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Message Publié : 20 Mai 2019 0:19 
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Grégoire de Tours
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Un article de Laurent Joffrin dans Libération, le 5 mai 2019.
https://www.liberation.fr/france/2019/0 ... is_1725143

Citer :
Il y a soixante-cinq ans, l’armée française sous-estime les forces du Viet-minh et subit une terrible défaite dans la «cuvette» du Tonkin. Les accords de paix qui s’ensuivent signent le début de la fin d’un empire colonial.

Le lieutenant-colonel Charles Piroth est sûr de son affaire. Aucun doute possible : le Viet-minh ne pourra jamais transporter des canons lourds sur des centaines de kilomètres, à travers la jungle, ces canons qui pourraient inquiéter la défense de Dien Bien Phu. Quand bien même y parviendraient-ils que les pièces de 155 françaises les réduiraient vite au silence.

Piroth est un officier respecté, ancien des combats d’Italie de 1944. Il sert au Vietnam depuis 1945 et commande l’artillerie du camp retranché, établi dans le nord-ouest du Tonkin, près de la frontière laotienne. En 1946, il a été blessé au bras dans une embuscade Viet-minh : on l’a amputé sans anesthésie. Ses faits d’armes lui ont valu le grade de commandeur de la Légion d’honneur. A 47 ans, il a la compétence, l’expérience, l’autorité. Les canons du général Giap ne lui font pas peur.

Mais le 13 mars 1954, tandis que l’armée vietnamienne lance son premier assaut, les obus tirés des collines font des ravages. En trois heures, «Béatrice», le point d’appui le plus au nord, reçoit des centaines de coups au but. Les abris sont pulvérisés, les défenseurs tués, les survivants terrorisés. Piroth donne l’ordre de répliquer. Rien n’y fait : les tirs français ne peuvent atteindre les pièces ennemies installées dans des grottes, à flanc de montagne. L’intensité du bombardement est une surprise catastrophique pour l’état-major français, qui se croyait protégé par les canons de l’artilleur péremptoire. Alors le 15 mars, après deux jours d’enfer, Piroth, en pleine dépression, attache une grenade sur sa poitrine et la fait exploser.

Ce suicide est un symbole. Sûrs de leur supériorité technique, les Français ont sous-estimé leurs adversaires, dans un conflit où la puissance des armes occidentales ne devait pas être contestée par un peuple «inférieur». L’expédition coloniale qui doit restaurer la domination française sur l’Indochine bute sur une armée de paysans équipés par la Chine, où Mao vient de prendre le pouvoir. Le geste désespéré du lieutenant-colonel est aussi une prise de conscience : la domination coloniale vacille ; la guerre d’Indochine, lointaine et impopulaire, est un baroud sanglant, au bout du compte absurde et vain.

Elle l’est d’autant plus qu’il était facile de l’éviter. En 1945, après la reddition japonaise, Hô Chi Minh était prêt au compromis qui aurait assuré aux Français un retrait dans l’honneur. Mais les gouvernements de Paris l’ont fait lanterner, malgré les objurgations de Leclerc, qui avait compris la vanité d’un conflit dépassé, à 10 000 kilomètres de la métropole. La logique de guerre l’a emporté. Depuis bientôt dix années, l’armée française combat l’insurrection vietnamienne sans pouvoir la réduire.

En 1953, elle avait cru trouver une issue. A Nan-San, au nord du Tonkin, elle avait installé un camp retranché qui bloquerait l’avancée des troupes de Giap vers le Laos. Ravitaillées par voie aérienne, les troupes françaises - souvent composées de soldats algériens, sénégalais ou marocains - avaient résisté victorieusement aux vagues d’assaut vietnamiennes, infligeant à Giap des pertes insupportables. Fort de ce succès, le nouveau commandant en chef, Henri Navarre, lui aussi ancien de l’armée de la Libération, décide d’installer encore plus au nord et à l’ouest, dans la cuvette de Dien Bien Phu, un deuxième camp retranché, qui attirera les troupes vietnamiennes et les décimera, non plus dans des opérations antiguérilla hasardeuses mais dans une bataille rangée, où la supériorité d’une armée de professionnels fera la différence.

