Jerôme a écrit :
imaginaient ils une perpétuation sans vraies difficultés du statu quo issu de Yalta ?
Oui, à l'époque Brejnev - dont le règne est interminable - il y a une sorte de désespoir latent dans la population : le pouvoir ne donne aucun signe d'évolution et la langue de bois communiste reste éternellement la même. ("Si vous voulez du pain et du confort, il vous suffit d'allumer la radio.")
La population supporte la situation, faute de rien pouvoir y changer. Seuls quelques intellectuels se sont battus pour le respect des accords d'Helsinki, mais leurs voix ont été étouffées, à l'image d'Andréï Sakharov, exilé dans la lointaine Ghorki.
Dans les pays du Pacte règne la même impression déprimante. Quatre pays de l'est ont subi une intervention ou répression militaire - le dernier en date est la Pologne, où Solidarnosc a été démantelé après le coup d'état du général Jaruselski.
La Hongrie, écrasée en 56, en a tiré la leçon : ses dirigeants donnent toutes les preuves d'un soutien sans faille à Moscou, pour éviter les ennuis, et mettent en place dans le même temps une certaine libéralisation économique, notamment au niveau des petits commerçants et artisans. Ses performances valent à la Hongrie une relative prospérité. ("La cellule la plus agréable du bloc.")
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Croyaient ils que l'ouest allait s'effondrer et passer sous leur contrôle avec ou sans guerre ?
Non, ça c'est ce que prétendait la propagande officielle. Personne n'était dupe, depuis le temps que l'on entendait ce refrain... ("-Où en est le capitalisme ? - Il est au bord du gouffre. - Quel est le but du socialisme ? - dépasser le capitalisme.)
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Craignaient ils une apocalypse nucléaire ?
là je ne saurais affirmer avec certitude, mais je pense que tout comme en occident la crainte de l'apocalypse nucléaire s'est atténuée avec le temps, depuis les années 50.
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les dirigeants du parti communiste, de l'armée ou du KGB étaient ils plus lucides que d'autres ?
Le parti communiste était le dernier endroit où l'on souhaitât le changement - ce qui n'empêchait pas que des demandes locales s'y expriment, à rebours des instructions de Moscou. (Il faut ajouter au tableau d'ensemble la généralisation de la corruption, dans laquelle le Parti tenait sa part.)
L'armée était très surveillée politiquement.
Paradoxalement l'endroit où l'on réfléchissait avec le plus de liberté était la direction du KGB. C'est aussi l'endroit où l'on disposait de statistiques exactes - ou moins fausses qu'ailleurs - sur la situation réelle du pays.
C'est au KGB qu'a été prise la décision de faire évoluer le régime, sans doute pas avant tout par incapacité à suivre la course aux armements lancée par Reagan, mais plutôt du fait de la situation du pays : par exemple on s'est aperçu au KGB qu'en réalité l'espérance de vie
baissait en Union Soviétique, un phénomène unique parmi les pays développés. Soins hospitaliers et médicaux de mauvaise qualité, augmentation de la criminalité et surtout de l'alcoolisme. ("Moscou sur vodka" Une des premières mesures, d'ailleurs très maladroite, de Gorbatchev, sera de limiter de façon autoritaire les rations de vodka.)
C'est donc un chef du KGB, Youri Andropov, qui prend la place de premier secrétaire, et qui choisit Gorbatchev pour successeur. Il s'agit d'une tentative pour faire évoluer - et donc sauver - le communisme. Comme on le sait elle a échoué, mais c'est une autre histoire. (A leur décharge on peut noter que les réformateurs n'avaient jamais connu d'autre système que celui-là, et de plus ils ont largement sous-estimé la volonté de changement d'une population qui avait subi le communisme à n'en plus finir.)
Sauf erreur Gorbatchev avait été ministre de l'agriculture, c. à d. l'exact endroit idéal pour constater que la collectivisation ne fonctionnait pas.