Le témoignage de Pierre Clostermann ("l'histoire vécue", Flammarion) abonde dans votre sens, LaGhis.
Sa passion de la pêche l'a fait se retrouver le 11 septembre 1973 à Santiago. Il connaissait déjà le pays, en pratiquait la langue, avait quelques amis et relations sur place.
Sa description du régime d'Allende est apocalyptique. Il ne nie pas que les Américains étaient en situation d'exploiteurs mais présente le régime d'Allende comme le basculement d'une situation à peu près normale dans l'abîme (décisions prises d'un point de vue uniquement idéologique en déconnexion de la réalité, inflation à 1000 %, anarchie et émeutes de la population qui n'a plus rien à manger,…).
Il rapporte qu'Allende a créé une police spéciale directement sous ses ordres qui faisait régner la terreur chez les opposants (il ne donne pas son nom), qu'un de ses amis dont le fils était secrétaire du syndicat –socialiste- des nitrates a été arrêté et torturé après une manifestation par cette police et son corps retrouvé bien plus tard "dans un de ces charniers découverts récemment, attribués par les bonne âmes à Pinochet."
Diablophil a écrit :
Mais je doute également qu'Allende se soit interdit l'usage de la force pour imposer ses vues. L'armée lui étant hostile, a-t-il cherché à s'appuyer sur des groupements paramilitaires d'extrème-gauche ?
Clostermann dit à ce propos :"Pour soutenir cette règle, Allende crée une police d'état spéciale, directement sous ses ordres, embrigadant des milliers de proscrits, guérilléros, hors-la-loi, des mouvements anarchistes de toute l'amérique du sud qui affluent vers ce havre marxiste ! C'est un échantillonage complet -Mir, Mapu, Sentero Rojo, Frente Norte 300, Epl, Farc M19, etc. Ils feront vite régner la terreur, matant toutes les oppositions."
Il y a un point qui a tout particulièrement retenu mon attention. Clostermann affirme (après notamment un entretien avec un érudit local du nom d'Isidro Fuentes) que l'armée était traditionnellement légaliste (d'ailleurs l'un d'entre vous a dit ici qu'il n'y avait pas de précédent avant les année 20, si j'ai bien lu).
Il dit que, pour la calmer et la rassurer, des ministres militaires avaient été nommés et qu'ils ont ensuite démissionnés (probablement devant la situation catastrophique).
Encore mieux, il dit que l'armée ne comptait que 8 000 "professionnels" et que ce très faible effectif ne suffit pas à expliquer la prise du contrôle du pays en si peu de temps sans soutien ou au moins indifférence populaire. Santiago et sa banlieue rouge entre 8 et 11 h du matin, en trois jours l'ensemble du pays de 15 millions d'habitants, disposé comme on le sait sur une longue bande de terre dont la route et la voie ferrée centrale aurait été facile à couper.
Il cite le cas de la plus grande mine à ciel ouvert,
El Teniente de Chiquimata, où travaillaient 50 000 personnes appartenant au plus dur des syndicats et qui fut contrôlé par une dizaine de soldats sous les vivats des ouvriers…
Bref, il dit à ce sujet que, d'après ce qu'il a vu et entendu, la population a accueilli le coup d'état de Pinochet comme une libération…
Clostermann, de retour en France, constate l'écart entre ce qu'il a vu et sa relation dans la presse française et fait un article pour mettre les choses aux points. Son article sera refusé par le
Figaro afin "de protéger mon image aux yeux des Français", par
le Monde, par
l'Aurore, dont la propriétaire l'invita à déjeûner pour lui dire qu'on ne pouvait dire à un public préalablement mis en condition que ce qu'il voulait entendre et qu'il risquait d'être marqué du sceau infâme de "l'extrême droite"…