Navarre pense que son piège rétablira la situation. Il néglige la personnalité de son ennemi, un petit bonhomme au visage rond et à la volonté intraitable, Vo Nguyên Giap. C’est un ancien professeur d’histoire qui a rejoint le Parti communiste dès les années 30 et pris le commandement de l’armée du Viet-minh, le Front de libération dirigé par Hô Chi Minh. Giap est un grand lecteur, admirateur de Bonaparte, dont il connaît par cœur les campagnes, notamment celle d’Italie en 1796, quand une petite armée française avait battu, grâce à la guerre de mouvement, les troupes trois fois plus nombreuses de l’empereur d’Autriche. Giap a retenu deux leçons de son maître : la surprise, la concentration des forces en un point donné. Il va les appliquer à Dien Bien Phu, où les paras de Bigeard ont sauté au matin du 20 novembre 1953 et où le corps expéditionnaire a installé un vaste camp autour de deux pistes d’atterrissage qui assureront son ravitaillement en hommes et en matériel, protégé par des points d’appui sur les collines qui se dressent sur la plaine. Le commandant du camp, Charles de la Croix de Castries, a une réputation de séducteur. On dit dans la troupe qu’il a baptisé ces positions en souvenir de ses maîtresses : «Gabrielle», «Béatrice», «Anne-Marie», «Eliane», «Huguette», «Claudine»… dont les prénoms vont émailler pendant des mois les bulletins d’information qui rendent compte de la bataille.

Pour déjouer le piège par un autre piège, Giap monte une opération de concentration totalement inattendue. A dos d’hommes ou sur des bicyclettes, des dizaines de milliers de porteurs, invisibles du ciel sous une épaisse canopée, vont acheminer dans la jungle les armes, les munitions, les combattants et surtout, pièce par pièce, les canons qui pilonneront le camp. Giap se souvient d’une maxime de Bonaparte : «Où une chèvre passe, un homme peut passer. Où un homme passe, un bataillon peut passer.» De novembre à mars, sous la férule d’officiers contrôlés par le Parti, une noria d’hommes et de femmes chemine à travers la jungle sur des pistes étroites et boueuses, transportant les armes qui créeront la surprise. «Vous n’attaquerez que lorsque la victoire sera certaine», a dit Hô Chi Minh, qui redoute l’efficacité de l’armée coloniale. C’est en mars 1954, après des mois de préparation, que Giap lance ses troupes à l’assaut de Dien Bien Phu.

A la manière des soldats de l’an II, les Vietnamiens chargent en masse les positions françaises. C’est une boucherie : les bodoï tombent sous les balles des mitrailleuses et les obus de mortier. Ceux de la première ligne se jettent sur les barbelés et se font exploser pour ouvrir la voie. Les autres avancent en terrain découvert jusqu'aux tranchées françaises qui répliquent par un feu meurtrier, brisant les charges sacrificielles des Vietnamiens. Mais les canons camouflés à flanc de montagne ont semé le désordre, tué les officiers et détruit les abris et les postes de commandement. «Béatrice» tombe au bout de deux jours. «Gabrielle» est encerclée. Les Français résistent, ravitaillés par les avions qui atterrissent et décollent sans relâche sur les deux pistes du camp retranché. Pour se refaire, Giap suspend les assauts et fait pilonner le camp par son artillerie, qui se concentre sur l’aérodrome bientôt criblé d’obus. Le 27 mars, le dernier avion français décolle de Dien Bien Phu : la ligne de communication avec Hanoi est coupée. Les blessés ne sont plus évacués, les munitions sont rationnées, les soldats subissent un feu continu, enterrés dans des tranchées, sans pouvoir dormir ni se nourrir convenablement. Les renforts arrivent au compte-gouttes, parachutés au milieu des tirs. Les médicaments manquent, autant que les médecins ou les infirmières.

