démocratique face à des adversaires qui les accusaient d'être trop soumis au pouvoir gaulliste.
3- Scipio a raison quant aux conséquences de cette décision - mais cela ne signifie pas que telle était la cause de la décision.
4- zemmour à raison de souligner qu'il y a eu rupture de. L'équilibre fondamental de la constitution de 58 mais a tort de la dater de 71 - c'est surtout en 2008 avec la possibilité de contrôle tardif que l'on passe au gouvernement des juges (hors charte je sais).


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 Sujet du message : Re: CC 16 juillet 1971
Message Publié : 24 Nov 2015 8:23 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

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Je suis assez d'accord avec vous cher Marc mais en ajoutant aussi deux ou trois éléments.

Primo le droit comparé a pu entrer en ligne : les exemples allemands et américains en particulier à une époque où le système britannique a perdu beaucoup de son prestige.

Secundo la conception gaulliste de la constitution n'était pas sans effets. Avant 1958 les libertés publiques n'étaient pas garanties par la justice mais ... Par l'inefficacité des institutions politiques ! Après 1962 et l'instauration du fait majoritaire, la création d'une système formel de protection des libertés pose une question nouvelle. Et la sacralisation de la Constitution dans les discours gaullistes rend légitime un élargissement des missions du gardien de cette constitution justement.

Accessoirement je crois que la réforme du droit des associations (pourtant très technique et qui en fait s'approchait du droit local d'Alsace Moselle) était très contestée au sein même de la majorité - et ce d'autant plus aisément qu'elle était présentée par un ministre non gaulliste (Raymond Marcelin).

Je vous remercie cher Caesar Scipio pour votre interprétation cohérente et originale mais en l'absence de textes ou de témoignages en votre sens il est difficile de vous suivre - surtout qu'en 1971 les gaullistes renforcés par Giscard et une partie des centristes semblaient être à mon avis encore imbattables ...


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 Sujet du message : Re: CC 16 juillet 1971
Message Publié : 06 Déc 2015 0:03 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 27 Déc 2013 0:09
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Caesar Scipio a écrit :
L'hypothèse que j'émets, c'est que la décision du 16 juillet 1971 n'est pas une pure coïncidence mais qu'elle a aussi eu une motivation contingente cachée : le sentiment d'urgence de prémunir le pays contre le risque d'une révolution marxiste dure conduite par les voies constitutionnelles d'une majorité parlementaire constituée du PC et du PS d'Epinay. Et d'ailleurs, en 1974 ce n'est pas passé loin. Jamais l'écart n'a été aussi serré au 2eme tour que lors de ce 1er duel entre Giscard et Mitterrand."

Un processus révolutionnaire, même sans violence, ne serait pas arrêté par une jurisprudence du Conseil constitutionnel : une constitution peut être modifiée ou remplacée par une autre. La dictature du prolétariat ne s’était installée ni en 1936, ni à la Libération, ni en 1968. Ce n’était pas ce qui inquiétait la majorité au pouvoir en 1971. Le changement de majorité évité en 1974 se produisit en 1981. Certains, comme Giscard d’Estaing, continuent à affirmer que ce fut dommageable pour le pays, mais ce ne fut pas la catastrophe fantasmée. Quant aux nationalisations sans indemnité, elles n’ont jamais été envisagées par le parti socialiste. Le cas de Renault est tout à fait particulier, décidé par ordonnance d’un gouvernement provisoire alors que la guerre n’était pas encore finie. Juridiquement contestable, cette nationalisation-sanction s’explique par les circonstances. Les usines Renault, qui avaient cessé de produire des voitures, avaient tourné à plein régime pendant toute la guerre pour fournir chars et camions à la Wehrmacht. On peut comprendre que les résistants en aient conçu quelque ressentiment. Mais en 1971 la situation était tout autre.

Le motif de la décision du 16 juillet 1971 ne pose pas un verrou contre la gauche, dont elle valide l’argument présenté par le groupe communiste lors des débats au Sénat : « le Gouvernement nous demande de revenir sur ce droit implicitement inscrit dans la Constitution », mais contre le césarisme gaullien. Alain Poher (Trois fois président, Plon 1993) rapporte ainsi une conversation avec Gaston Palewski : "Il faut faire comprendre à Pompidou qu’il n’est pas de Gaulle, lui donner une leçon, le rappeler à l’ordre". Selon le professeur Wachsmann, la fascination exercée par de Gaulle était telle que le contrôle de constitutionnalité ne pouvait se développer alors qu’il exerçait ses fonctions comme le révèle Gaston Palewski (Mémoires d’action, Plon, 1988) : "il me semblait absurde d’expliquer à l’auteur de la Constitution de quelle manière celle-ci devait être appliquée". Ces temps étaient révolus.

