D’un point de vue commercial, les Scandinaves étaient confrontés à un autre problème. Pour pouvoir acquérir des marchandises en provenance de Méditerranée, ils devaient proposer des marchandises en échange. Or, ils ne disposaient que de fourrures, d’ivoire de morse –concurrencé par l’ivoire d’éléphant-, d’ambre et de miel. Il s’ensuit qu’ils avaient une balance commerciale excessivement déficitaire avec leurs partenaires du sud dont ils convoitaient virtuellement toutes les marchandises soieries, parfums, métaux, inventions, épices, animaux exotiques et produits de luxe. Les Scandinaves devaient absolument rééquilibrer leur balance commerciale.
Or, il se trouve que les Sarrasins d’Espagne étaient les plus gros consommateurs d’esclaves en Occident. De leur côté, les Francs (notamment Louis le Pieux) ont multiplié les interdictions relatives à la traite des esclaves dans l’Empire ; la route qui alimentait l’Espagne par Lyon et la vallée du Rhône s’en est trouvée pratiquement tarie. Les Sarrasins restaient cependant demandeurs de main-d’œuvre servile.
Les Scandinaves ont alors compris qu’il y avait là moyen de rééquilibrer leur balance commerciale. Ils avaient les acheteurs, les navires, il ne leur restait plus qu’à trouver la marchandise… C’est ainsi que les Scandinaves se seraient faits vikings. C’est une interprétation très personnelle, ceci dit, tous les chercheurs sont d’accord pour dire que la traite des esclaves a bien été l’activité majeure des Vikings. Il suffit de lire les chroniques pour constater que les Vikings raflaient non seulement des richesses, mais aussi de nombreux prisonniers (femmes et enfants principalement).
Etrangement, les flux de la traite n’ont jamais été véritablement étudiés. Certains auteurs anglo-saxons désignent bien l’Espagne comme un terminus, mais ils n’évoquent à aucun moment les routes et moyens de transport utilisés…
Régis Boyer s’y essaie, mais comme il s’appuie sur l’analyse datée de Pirenne, il ignore complètement la Méditerranée dans son analyse des flux commerciaux. Pour lui, tout passe par la plaine russe. Les esclaves faits en Occident (Irlande, Bretagne, Aquitaine), prenaient la direction de la Scandinavie, traversaient la Baltique, puis le Russie, la Mer Noire enfin avant de rejoindre Constantinople. C’est un sacré parcours pas très rationnel (distances, intermédiaires, pertes, coûts de transport), mais pourquoi pas ?
Ces chercheurs ajoutent, que de Constantinople, de nombreux esclaves rejoignaient Bagdad et… Cordoue en Espagne. Là, je tique.
Bien que je ne sois pas agrégé, je trouve pour le moins étrange que les Vikings présents en Irlande, Angleterre, Neustrie, Bretagne, Aquitaine, Gascogne et Navarre aient choisis de faire transiter leurs esclaves par Hedeby, Novgorod et Constantinople pour aller en Espagne. Je sais que cette réflexion est hautement antiacadémique, voire « gogologique » –comme toute réflexion semble-t-il-, mais étant quelqu’un de fruste et relativement simple, je me la pose.
Je ne cache pas que ce côté « fruste et simple » -sans lequel je n’aurais pas pu écrire ces ouvrages- a gravement nui à ma carrière universitaire dans mes jeunes années…
Donc, pour finir cette présentation, il ne me parait pas absurde que les Vikings aient acheminé leurs esclaves faits en Europe occidentale directement en Espagne à travers l’Aquitaine et la Gascogne.
La Gascogne aurait donc été doublement stratégique pour les Danois : axe de passage est-ouest entre Atlantique et méditerranée, et nord-sud entre France et Espagne. Ce rôle stratégique pourrait expliquer non seulement pourquoi la Gascogne est la première région envahie dès 840, mais aussi pourquoi les Danois s’y seraient installés.
Avant d'en venir à la question de Fabien, je lassie à ceux que cela intéresse, le soin de poser leurs questions et je m'efforcerai d'y répondre avec tout l'honnêteté dont je suis capable