Des deux côtés, le siège donne lieu à une débauche d’héroïsme. Geneviève de Galard, une auxiliaire qui a rejoint le camp avant la fermeture des pistes, refuse d’être évacuée et reste pour soigner les blessés. Paris Match la surnommera «l’Ange de Dien Bien Phu», oubliant au passage une dizaine «d’anges» moins présentables pour la propagande : les prostituées vietnamiennes ou africaines qui se changent aussi en infirmières de campagne. Les Français amaigris et malades se battent sous la conduite d’officiers inflexibles. Les Vietnamiens multiplient les offensives qui déciment leurs rangs, selon l’impitoyable tactique des «vagues d’assaut», meurtrières pour les attaquants. Les volontaires français affluent pour sauter sur Dien Bien Phu, sachant qu’ils ont une chance sur cent d’en revenir. Les parachutistes se lancent ensuite, équipés de lance-flammes, à l’assaut des canons, mais ils échouent faute de munitions et terminent les combats à l’arme blanche, avant de se replier.

Le 1er mai 1954, sûr du succès, Giap lance l’assaut final. «Eliane 1», «Dominique 3» et «Huguette 5» tombent dans la nuit. Dans une tentative désespérée, Navarre fait parachuter les derniers renforts le lendemain. Rien n’y fait, les points d’appui succombent les uns après les autres. Le 7 mai 1954, après cinquante-sept jours de combat, Dien Bien Phu doit se rendre aux troupes de Giap. Quelque 8 000 soldats vietnamiens ont été tués, 2 000 Français sont morts et 11 000 sont faits prisonniers. Implacable, Giap les envoie à pied vers le nord, à travers la jungle, pour une marche meurtrière de 700 kilomètres vers les «camps de redressement» de la frontière chinoise. Seuls 3 290 survivront à l’épreuve, libérés après l’accord de paix.

A Paris, le gouvernement est renversé par l’Assemblée. Le président Coty appelle à Matignon Pierre Mendès France, qui s’était fait le procureur rigoureux de l’expédition. Mendès annonce qu’il négociera jusqu’à l’été et reprendra le combat si les pourparlers échouent. Le 20 juillet 1954, au terme d’âpres discussions, il signe les accords de Genève. La France quitte l’Indochine. Le Vietnam est coupé en deux. Les communistes prennent le pouvoir au nord du 17e parallèle, un gouvernement pro-occidental au sud. Un million d’habitants du nord fuient le régime d’Hô Chi Minh. Bientôt une guérilla se développera au sud. Les Etats-Unis prendront le relais de la France : la deuxième guerre du Vietnam commence.

La reddition de Dien Bien Phu sonne le glas de l’empire colonial français. En Algérie, le FLN lance sa première offensive. Partout au Sud, la victoire de Giap galvanise les partis indépendantistes. Bonaparte avait bâti un empire en Europe. En appliquant les mêmes préceptes, son élève a détruit un autre empire, celui des puissances européennes qui dominaient le monde depuis la Renaissance. L’indépendance du Sud s’est jouée dans une cuvette humide perdue dans la jungle montagneuse du Tonkin : Dien Bien Phu.


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Message Publié : 20 Mai 2019 5:33 
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Ce n'est pas un très bon article, je trouve. Laurent Joffrin n'est pas historien, c'est entendu... mais ça se voit un peu trop.

Le plus pénible est cette apologie de Giap, dont la tactique est comparée à celle de Napoléon, alors qu'il n'y a aucun rapport. (Giap mène une guérilla, pour l'essentiel de son contrôle sur l'Indochine. Il dispose aussi d'une région sanctuaire où se trouvent ses grandes unités régulières. Pour cette armée, sa façon de combattre est tout sauf foudroyante, on voit mal où serait Napoléon...)

Certes Giap est une légende, dont la victoire contre les Français a eu un retentissement considérable dans le monde, et spécialement dans les pays colonisés. Mais sa victoire a été chèrement acquise.

L'année précédente, il avait effectivement laissé une bonne partie de ses trois divisions dans les barbelés du camp retranché de Na San (et pas "Nan San"), les Français, avec une bonne artillerie, l'avaient nettement emporté. L'idée de Dien Bien Phu n'était donc pas si folle.

