Ce texte ne me paraît vraiment pas clair et je doute de sa fiabilité historique. Il a même une telle coloration politique qu'on croirait y entendre parler des jihadistes actuels plutôt que du FLN !
En même temps ça change du discours des militaires de l'époque, qui pensaient que le FLN était une organisation communiste...
Oui, les chefs du FLN - et leurs troupes - étaient croyants, et de fait ils ont utilisé la religion musulmane à la fois pour se marquer comme non-communistes (ce que dénonçait la propagande des militaires) et pour signaler leur mainmise sur la population.
Pendant une période - certitude : au moins jusqu'en 56 - on coupait effectivement le nez, non pas des déviants (????) mais des fumeurs. Je ne sais pas dire à partir de quelle date cette pratique est tombée partout en désuétude. (Je jurerais qu'après la bataille d'Alger on a recommencé à fumer dans la Casbah...)
Un djihad contre les mécréants ? Là je demande à voir. La motivation nationaliste, la volonté de liberté, de se débarrasser de l'autorité absolue du pouvoir français - dont on connaissait depuis les émeutes de Sétif l'effrayante capacité de répression, à supposer qu'on l'ignorât auparavant - et de l'arrogance de la population européenne à la fois convaincue de sa supériorité, et imposant à chaque arabe de "rester à sa place", tout cela me semble des motivations suffisantes (et c'est bien sûr là-dessus que portait le discours du FLN) sans aller chercher une volonté de "djihad" dans le FLN ou dans la population.
(Evidemment on trouvera toujours des contre-exemples, la déclaration de tel religieux arabe ou de tel exalté du FLN, mais fondamentalement ce n'était pas leur fond de commerce.)
Et d'abord pour une raison fondamentale : les chefs fondateurs du FLN ne souhaitaient pas le départ des pieds-noirs. Ils étaient conscients que l'Algérie indépendante aurait besoin de leurs compétences techniques et administratives, si elle voulait se développer.
Ce n'est que sur la fin de la guerre qu'on a vu apparaître une tendance "socialiste", incarnée essentiellement par Boumedienne, chef d'état-major de l'ALN, et confortablement installé en Tunisie avec des troupes toutes neuves en uniformes impeccables... qui n'avaient jamais combattu, pour simplifier : le barrage électrifié sur la frontière était infranchissable depuis 1958. Armé d'une solide croyance dans les miracles d'une économie "socialiste" liée à une alliance avec l'URSS, cette position l'amenait à pousser à l'expulsion des Français, et donc à accuser les chefs historiques, et en particulier les négociateurs d'Evian, de "trop céder" à De Gaulle. Krim Belkacem est parti à Evian parce qu'il fallait bien terminer la guerre - et les négociateurs désignés ne souhaitaient absolument pas expulser les français - mais en sachant parfaitement qu'au retour la tendance "socialiste" lui reprocherait inévitablement "d'avoir tout cédé devant De Gaulle". La lutte pour le pouvoir entre les deux tendances commençait déjà.
Au passage, on a parlé récemment d'Oran, en soulignant que c'était une unité de l'ALN, arrivée depuis peu du Maroc, qui avait lancé - sans doute pas seule, mais très active - le massacre des Européens en juillet 62, provoquant l'exode des Pieds Noirs de la ville. Le départ des Pieds Noirs a été provoqué, au final, par les extrémistes des deux camps : OAS côté français et "socialistes" côté algérien.
Citer :
"Aussi, le résultat d’une telle orientation pouvait-il être autre que celui qui s’imposa au moment de l’indépendance et que révéla clairement le président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), Ben Khedda, trente ans plus tard dans ses mémoires : « En refusant notamment la nationalité algérienne automatique pour un million d’Européens, nous avions prévenu le danger d’une Algérie bicéphale » ? "
Rien du tout ! Le refus d'accorder automatiquement la nationalité algérienne aux français d'Algérie n'avait absolument rien à voir avec la religion. là ce texte est clairement malhonnête.
Il faut comprendre que pour les deux parties négociant, aux Rousses d'abord, à Evian ensuite, le futur statut des Français en Algérie était un sujet délicat. Côté français, on souhaitait que toutes les garanties soient apportées aux Pied Noirs, d'abord sur le fait qu'ils ne seraient pas déclarés algériens d'office et sans pouvoir donner leur avis, ensuite sur le fait qu'ils ne deviendraient pas à leur tour des citoyens de seconde zone dans la nouvelle Algérie. Côté FLN, il était parfaitement exclu qu'ils puissent rester là en tant que Français, minorité nationale rattachée à la France, ce qui n'avait pas de sens.
