Une analyse inattendue de la fuite à Baden

La journée du 29 mai 1968 a fait couler beaucoup d'encre. Pourtant, Henri-Christian Giraud ne se satisfait d'aucune version officielle. Il soutient que la visite rendue au Général Massu fut en réalité l'occasion pour de Gaulle de s'assurer du soutien du Kremlin, au cœur de la tourmente de Mai 68.

https://amp-lefigaro-fr.cdn.ampproject. ... 20%251%24s

La journée du 29 mai 1968 a fait couler beaucoup d'encre. Comme l’assassinat de JF Kennedy. C’est ce qu’on appelle en terme journalistique un marronnier.
Comme ni de Gaulle ni Massu n’ont révélé le contenu exact de leur entretien, il n’y a pas de version officielle.

Henri-Christian Giraud prétend que de Gaulle et la Cinquième République auraient été sauvés par le Kremlin qui aurait ordonné au PCF et à la CGT d’aider le gouvernement à mettre fin à la chienlit. Il explique cela dans L’accord secret de Baden-Baden publié en 2008 ainsi que dans cet interview : https://www.canalacademie.com/emissions/hist339.mp3. Auparavant il avait publié de Gaulle et les communistes. Il est de ceux qui présenté Jean Moulin comme un crypto-communiste.

La thèse du gaullisme soutenu par les communistes est difficile à croire. Mai 68 n’a pas eu véritablement de caractère insurrectionnel. Le pays fut simplement paralysé pendant deux semaines par une grève générale. Les grévistes présentaient des revendications sociales. Très peu avaient le sentiment de mener une révolution. Il n’y a pas eu d’insubordination ni dans l’armée ni dans la police. Le PCF et la CGT n’avaient rien planifié. Si les institutions ont pu paraître menacées, ce ne fut que très brièvement pendant les trois jours des 27, 28 et 29 mai, lorsque des assemblées générales rejetèrent les accords de Grenelle et refusèrent la reprise du travail. Mais la manifestation du 30 qui mit un demi-million de personnes dans la rue à Paris pour soutenir de Gaulle à l’instigation de Malraux marqua la fin de la récréation. Ni le PCF ni son grand frère soviétique n’ont probablement jamais eu l’intention d’installer un nouveau régime. Quoi qu’il en soit, le peuple français avait de lui-même décidé de mettre fin aux mouvements de revendication et de contestation avant que les communistes aient eu le temps de décider quoi que ce soit. Du reste, le Kremlin était certainement beaucoup plus préoccupé par le Printemps de Prague que par les manifestations et grèves en France.
Il est vraisemblable que de Gaulle et Pompidou aient voulu prendre la température du Krelmin. Mais nul besoin d’aller à Baden-Baden pour cela. Les explications d’Henri-Christian Giraud sont tirées par les cheveux.

De Gaulle s’est laissé un court moment aller à un mouvement de panique en se rendant à Baden-Baden et en y faisant venir sa femme et la famille de son fils Philippe. Mais Massu a su le ramener à la raison et toute la famille est rentrée à Paris.

Cette thèse ne tient pas, d'abord parce que le PCF ne cherchait en aucune façon à prendre le pouvoir, ensuite pour une raison un peu oubliée aujourd'hui, mais très prégnante à l'époque : communistes et gauchistes se détestaient, voire se haïssaient cordialement.

Pour le PCF, les groupes gauchistes (qui souvent comptent des exclus du PCF) sont des petits bourgeois, qui ne respectent pas les canons du marxisme, des ados pseudo-révolutionnaires qui singent la révolution, alors que le parti révolutionnaire c'est lui.

Ils n'ont pas attendu Baden-Baden pour s'affronter. Il y a le fameux éditorial de Georges Marchais qui dénonce dans l'Humanité les agissements erratiques de "l'anarchiste allemand" Kohn-Bendit. Lequel, au cours du défilé unitaire du 13 mai - les syndicats ouvriers apportant leur soutien aux étudiants, sous la pression de la base - avait déjà lâché devant les micros de journalistes :"Mon plaisir de la journée a été d'être en tête d'une manifestation où les crapules staliniennes se trouvaient dans le fourgon de queue."