La surprise pour les Français provient moins du transport de canons par les pistes de jungle (sans compter les munitions) que de leur installation, non pas dans des grottes qui n'existaient pas - les Français avaient au moins vérifié ça - mais dans des casemates creusées dans les collines alentour.

C'est le point décisif réussi par Giap :amener ses canons et son armée, puis les ravitailler sur des kilomètres de jungle (de l'ordre de 200 km ?) en réquisitionnant plus de 200 000 paysans dans leurs villages.

Ensuite sa tactique est sans imagination. Si les Français ont 2000 tués, Giap va y laisser 11000 hommes ! (Et la mort dans des camps de plus de 7000 Français survivants n'est pas à son honneur : les images de la libération des survivants sont celles des camps nazis.)

Enfin, si les journaux oublient de citer les prostituées (vietnamiennes) parmi les "anges" du camp retranché, Laurent Joffrin, lui, oublie de mentionner qu'elles seront fusillées en vrac par le Viet Minh.

Quel débat voulez-vous ouvrir, Arkoline ? On a déjà beaucoup parlé de Dien Bien Phu, sur PH !

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Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)


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Message Publié : 20 Mai 2019 6:53 
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Grégoire de Tours
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On peut évoquer à l'envi le "génie" de Giap (qui subit des pertes énormes, mais l'hagiographie vietnamienne en parle très peu), ou l'effort considérable et réel des soldats vietnamiens, mais c'est surtout la position tactique qui fait que les Français se battaient d'emblée avec un handicap qui s'est avéré fatal. Même si DBP n'est pas dans la "cuvette" étriquée dont on parle souvent (on n'installe pas un aéroport dans une "cuvette"), c'est bien une vallée, pas tout-à-fait un fer à cheval, sur un axe nord-sud flanqué de montagnes. Les deux pistes d'atterrissage suivent naturellement cet axe, ainsi que la rivière.

Y a-t-il beaucoup d'exemples d'une armée choisissant son terrain, et s'installant au fond d'une vallée? Les exemples d'armées forcées dans un piège naturel sont nombreux (Sedan par exemple), mais décider d'installer un camp durable sous des hauteurs, le cas est-il unique?



Intéressante anecdote sur Piroth. Les noms des positions ne sont pas les maîtresses de Castries, mais des noms pratiques commençant par les lettres de l'alphabet de A à J.


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Message Publié : 20 Mai 2019 7:43 
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Marc Bloch
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Depuis l'existence de cette douloureuse bataille, l'expression "cuvette" tourne en boucle comme si les Français auraient été assez stupide pour permettre aux Viets de pisser sur nos casemates du haut des collines environnantes. Or, en regardant un plan à l'échelle, on voit facilement que le camp retranché -au départ- est un polygone qui fait 7 kms Nord-Sud et 7 kms Est-Ouest. Pour être concret et parlant c'est presque les dimensions du Paris intra muros des 20 arrondissements.

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Message Publié : 20 Mai 2019 7:56 
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Pierre de L'Estoile
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Il y a un nom qu'il ne faut pas oublier
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légionnaire qui a construit tout seul un monument sur ce champ de bataille il y a une trentaine d'années

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il pleuvait, en cette Nuit de Noël 1914, où les Rois Mages apportaient des Minenwerfer


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Message Publié : 20 Mai 2019 8:00 
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Grégoire de Tours
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@Faget: ... Voulez-vous dire que c’etait une “bonne position”? Judicieuse?

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Message Publié : 20 Mai 2019 9:30 
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Comme d'habitude, Joffrin fait de la politique (et même de l'idéologie), absolument pas de l'Histoire.
Concernant le plan français, il est logique dans le contexte du second semestre 1953, quand est lancée l'opération "Castor". Il est vrai qu'il sous-estime la capacité des Viets à amener des moyens lourds (en fait, c'est tout le corps de bataille viet qui est devant Dien Bien Phu, il ne s'agit pas que d'artillerie plus ou moins lourde) et à utiliser des pièces antiaériennes (jusqu'alors présentes en très faible quantité). Mais le problème, c'est qu'il surestime beaucoup la capacité des bataillons parachutistes du GAP n°1 à "donner de l'air" du camp aéroterrestre (donc à desserrer l'emprise viet) et celle de l'armée de l'Air à ravitailler la poche alors qu'elle est contrainte de la sorte.