On finit par s'entendre sur une période de transition de trois ans - dernier délai - pendant laquelle les Français d'Algérie pourraient opter officiellement soit pour la nationalité algérienne, avec le passeport correspondant, soit conserver la nationalité française, mais avec obligation dans ce cas de quitter le pays. (sauf autorisation "exceptionnelle", mais pour être réaliste, il était clair qu'un ingénieur pétrolier ou de toute autre spécialité pourrait y rester autant qu'il voudrait, compte-tenu de son utilité. Précisément ce qui hérissait Boumedienne et ses partisans : des français restant en Algérie avec une certaine influence.) D'où une clause, en corolaire, sur laquelle la délégation du GPRA se montra intraitable : le refus de la double nationalité. Hors de question que les Européens restent en Algérie en étant à la fois citoyens algériens de plein droit, et citoyens français restant protégés par la France.
Ne pas attribuer d'office la nationalité algérienne aux Pieds Noirs, il est un peu paradoxal que Ben Khedda s'en vante comme d'une victoire diplomatique du GPRA - ou pour être plus clair il se fout du monde : les français refusaient absolument ce traitement automatique. Il n'a absolument pas eu à l'arracher de vive force dans la négociation, c'est ridicule.
En même temps on comprend plus ou moins ce que Ben Khedda insinue : il sous-entend qu'on n'aurait pas donné la nationalité algérienne aux Français qui la demandaient, mais, disons, à ceux "qui la méritaient". ça va même plus loin que ça : "refuser une Algérie bicéphale" signifie qu'on ne l'aurait pratiquement pas accordée, et donc qu'on aurait mis la majorité des Pieds Noirs dehors.
Là-dessus... on aura compris dans lequel des deux camps algériens se situe Ben Khedda. Il faut noter aussi qu'il écrit 30 ans plus tard, à une époque où l'opinion algérienne aurait du mal à comprendre cette idée bizarre de vouloir garder les Français en Algérie, puisqu'il s'agissait d'horribles colonialistes oppresseurs et de riches colons engraissés par le peuple algérien. Sans parler de l'OAS... Les Pieds Noirs sont partis, l'histoire a été réécrite en noir et blanc par le pouvoir algérien de Boumedienne, passons... La vérité c'est que les négociateurs d'Evian étaient de bonne foi. Les Français pourraient "opter".
Citer :
Sur ce dernier point, je note que le FLN reprend le discours français sur le "million d'Européens" en Algérie française. Faisant des 300 000 juifs séfarades des européens qu'ils n'avaient jamais été ! Ne disait on pas pas dans la France de l'époque "juifs arabes" pour désigner les séfarades ?
Déjà, le nombre de 300 000 paraît bien haut. Un tiers des Pieds Noirs auraient été juifs ?
Wiki donne le chiffre de 150 000, ce qui paraît plus réaliste.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_des_Juifs_en_Alg%C3%A9rie#Apr%C3%A8s_1962Ces juifs n'auraient jamais été européens ? Et ils étaient quoi, d'après vous ?
Pour commencer, le décret Crémieux donnait la nationalité française aux Juifs d'Algérie... en 1871 !
Cette nationalité leur a été retirée par Pétain en 40, en même temps qu'il proclamait son épouvantable statut des Juifs - comme en métropole - et la somme des deux allait jeter les écoliers, collégiens et étudiants juifs hors des établissements scolaires... et leurs parents dans une misère sans nom. (La situation sera rétablie par De Gaulle - ou sous sa pression - en 1943.)
Les Juifs algériens venaient, comme tous les colons "français", d'un peu partout (de l'Alsace devenue allemande, par exemple, de France forcément, d'Italie, d'Espagne - beaucoup de colons espagnols, mais juifs d'Espagne, je ne sais pas.) mais ils étaient indiscutablement de culture européenne... et juive.
J'imagine que le terme de "Juifs arabes" fleure bon l'antisémitisme, mais curiosité ethnique, il existait effectivement des arabes... de religion juive ! Dans "les tabous de l'histoire", Marc Ferro raconte sa surprise, jeune adolescent en Algérie, à voir des arabes venus d'une région plutôt désertique, pour les jours de marché, pratiquer des rites qui lui paraissaient clairement juifs. Sa mère, interrogée, lui répondit gênée "qu'il ne s'agissait pas de vrais Juifs". (Alors qu'ils l'étaient déjà avant la conquête française !)
Bon sang, le temps que j'ai passé à remettre à plat la prose poisseuse de Causeur !
https://fr.wikipedia.org/wiki/Causeur#Ligne_%C3%A9ditorialeJérôme, vous pourriez filtrer un peu vos sources, et éviter d'y rajouter vos propres préjugés sur les Juifs d'Algérie. Il y a une délicieuse description de la culture des Juifs de Tunis, fin des années 30, dans la partie II de "Les filles du calvaire" de Piere Combescot, Prix Goncourt 91. Accrochez-vous, ce roman qui ne ressemble à aucun autre n'a rien de banal, mais ça vous changera de Causeur !
https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Filles_du_Calvaire