La décision du 16 juillet 1971 est certes un évènement marquant dans l’histoire du droit constitutionnel mais il faut y voir la consécration officielle d’une notion déjà admise plus qu’une innovation. Il est vrai qu’initialement ce rôle de gardien des libertés fondamentales n’était pas dans l’esprit des concepteurs de la Cinquième République. Yves Guéna le soulignait lors d’un symposium en Suisse en 1998 réunissant des représentants de cinq cours constitutionnelles européennes : le conseil constitutionnel n’avait pas été conçu comme une cour constitutionnelle à l’image de celles des pays voisins. Car le souci des constituants avait été, dans l’esprit du discours de Bayeux, que le parlement ne légiférât pas au-delà du domaine de la loi défini à l’article. Pour de Gaulle, il n’y avait pas lieu d’instituer une cour suprême : « En France, la Cour suprême c'est le peuple " Il est vrai que, jusqu’en 1971, la quasi-totalité des saisines du Conseil Constitutionnel, outre les conflits électoraux, ne visaient qu’à autoriser le gouvernement à modifier par décret des dispositions de forme législative comme prévu à l’article 37. Néanmoins, quelle qu’ait été l’intention de ses concepteurs, la constitution faisait explicitement référence au préambule de la constitution de 1946 lequel réaffirmait explicitement, et solennellement, les droits et libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 ainsi que les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Ce n’est donc pas le conseil constitutionnel qui a fait entrer le préambule de 1946 dans le bloc de constitutionnalité, il y était déjà. Le Conseil d’Etat avait d’ailleurs eu dès 1960 l’occasion de l’affirmer et il avait également eu l’occasion de ranger la liberté d’association parmi les principes fondamentaux. L’étonnant eût été une décision contraire à la jurisprudence du Conseil d’Etat qui elle-même ne faisait que suivre une doctrine unanime.


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 Sujet du message : Re: CC 16 juillet 1971
Message Publié : 06 Déc 2015 9:21 
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Marc Bloch
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Je remercie Barbetorte en précisant cependant que si la liberté d'association était bien reconnue sur le fond, la question posée était le pouvoir reconnu au CC de censurer une loi pour non conformité à un principe fondamental...

Sur le premier point , j'ai trouve un arret du CONSEIL D'ETAT (11 juillet 1956)
(11 juillet - Assemblée plénière - 26.638. Amicale des Annamites de Paris et sieur Nguyen-Duc-Frang - MM. Jacomet, rapp. ; Lasry, c du g ;Me Mayer, av.).

Vu la Constitution du 27 octobre 1946 ; la loi du 1er juillet 1901 ; les décrets des 12 avril 1939 et 1er septembre 1939 ; l'ordonnance du 19 octobre 1945 ; l'accord franco-vietnamien du 8 mars 1949 ; l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;

- CONSIDERANT qu'aux termes de l'article 81 de la Constitution de la République française : « Tous les nationaux français et les ressortissants de l'Union française ont la qualité de citoyens de l'Union française qui leur assure la jouissance des droits et libertés garantis par le préambule de la présente Constitution » ; qu'il résulte de cette disposition que les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et réaffirmés par le préambule de ladite Constitution sont applicables sur le territoire français aux ressortissants de l'Union française ; qu'au nombre de ces principes figure la liberté d'association ; etc ....


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 Sujet du message : Re: CC 16 juillet 1971
Message Publié : 06 Déc 2015 13:50 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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La question posée n'était pas le pouvoir reconnu au Conseil Constitutionnel mais la constitutionnalité de la loi modifiant le loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association. Elle était formulée par le président du Sénat dans sa lettre de saisine en ces termes : J'ai l'honneur de vous faire connaître que, conformément au second alinéa de l'article 61 de la Constitution, je défère au Conseil constitutionnel, avant sa promulgation, la loi tendant à compléter les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association.