Car le plan n'était pas de resserrer sur les centres de résistance du camp retranché. Jusqu'à la toute fin de l'année 1953, l'objectif est de "rayonner", donc d'empêcher les Viets de s'installer autour du camp. La première mauvaise surprise vient de l'agressivité viet qui refoule les paras - pourtant accrocheurs - et les "empêchent d'empêcher".

Sinon, intellectuellement, rien à redire au plan Navarre : le corps de bataille viet ne peut entrer dans le Laos (ce qui était l'objectif n°1 de Navarre : éviter la chute de Luang Prabang et de Vientiane, dont les conséquences anticipées étaient pires que celles d'une défaite en rase campagne) ; il est attiré loin du Tonkin où la pression était intense depuis les batailles de 1951 (les Français étant certains qu'une défaite hors du delta ne saurait être dramatique - ce qui en soi n'est pas complètement faux, Dien Bien Phu n'a guère d'importance stratégique - mais bien sûr ils sous-estiment l'impact médiatique et psychologique de la défaite), dans le "haut pays thaï" qui ne présente guère d'enjeux militaires ou politiques ; il est saigné à blanc (le corps de bataille viet aurait été incapable de remettre le couvert dans une grande bataille classique avant 1955 ou 1956 avec les pertes qu'il a subies).

Si on regarde objectivement la bataille, Navarre atteint les objectifs fixés, même si la perte de la garnison n'était pas anticipée. Le problème, c'est l'erreur de départ : dans le contexte de la conférence de Genève, il aurait dû comprendre qu'il s'agissait de gagner au photo-finish, pas de frapper un grand coup qui nécessitait une prise de risque importante. Parce qu'une défaite "de rang" dans un affrontement "à l'occidentale" était hors de question.

Alors oui, les Viets ont été sous-estimés, surtout leur fantastique effort logistique en quelques semaines, mais ce sont plutôt nos capacités (celle des paras à perturber le siège, celle des aviateurs à "donner de l'air" et à approvisionner le camp) qui ont été surestimées.

Je dirais que le défaut principal du plan Navarre réside plus dans son irréversibilité que dans une quelconque mésestimation des uns ou des autres : une fois la bataille engagée, impossible de se dégager, de retirer sa mise. La victoire ou la mort. C'est rarement une bonne alternative.
Pour cela, il fallait qu'une colonne terrestre puisse tendre la main aux défenseurs, ce qui était impossible vu la distance du delta et le terrain.

CEN EdG

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Message Publié : 20 Mai 2019 10:59 
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Grégoire de Tours
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CEN_EdG a écrit :
le défaut principal du plan Navarre réside plus dans son irréversibilité que dans une quelconque mésestimation


Donc, selon le plan de Navarre, l'objectif de couper l'accès au Laos est atteint. Mais sur le point précis du positionnement stratégique du camp: n'étant pas spécialiste en stratégie, je pose la question: son emplacement vous paraît-il, objectivement et sans vision téléologique, judicieux? Les expériences que j'ai de disposition stratégiques de positions sont nos bases en Afghanistan, pour lesquelles on a choisit des points hauts, pas des fonds de vallées.

Pour reprendre un exemple Afghan, dans le Panjshir, l'artillerie de Massoud tirait sur les chars soviétiques depuis les hauteurs, et les chars sont toujours là pour témoigner du désastre. A Kaboul, même chose: dans les années 90, les positions stratégiques étaient les hauteurs.

Faget a écrit :
comme si les Français auraient été assez stupide ... Le camp retranché (...) est un polygone qui fait 7 kms Nord-Sud et 7 kms Est-Ouest. Pour être concret et parlant c'est presque les dimensions du Paris intra muros des 20 arrondissements.


