Ma foi, je n'ai pas parlé nécessairement du petit peuple. L'élite, les échevins, ce qui restait de noblesse locale...
Ceci dit, qu'est-ce qui nous dit que le
petit peuple n'était pas sensible aux dépenses de prestige au XVIIIème siècle? Il est peut-être bien là et pas ailleurs, le stéréotype anachronique.
En tous cas, nous en tomberons d'accord, il s'agissait de dépenses de prestige destinées, entre autres choses, à donner à l'Alsace le goût du giron français.
Citer :
Ambitieux de faire admirer aux Strasbourgeois les splendeurs et les élégances d'un style alors inconnu en Alsace, c'est lui [Mgr de Rohan] - qui leur en offrit tout ensemble le premier exemple et le plus magnifique exemplaire. Le prestige de l'œuvre s'ajoutait à l'éclat du nom pour susciter de tous côtés des émulations fastueuses jusqu'à la prodigalité. »
Les Strasbourgeois, Français depuis 1681, avaient boudé pendant cinquante ans les usages, les modes, la langue et l'architecture des Français. Même l'architecture.[...]
Au total, du style français longtemps dominant, du style Louis XIV, on n'avait guère retenu, çà et là, que quelques détails : un cartouche, un mascaron, une clef de voûte.... Le moins possible, eût-on dit. Mais le style Régence, une fois mis à la mode par Son Éminence, on eut à cœur de se rattraper et noblesse et clergé, le clergé avec plus d'entrain encore que la noblesse (à laquelle il appartenait, à vrai dire) construisirent hôtels sur hôtels. [...] Et c'est ainsi qu'en peu d'années, comme s'il s'agissait de profiter d'une vogue, d'une aubaine, et de quartier en quartier — jusque dans les coins d'apparence aujourd'hui déshérités —Strasbourg s'est composé un visage Louis XV, plein de rêves et de sourires. Pour .avoir suivi son prince-évêque. En sorte qu'il n'est pas dans tout Strasbourg, pourrait-on soutenir, une traverse de porte dans le goût de ces années 1730 à 1760 ou 1770, pas une rampe d'escalier du même style, pas une coquille de fer forgé, pas un dessin de boiserie à flammèches et à effilochements, ni une façade entière aux lignes onduleuses, ni une simple marche de perron arrondi, où l'on n'aurait quelque raison de graver avec gratitude cette formule à la romaine, ex dono Cardinalis ou, si l'on veut, d'une manière plus large, ex dono Cardinalium[...]
Et que les Alsaciens aient sacrifié leurs vieilles demeures paternelles pour se loger désormais à la française, selon la leçon du jour, la transformation, si l'on veut bien y réfléchir, est à peine croyable[...]
Donc, vers 1760 et 1770, la fusion architecturale était faite, comme la fusion politique. Pour ce qui est de la fusion morale, c'est une autre affaire. La fusion morale, c'est toujours une autre affaire. Nous savons, surtout depuis 1918, comment on la prône, comment on la cherche et comment, malgré beaucoup de bonne volonté, il peut arriver qu'on la manque.
Carlos Fischer,
Trois siècles d'Alsace française, La Revue des Deux Mondes.