Le Conseil Constitutionnel n'a jamais pris explicitement qu'une seule décision relative à sa compétence. C'est celle du 6 novembre 1962 par laquelle il se déclarait incompétent pour statuer sur les lois adoptées par référendum, même lorsque la procédure de l'article 11 est appliquée au lieu de celle de l'article 89 qui en l'espèce s'imposait.

Les conclusions tirées de la décision du 16 juillet 1971 sur les pouvoirs du Conseil Constitutionnel ne sont que de l'exégèse. Evidemment, il y a lieu de relever une décision implicite du conseil sur ses pouvoirs : en acceptant de répondre comme il l'a fait, il déclarait implicitement qu'il en avait la compétence.


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 Sujet du message : Re: CC 16 juillet 1971
Message Publié : 09 Déc 2015 10:22 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

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Oui, je ne l’ai pas développée, mais je suis 100% d’accord avec votre développement sur l’objet, la nature et la portée de la saisine du CC, sur le contexte et l’héritage juridique dans lequel elle s’inscrivait.

Pour autant, la décision du 16 juillet 1971 n’en est pas moins fondamentale parce que, si la DDHC de 1789 et les préambules de 1946 et 1958 figuraient bien dans les constitutions de 1946 et 1958 et si les PFRLR (principes fondamentaux reconnus par les lois de la république) et autres principes à valeur constitutionnelle dégagés par le Conseil d’Etat dans sa jurisprudence reprenaient bien ces principes, la jurisprudence du conseil d’Etat ne portait pas sur la conformité des lois à ces principes supérieurs/suprèmes.

Cela change donc tout. Depuis 1971, le législateur n’a plus toute licence de faire des lois. La tyrannie de la majorité n’est plus possible.

Le fait que le PCF ait défendu la liberté d’association instaurée au 19ème siècle et en ait défendu une vision libérale n’invalide pas pour autant le fait que la dictature du prolétariat était à cette date encore au cœur du programme de ce parti et qu’il était le parti dominant d’une gauche en plein renouveau et s’affirmant très à gauche. Et disant ceci, je n’en donne pas moins acte à Aigle que je n’ai aucun élément de preuve à avancer à l’appui de la pure hypothèse que j’ai émise.

S’agissant de l’éventualité d’un processus révolutionnaire, enfin, 2 aspects.
Bien sûr ce ne sont pas 9 juges ou 577 députés ou 1 roi qui peuvent empêcher un processus révolutionnaire violent ou non violent.
En revanche, l’extension du bloc de constitutionnalité constitue un puissant garde-fou. Il y a des effets cliquets qui sont difficilement surmontables autrement que par la violence physique et la suppression des bases mêmes de la démocratie, c’est-à-dire un suffrage universel et libre avec liberté des candidatures. Quasiment tout le monde a intérêt à la liberté d’opinion et d’expression, à l’égalité de droit, à la sécurité juridique, matérielle et physique, ainsi qu’à la légitimité populaire des institutions et des détenteurs de l’autorité publique.

Enfin, une constitution n’est abolie que quand une nouvelle est adoptée. Et un projet de nouvelle constitution qui ne garantirait pas explicitement le respect des libertés fondamentales que l’ancienne garantissait aurait de fortes chances d’être rejeté.
Sauf bien sûr, encore une fois, si ceux qui préparent cette nouvelle constitution s’assurent de verrouiller ou d’écarter la volonté du Peuple. En effet, avec des forces armées dans les rues s’assurant que seuls les citoyens pensant conformément aux vœux des détenteurs du pouvoir révolutionnaire iront voter, on peut s’assurer d’avoir une majorité dans les urnes, mais elle est alors viciée.
Sauf enfin, autre hypothèse qui exigerait des évolutions sociologiques majeures, si une majorité du Peuple avait effectivement cessé d’être démocrate et votait démocratiquement et librement en faveur de l’abolition de la démocratie et des libertés.


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 Sujet du message : Re: CC 16 juillet 1971
Message Publié : 10 Déc 2015 0:02 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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La dictature du prolétariat était en effet toujours au coeur du programme du parti communiste. Non seulement cela, mais encore il était en lien étroit, un lien de subordination, avec le parti de l'Union Soviétique. Il y a de nombreuses années, la revue L'Histoire avait publié un article sur Jacques Duclos dans lequel il était relaté que cet éminent membre dirigeant du parti recevait des directives de Moscou. On sait aussi que le PCF recevait des subsides de l'URSS.