Paris intramuros nord-sud ou Est-ouest est quand même plus grand, mais admettons. Si Paris intramuros était flanqué de montagnes, ses dimensions ne la protégeraient pas davantage. Pourquoi se mettre dans une vallée qui ne fait que 7 km de large? Pour être concret cela veut dire que n'importe quelle pièce d'artillerie de portée de 3-4km positionnée sur les hauteurs à l'Est ou à l'Ouest peut pilonner le centre de ce polygone. Même les mortiers légers ont 3km de portée, les plus lourdes pièces des vietnamiens pouvant largement tirer jusqu'à l'autre bout de la vallée (canons de 105mm: 11km, canons de 37mm efficaces à 4km, canons de 75: 7km, mortiers de 120mm: 6km, etc).

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Message Publié : 20 Mai 2019 11:21 
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Grégoire de Tours
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D'où ma question initiale: y a-t-il d'autres exemples d'armée choisissant son terrain, et s'installant au fond d'une vallée? Les exemples d'armées forcées dans un piège naturel sont nombreux (Sedan par exemple), mais décider d'installer un camp durable sous des hauteurs: quels sont les autres exemples de cette configuration? Quelle est la logique suivie?

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Message Publié : 20 Mai 2019 12:51 
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Mais les Français ne se sont pas installés au fond d'une vallée!
Ils ont investi des collines (les points d'appui) qui entouraient une plaine dans laquelle avait été installé un aérodrome.
C'est tout différent, non?


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Message Publié : 20 Mai 2019 13:43 
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Vézère a écrit :
Mais les Français ne se sont pas installés au fond d'une vallée!
Ils ont investi des collines (les points d'appui) qui entouraient une plaine dans laquelle avait été installé un aérodrome.
C'est tout différent, non?


La différence n'est pas évidente, car si les points d'appui Eliane, Dominique, etc, sont des petites collines isolées, elles sont bien au fond d'une vallée bordée de montagnes plus élevées, dont, à l'Est, la longue ligne de crête forme la frontière avec le Laos. Seules A et B sont en hauteur.

Image

Image

Ils se sont installés là en raison de l'aérodrome préexistant, pour le contrôler et s'en servir. Par contre, ils n'ont pas investi les positions fortes: aucun des deux flancs de montagne de part et d'autre.

Peut-être que pour couper la route du ravitaillement par le Laos n'y avait-il aucun autre endroit possédant une piste d'atterrissage? Il faudrait rechercher sur des cartes d'époque. La piste japonaise apparemment était en mauvais état et il a fallu la remettre en état. Puisqu'il fallait une piste pour amener hommes et équipement depuis le sud-Vietnam, n'était-il pas possible d'en construire une ou d'utiliser des hélicoptères, plutôt que de vouloir utiliser cette piste située dans une vallée dont on ne contrôle pas les flancs? (les Japonais ont bien construit cette piste en pleine guerre).

Outre le moment mal choisi pour une telle opération, comme le montre CEN_Edg, n'y a-t-il pas une mésestimation 1. de la topographie, 2. de la capacité des Vietnamiens à amener et ravitailler l'artillerie, 3. de la capacité de l'artillerie française à déloger les nids d'artillerie par des tirs à flanc de montagne.

Si cela ne constitue pas des erreurs de jugement, quelles leçons tirer de DBP? Quelles erreurs? Doit-on retenir qu'il n'y a eu aucune erreur tactique ou stratégique à ce positionnement?

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Message Publié : 20 Mai 2019 14:03 
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Vous répondez à votre propre question : les Français ont choisi Dien Bien Phu car il y avait une piste en mesure de recevoir des norias d'avions de transport après seulement des travaux de remise en état limités. Ils sont partis du principe que rien ne menacerait la piste, puisque les Viets n'arriveraient jamais à amener de l'artillerie lourde et antiaérienne aussi loin de leurs bases, en quantité suffisante pour que la contre-batterie française ne soit pas efficace ou que l'armée de l'Air (et l'Aéronavale) en soit neutralisée.