C'était le grand amour. Le PCF craignait par dessus tout que les gauchistes prennent de l'influence, contre lui, dans la classe ouvrière où ils étaient peu représentés. Il n'avait rien de plus pressé que de mettre fin au mouvement en mettant fin aux grèves, parties de la base et que la CGT avait dû endosser. (Feignons de diriger ce mouvement que nous ne contrôlons pas.)

C'est dans ce contexte que des négociations secrètes se nouent entre le PCF et le gouvernement. C'est Chirac, membre du cabinet de Pompidou, qui les mène côté gouvernement, j'ai oublié le nom du mandataire communiste. L'entente se fait sur l'idée de négociations accompagnées de concessions importantes du patronat, en échange de la fin des grèves, ce qui donnera - en trois jours ! - les Accords de Grenelle.

Le Kremlin ? Ce n'est un secret pour personne, ils "votaient" De Gaulle. Estimant à juste titre que la situation en France n'était pas révolutionnaire, ils préféraient la position gaullienne d'équilibre entre les grandes puissances à des candidats atlantistes comme Giscard et Mitterrand.

_________________
Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)

Je ne comprends pas bien l intervention de Pierma.

Elle semble valider l idee d une alliance de fait entre De Gaulle et l Urss !

Ou alors j'ai mal compris !

Non, je ne vais pas jusque-là.

Tout d'abord la position du PCF pendant les évènements de Mai 68 s'explique par des considérations franco-françaises : le PCF ne veut en aucun cas être submergé par un raz de marée gauchiste dans sa base ouvrière. Hors au début du mouvement les gauchistes ont le vent en poupe.
(Autre indice : le PCF, via les délégués CGT, mettra tout en oeuvre pour faire cesser la grève et remettre les ouvriers au travail, avec l'argument que la grève avait eu des résultats significatifs à Grenelle. Ce qui n'est d'ailleurs pas faux.)
De Gaulle dans son fameux discours "J'ai pris mes résolutions" - un de ses meilleurs - met en cause sans le nommer le Parti Communiste, "entreprise totalitaire" qui veut imposer "la dictature dite du prolétariat", mais c'est de la rhétorique classique et électorale. Il sait très bien que le PCF a négocié en coulisse et vise au contraire le retour au calme.

Du côté de l'Union Soviétique, on ne rêve pas d'une alliance avec De Gaulle, dont on a noté par exemple la position sans détour au moment de l'affaire de Cuba : un soutien total et explicite à Kennedy. En cas de conflit armé, sa position ne fait pas de doute. Mais le PCF n'étant pas en position de prendre le pouvoir en France, on préfère que celle-ci soit gouvernée par un homme qui maintient à égale distance les deux blocs, et a décidé par exemple le retrait du commandement unifié de l'OTAN et donc la fermeture des bases américaines en France.

Pour faire simple, on préfère à Moscou une France indépendante à une France vassale des USA, avec un président atlantiste. (on pourrait noter d'autres occurences où Moscou a accueilli avec satisfaction la position gaulliste, comme par exemple le discours de Pnohm Penh ou il invitait les Américains à quitter le Viet Nam, jugeant la victoire impossible.)

Ces bonnes dispositions expliquent par exemple que Moscou ne mettra pas son véto aux visites de De Gaulle dans les pays de l'Est. Quel autre dirigeant occidental aurait obtenu un tel accord ? (De Gaulle anticipe un peu, trop visionnaire pour une fois, avec l'idée que "la Russie absorbera le communisme comme le buvard absorbe l'encre" et ces visites seront des déceptions : en Pologne, l'équipe de Gomulka lui rappellera qu'ils sont de bons communistes et des alliés sans faille de Moscou. De Gaulle a raison sur le fond, mais avec 20 ans d'avance.)

_________________
Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)

Merci pour cette réponse précise et instructive.