Pour autant, si le PCF était perçu comme une nuisance par le pouvoir, particulièrement dans la Ceinture Rouge de Paris, je ne crois pas du tout qu'il représentât une réelle menace. L'assise électorale était large mais néanmoins insuffisante pour prendre le pouvoir par les voies légales. Il pouvait bien avoir un programme révolutionnaire, ce n'était pas un parti de gouvernement. Il ne l'était pas parce que le peuple n'était pas disposé à faire de la France une démocratie populaire. S'il y avait eu un moment propice à une prise du pouvoir par le PCF, c'était à la Libération. Elle n'a pas eu lieu. D'ailleurs, le gouvernement soviétique lui-même ne le souhaitait pas, s'en tenant au partage convenu à Yalta. Comme en 1936, les ministres communistes entrés au gouvernement en 1946 ont dû assez vite démissionner. Le danger, si danger il y avait, était passé.

Certes, en 1971, la droite et le centre s'inquiétaient. C'est normal, on s'inquiète toujours d'une possible victoire de l'adversaire politique. Comme socialistes et communistes avaient conclu une alliance, on ajoutait le chiffon rouge pour dénoncer la menace bolchevick. Mais c'était plus dans un but de mobiliser l'électorat - c'est de bonne guerre - que par crainte réelle. La gauche socialiste s'était durcie certes, mais il serait plus exact de dire qu'après une période d'un rose très pâle avec des personnalités comme Mollet ou Deferre elle avait repris ses couleurs d'antan et celles-ci n'étaient les couleurs de la révolution. Mitterrand n'en avait pas l'intention. Il s'est allié avec le parti communiste tout simplement parce qu'il avait besoin de l'électorat communiste pour constituer une majorité de gouvernement. On le lui a reproché, surtout à droite bien sûr. Pour dîner avec le diable, il faut une longue cuiller dit-on. C'est vrai et Mitterrand avait jugé que la sienne était assez longue. La suite lui a donné raison et certainement au-delà de ce qu'il espérait.

C'est pour cela que je ne pense pas du tout que la crainte d'un virage vers un régime marxiste ait inspiré la décision du Conseil Constitutionnel du 16 juillet 1971. Les principes fondamentaux sur lesquels reposent la République et, plus largement, la société française, n'étaient pas sérieusement menacés.

Mais je vous rejoins sur votre phrase finale : Sauf enfin, autre hypothèse qui exigerait des évolutions sociologiques majeures, si une majorité du Peuple avait effectivement cessé d’être démocrate et votait démocratiquement et librement en faveur de l’abolition de la démocratie et des libertés.. Les principes libéraux (au sens marge) sont maintenant suffisamment ancrés dans les sociétés européennes pour que le risque d'une dictature ou de type soviétique ou de type fasciste ou autre encore soit écarté. A l'inverse, on a beau avoir des institutions formellement parfaitement démocratiques, si elles ne correspondent pas aux aspirations du peuple, elles ne fonctionnent pas, ou mal. A la fin des années 1980 (restons dans la limite chronologique) je me suis rendu aux Philippines. Dans un hôtel où j'avais pris une chambre, dans la région des Ilocanos, j'ai discuté de la situation politique peu après la chute de Ferdinand Marcos. Celui-ci avait fui à l'étranger, mais il avait encore de nombreux fidèles, notamment dans les Ilocanos d'où il était originaires, qui poursuivaient une activité politique. Si l'on demandait à une personne du peuple pour qui elle comptait voter, très souvent elle répondait : "Pour Marcos" - "Pourquoi ?" - "Je suis un Ilocano". On vote pour le fils du pays. C'est tout. Le passage de la féodalité à la démocratie n'a rien d'évident. Il faut une longue maturation.


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 Sujet du message : Re: CC 16 juillet 1971
Message Publié : 11 Déc 2015 21:30 
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Marc Bloch
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Inscription : 10 Fév 2014 7:38
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Localisation : Versailles
Toutes ces réflexions sont intéressantes mais je me demande si le point essentiel pour un historien est constitué par les témoignages qui tendent plutôt à évoquer un règlement de compte interne au parti gaulliste doublé de la volonté de mettre une limite à la toute puissance de la majorité.

Et donc l'hypothèse audacieuse et brillante de Scipio Caesar me semble confondre la conséquence (compliquer une mutation économique et sociale fondamentale) et la cause.

Sauf évidemment à trouver d'autres témoignages !


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