Bonjour,
Les militaires étaient obnubilés par Greenpeace. Si un sous-marin soviétique avait été détecté en patrouille à proximité de Mururoa, cela ne les aurait pas préoccupé davantage que la présence à Auckland d’un bateau de Greenpeace. La décision de neutraliser ce bateau ne s’explique pas autrement.
Cette affaire est relatée assez abondamment sur wikipedia.
Il ne fait aucun doute que le président Mitterrand n’était pas seulement informé mais qu’il avait donné un accord verbal mais sans entrer dans les détails : de minimis non curat pretor, le président n’était pas encore à cette époque l’hyper-président. Charles Hernu, ministre de la Défense sous l’autorité duquel la DGSE était placée, proche de François Mitterrand, était nécessairement informé. C’est peut-être même lui qui eut l’idée du coup de main. En revanche il est vraisemblable que le premier ministre, Laurent Fabius, ait été laissé à l’écart. Dans la tradition instaurée par Charles de Gaulle, la défense et les affaires étrangères sont du domaine réservé du président de la République.
L’hypothèse d’une opération délibérément mal montée pour nuire à Mitterrand ne tient pas pour différentes raisons.
Il est certain que la majorité des militaires inclinaient politiquement à droite et qu’ils n’aimaient pas Mitterrand mais ils n’avaient aucune raison de faire acte d’indiscipline contre un pouvoir qui restait dans la continuité de la politique de défense et de relations extérieures suivie depuis de Gaulle.
En tant que militaires, ils exécutaient avec discipline les ordres donnés par leurs chefs tous des militaires dont le directeur de la DGSE.
Quand la mission ordonnée visait à frapper l’ennemi qu’était l’organisation pacifiste, anti-militariste et anti-étatiste qu’était Greenpeace menaçant les intérêts supérieurs de la France, il ne pouvait venir à aucun militaire l’idée de faire échouer la mission. Ils auraient été au contraire plutôt enclins à l’excès de zèle.
En tant que professionnels affectés dans des unités ou services d’élite, ils ne pouvaient que s’attacher à faire preuve de professionnalisme.
L’échec de la mission les discréditait et nuisait à eux-mêmes et aux services auxquels ils appartenaient bien avant de nuire à l’homme politique François Mitterrand. De plus elle a eu des conséquences très dommageables en matière de relations internationales.
L’échec de la mission s’explique par la loi de Rocard rappelée par Rob1 : quand ça déconne, c’est dû à une connerie bien plus souvent qu’à une intention. En l’occurence, s’est glissé un grain de sable : un vigile posté sur le quai parce que des cambriolages avaient été commis récemment avait relevé le numéro d’immatriculation des faux époux Thurenge. C’était peut-être dû à un manque de professionnalisme de leur part, mais certainement pas à une intention de tout faire capoter dont ils auraient été les premières victimes.
En fait, ce qui était aberrant était l’idée même de saboter le bateau de Greenpeace. A la rigueur pouvait être défendue l’idée de rendre indisponible le bateau pour quelque temps mais décider de le couler en risquant des vies humaines était à la fois une faute et une erreur. Je me souviens des propos de Michel Jobert, qui avait été secrétaire général de la présidence de la République sous Pompidou, interrogé sur cette affaire : il arrivait parfois que des projets extravagants du même genre lui étaient présentés et il y mettait son veto.
A 25 a écrit :
Je partage votre analyse cher Rob.
Deux points m'échappent cependant.
Primo admettons que Mitterrand n'ait pas été vraiment informé des détails de l'opération mais comment expliquer que des gens sensés et expérimentés comme Hernu ou l'amiral DGSE aient pu accepter l'idée de commettre un attentat à la bombe dans un pays allié ?
Secundo, il est exact que les opérations spéciales de la DGSE doivent être validées par le directeur du cabinet du PM.
il semblerait que cela n'a pas été le cas - d'où la colère de Fabius ?
Primo
La DGSE est spécialisée dans tout tout ce qui sort de la légalité et des rapports normaux entre puissances alliées. Quand l'intérêt supérieur commande une action illégale ou déloyale envers un allié, les règles normales sont enfreintes. C'est à l'autorité politique de fixer les limites à ne pas franchir. En l'espèce il était parfaitement concevable d'empêcher en territoire néo-zélandais Greenpeace d'organiser une action contre des essais d'armes nucléaires. L'Australie et la Nouvelle-Zélande ont toujours exprimé une grande hostilité à ces essais. Evidemment, la condition sine qua non d'actions illicites est de ne pas se faire prendre.
Secundo
La chaîne de commandement opérationnel militaire ne passe pas par le premier ministre. L'autorité supérieure est le président de la République qui s'adresse directement au chef d'état major-major des armées. La DGSE est en marge. Elle n'est pas placée sous le commandement du chef d'état-major des armées. Des opérations spéciales peuvent être engagées après communication directe entre le président de la République et le directeur de la DGSE.