Toutes les autres considérations sont valides : Dien Bien Phu est en plein sur l'axe offensif viet pour rejoindre ses bases chinoises et le coeur de Laos ; le haut pays thaï est riche en riz, considération importante puisqu'il s'agit tout autant d'en dénier l'accès aux Viets ; le fait que ce soit en pays thaï joue aussi son rôle, il faut montrer que l'Union française est là pour ces loyaux alliés aussi ; le fait que ce soit une base excentrée par rapport au delta du Tonkin est décisif, enfin, puisqu'il s'agit d'attirer le corps de bataille viet là-bas, zone très secondaire, parce qu'on refuse que la "ligne de Lattre" soit perforée et Hanoï menacée alors même que les négociations de Genève sont en cours.
Je répète que ce point est décisif : il faut une base aéroterrestre, donc disposant d'une piste de capacité suffisante et qui peut être utilisable sans délai, et surtout qu'elle soit éloignée du delta du Tonkin pour être sûr que le corps de bataille viet ne puisse y opérer avant la saison des pluies. Il n'y a que Dien Bien Phu qui satisfasse à ces deux conditions fin 1953.

Le choix s'est avéré mauvais, c'est entendu, à partir du moment où l'artillerie viet ne peut être contre-battue efficacement (ou neutralisée par la troisième dimension), sous condition que les Viets réussissent à en amener suffisamment pour qu'elle présente un danger. Ces deux présuppositions (a) ils n'amèneront jamais des pièces en grande quantité, c'est trop compliquée vu le terrain et les élongations ; b) même s'ils en amènent en quantité significative, ils n'ont rien qui ne puissent être contre-battus efficacement par des obusiers de 105mm, de 155mm et l'aviation) se sont révélées fausses. Ne l'eussent-elles été, Dien Bien Phu aurait été une grande victoire française, sans aucun doute. Mais c'est très loin d'être le premier plan où la mésestimation entraîne la défaite (pour le domaine que je connais le mieux : regardez "Barbarossa", ou la campagne de Russie de 1812, ou le plan "Schlieffen" modifié de 1914, ou Midway 1942, ou la campagne d'Eugène de Savoie qui aboutit à Denain en 1712, etc., etc.).

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Message Publié : 20 Mai 2019 14:28 
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Grégoire de Tours
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Peut-être étaient-ils mal renseignés sur l'artillerie du VietMinh, leur portée notamment, et la capacité d'adaptation des Vietnamiens qui ont démonté les pièces d'artillerie pour les transporter. Ils avaient des 105mm Howitzers américains notamment, récupérés par la Chine en Corée.

Il serait intéressant de savoir comment la piste fut premièrement construite par les Japonais, à un endroit où il n'y avait pas de piste. Le génie a-t-il examiné la possibilité d'aménager une piste ailleurs? Les travaux de rénovation de l'ancienne piste ont nécessité le parachutage de bulldozer et d'engins lourds qui auraient aussi bien pu fabriquer une piste ailleurs.

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Dernière édition par Invité1859 le 20 Mai 2019 14:34, édité 1 fois.

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Message Publié : 20 Mai 2019 14:30 
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Jean Froissart
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Darwin1859 a écrit :
Peut-être que pour couper la route du ravitaillement par le Laos n'y avait-il aucun autre endroit possédant une piste d'atterrissage? Il faudrait rechercher sur des cartes d'époque. La piste japonaise apparemment était en mauvais état et il a fallu la remettre en état. Puisqu'il fallait une piste pour amener hommes et équipement depuis le sud-Vietnam, n'était-il pas possible d'en construire une ou d'utiliser des hélicoptères, plutôt que de vouloir utiliser cette piste située dans une vallée dont on ne contrôle pas les flancs?
Je ne suis pas du tout un spécialiste, mais je crois bien qu'en 1953 cette possibilité est totalement exclue.


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Message Publié : 20 Mai 2019 14:33 
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Les hélicoptères commencent seulement à être utilisés en 1953-1954. Ils sont très rares, emportent peu de fret ou de personnel sur des distances réduites. Très vulnérables, ils sont essentiellement dévolus aux évacuations sanitaires au début de 1954.

Donc en effet, hors de question d'envisager un ravitaillement uniquement par hélicoptère - ce qui n'a pas de sens non plus si la zone de poser est le feu de l'artillerie, pas plus qu'un "Dakota".

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