Je ne peux m'empêcher de livrer à vos commentaires ces déclarations de de Gaulle, rapportées par Peyrefitte, sur l'indépendance de l'Afrique noire :
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Après le Conseil du 25 juillet 1962.
« On n’a pas laissé aux Noirs le temps de mûrir. Ce sont encore de grands enfants. Il faut leur parler comme on parle aux grands enfants : en respectant leur dignité et en se faisant respecter d’eux. C’est le seul moyen de garder leur confiance. »
Le Général est très détendu. J’en profite pour lui raconter ce que m’avait dit le docteur Schweitzer, auprès duquel, en août 1959, j’avais passé quatre jours à Lambaréné, dans son village de paillotes appelé « hôpital » : « De Gaulle se trompe. Pourquoi veut-il décoloniser si vite ? Il veut traiter les nègres comme s’ils étaient des Blancs. Pourquoi veut-il les mettre dans des bureaux ? Ce sont des chasseurs, des pêcheurs, à la rigueur des paysans, des manuels. Ils le resteront. Les masses africaines en sont encore au néolithique. De Gaulle ne se rend pas compte qu’ils ne sont pas mûrs pour la démocratie. Encore moins pour l’indépendance. Elle sera pour eux une tragédie. »
GdG : « Vous croyez que je ne le sais pas, que la décolonisation est désastreuse pour l’Afrique ? Que la plupart des Africains sont loin d’être arrivés à notre Moyen Âge européen ? Qu’ils sont attirés par les villes comme les moustiques par les lampes, tandis que la brousse retournera à la sauvagerie ? Qu’ils vont connaître à nouveau les guerres tribales, la sorcellerie, l’anthropophagie ? Que quinze ou vingt ans de tutelle de plus nous auraient permis de moderniser leur agriculture, de les doter d’infrastructures, d’éradiquer complètement la lèpre, la maladie du sommeil, etc. C’est vrai que cette indépendance était prématurée ! C’est vrai qu’ils n’ont pas encore fait l’apprentissage de la démocratie ! Mais que voulez-vous que j’y fasse ? Les Américains et les Russes se croient la vocation de libérer les peuples colonisés et se livrent à une surenchère. C’est le seul point qu’ils ont en commun. Les deux super-grands se présentent comme les deux anti-impérialistes, alors qu’ils sont devenus les deux derniers impérialistes. Un vent de folie a soufflé sur le monde. Ce qui aurait dû s’étaler sur cinquante ans s’est déroulé en deux ou trois. Mais on ne pouvait pas s’y opposer. Nous n’allons pas nous offrir le luxe de nouveaux affrontements.
« Et puis (il baisse la voix), vous savez, c’était pour nous une chance à saisir : nous débarrasser de ce fardeau, beaucoup trop lourd maintenant pour nos épaules, à mesure que les peuples ont de plus en plus soif d’égalité. Nous avons échappé au pire ! Il n’est pas possible que, dans la même République française, on puisse trouver des citoyens qui aient un des niveaux de vie les plus élevés du monde, et d’autres citoyens qui aient un des niveaux de vie les plus bas. […] Au Gabon, Léon M’Ba voulait opter pour le statut de département français. En pleine Afrique équatoriale ! Ils nous seraient restés attachés comme des pierres au cou d’un nageur ! Nous avons eu toutes les peines du monde à les dissuader de ce statut. […]
AP. — Vous n’empêcherez pas que les distances se creusent entre les élites qui atteignent le niveau européen, et les masses qui restent à l’âge de pierre.
GdG. — Non, nous ne l’éviterons pas ! Mais ce sera leur affaire. Vous verrez que leurs médecins s’agglutineront dans les villes. Vous verrez que la brousse, au lieu de progresser, reculera. C’est encore une chance si, ensuite, ils ne quittent pas leurs pays pour venir s’installer en France. Mais là, au moins, nous pourrons dire non.
« Jusqu’au jour où les masses regretteront le temps où nos médecins coloniaux allaient dans la brousse, où nos missionnaires les évangélisaient, où nos troupes coloniales les protégeaient des guerres tribales… Le malheur, c’est que les Africains ne s’aiment pas entre eux. Les intellectuels abandonneront leur peuple, et leur peuple sera rejeté au fond du puits. Que voulez-vous que j’y fasse ? Nous leur distribuerons des piécettes, mais nous ne sommes plus responsables de leur destin. […] Au lieu de ça, pour des considérations d’amour-propre, ils se sont entêtés à vouloir, chacun, tout ou rien de son système, comme des gosses. Ils sont cassé le jouet que nous leur avions offert. Ce n’est pas moi qui pleurerai ! Un jour viendra sans doute, où ils pleureront d’avoir voulu partir si vite. »
Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, tome II, 622-625