Poirot a écrit :
taloslecyborg a écrit :
Du temps de Louis Le Pieux , son fils Charles avait été Roi d'Aquitaine , aussi le texte "Roman" des Serments de Strasbourg n'est surement pas de la langue d'oil , mais ressemble plutot à du Catalan(c'étaient peut-etre des contingents fournis par le comte de Barcelone , Jofre le Poilu )
On a vraiment tout dit sur ce passage en langue romane du serment de strasbourg...
Occitan, langue d’oïl, picard, lyonnais, bas-lorrain, poitevin et maintenant catalan... Et sur ces hypothèses, on rajoute des hypothèses (les contingents peut-être fournis par le comte de Barcelone, ce qui explique que la langue soit du catalan... Beau serpent qui se mord la queue
)
Bref, on ne sait pas de quelle langue ce passage en roman est l'ancêtre, et à moins d'une avancée fracassante dans le domaine de la linguistique (toujours possible, ne cédons pas à l'abattement), on est obligé d'en rester à "c'est du latin qui a évolué" et pis c'est tout
Non, je ne suis pas d'accord. Il y a des éléments phonétiques et syntaxiques très clairs qui montrent qu'il s'agit de la
langue d'oïl (picard, poitevin et bas-lorrain en font partie) ou éventuellement du
franco-provençal. La majorité des chercheurs se rangent derrière la première solution et les quelques tenants d'une langue de frontière entre deux domaines linguistiques, c'est-à-dire de dialecte comme le poitevin ou de la langue franco-provençale, se fondent essentiellement sur quelques formes qui semblent aberrantes à première vue pour les dialectes d'oil.
Il faut préalablement rappeler une chose fondamentale : les changements phonétiques sont réguliers et que la graphie ancienne est beaucoup plus proche de la prononciation que ne l'est l'orthographe du français aujourd'hui.
*Si
p latin intervocalique se transforme en
v [v], tous les
p intervocaliques sont concernés (même contexte). C'est le cas ici dans
savir "savoir" du latin
sapere, seuls la
langue d'oil et le franco-provençal ont [v] alors que les autres langues romanes conservent
p (italien
sapere) ou ont
b (occitan, espagnol)
*le
dh de
aiudha,
cadhuna et
Ludhuvig est prononcé comme le
th sourd de l'anglais dans
thatcher et montre que le
d originel intervocalique est en train de s'effacer, ces faits phonétiques avec la date sont bien attestés notamment avec les toponymes relevés à époque ancienne : ainsi le [t] original de
Rotomagus (Rouen) est devenu [d] dans la forme
Rodomo antérieurement au Xe siècle, par la suite ou en même temps on trouve
Rothom, dont le
th =
dh, variante graphique, et qui explique Ruðuborg ou Ruða (ð = th), le nom viking de la ville encore utilisé en islandais moderne, car connu de ces Scandinaves au IX-Xe siècle. Or cet amuissement complet ne s'est produit qu'en
langue d'oil et en franco-provençal, dans les exemples du Serment :
aiudha > ancien français
aïe (cf. la devise médiévale normande
Diex aïe !),
aide est une réfection semi-savante;
cadhuna > ancien français
chaün, cheün “chaque” (alors que l'occitan conserve d =
caduna ; même chose pour
chaine, occ. esp.
cadena, it.
catena). A noter le maintien de
ca- initial au lieu du
cha- che- du français central et du franco-provençal est un trait secondaire, cette évolution n'a pas eu lieu en normand septentrional et en picard
eune caine =
une chaine (
Karle ,
cose également). Quant à Louis :
Ludhuvic >
Luuvi >
Louis (esp.
Luis est un emprunt au français)
*
fazet (≠ ancien occitan
faza, latin
faciat), [au] latin est passé à [o] dans
cosa “chose” (≠ occitan
causa “chose”. En français le mot
cause est un latinisme), la 3ème personne du subjonctif du verbe
être (
*siat en latin vulgaire) est notée
sit (≠ ancien occitan
sia)
*Dernier fait, et non des moindres, le
français est la seule langue romane a utiliser le pronom personnel de manière obligatoire, ici
eo ,
io,
o autres formes de
je, ainsi dans
io pois "je puis" et
o prindrai "je prendrai" (on dit couramment
prindre pour prendre en normand et en picard, je suppose aussi dans d'autres dialectes).
Ces changements phonétiques étant réguliers, les faits phonétiques constatés excluent donc l'occitan, ainsi que les remarques d'ordre syntaxique.
En revanche, les arguments jadis utilisés pour parler d'"occitan" sont bancals, (en revanche poitevin ou lyonnais tiennent mieux la route)
*
sagrament semblable à occitan
sagrament peut très bien être
aussi du français archaique ou du franco-provençal , ainsi SACRAMENTU est devenu
sairement (et
sacrament forme semi-savante) en ancien français >
serment et
sacrement, mais le
sagrament peut être une forme antérieure
g ne s'étant pas obligatoirement amuï devant
r, ainsi MACRU a donné
maigre, forme intermédiaire, on peut donc avoir eu un
*saigrament >
*saigrement également, inversement la forme
maire pour
maigre est relevée en bas-lorrain ou en champenois.
*le
a de
sendra "sire" n'est pas non plus un argument, puisque on trouve parallèlement
pedra "père" dans un texte plus tardif d'oil,
a notant
e atone
*
o de
poblo "peuple" est probablement un archaisme également, un peu plus tard on trouve
poble dans un autre texte d'oil.
*
ab (dans
et ab Ludher, occitan moderne
amb “avec” -
ab en occitan ancien), qui ne s'emploie pas en ancien français au sens comitatif d'« avec », mais il a pu disparaître auparavant (archaisme) ou être conservé régionalement.
Il est assez probable que ce texte n'ait pas de valeur dialectale, puisqu'il s'agit d'une composition artificielle, administrative, littéraire, typique d'une chancellerie où s'ébauchaient les prémices d'une langue d'oil unifiée (c'est pour cela d'ailleurs que l'on ne parle que de
scripta pour désigner le caractère plutôt picard, plutôt bas-lorain, etc.,des textes médiévaux, car il n'ont généralement que quelques traits dialectaux que leurs auteurs tentent de gommer). A noter la précocité des attestations de la langue d'oil, dans cette continuité, par rapport à toutes les autres langues romanes. Je recommande Bernard Cerquiglini,
La naissance du français, que sais-je chez PUF, à qui j'emprunte quelques idées. C'est court et ça se lit très bien, même quand on est pas linguiste. Autre chose, dans les quelques lignes que j'ai écrites, le raisonnement est purement linguistique, c'est dire que je ne fais intervenir aucun fait historique, sur l'origine des troupes etc...