Alain.g a écrit :
Difficile de cerner ce problème d'évaluation du nombre de guerriers sans voir de près le contexte de Poitiers.
En 732, Charles Martel, qui pratique une réflexion politique sur le long terme, a trois objectifs en tête:
1/ Mettre la main sur ce sud-ouest qui parait si riche et prendre le controle de ce puissant duché d'Aquitaine qu'il convoite, et qui justement l'appelle à l'aide, une occasion à saisir. Il cherche aussi à mettre en place un large glacis de protection du regnum francorum
2/ Mettre fin à la poussée arabo-berbère, dite sarrasine qui a été spectaculaire dans un passé récent: Narbonne 719, 721 siège de Toulouse,Carcassonne et Nimes, raid contre Autun 725, en 730 alliance d'Eudes duc d'Aquitaine avec Munuza musulman. Pour Charles, Eudes a trahi, en fait il a cru se mettre à l'abri.
En 731 Charles lance une campagne au sud de la Loire.
3/ En 732, dans le temps court, offensive musulmane, le walli attaque Bordeaux et écrase Eudes devant Bordeaux puis poursuit et saccage Poitiers. L'Aquitaine semble perdue. Eudes demande de l'aide à Charles.
K. F. Werner en déduit que Charles Martel s'est dirigé vers Poitiers avec "une grande armée", il vise non seulement les sarrasins mais davantage: récupérer le sud de la Loire et tout le sud-ouest. Il s'est préparé en 731. Il va donc à Poitiers dans le cadre d'un projet à long terme et va revenir sans cesse dans tout le midi de la Gaule, il reprendra Avignon, Narbonne aux musulmans.
Charles a du rassembler en 732 des effectifs assez considérables, pour l'époque s'entend, ce qui explique la défaite rapide des sarrasins. A mon avis, il y a eu disproportion des forces et imprudence des sarrasins à tant s'éloigner de leurs bases.
Merci pour ces détails. Est-ce que l'on a des informations sur les effectifs du duc d'Aquitaine à la bataille de Bordeaux ? Je vois deux raisons pour ne pas le considérer comme puissant militairement, toutes deux liées à l'alliance avec Mununza.
- L'alliance avec Mununza ne se justifie que si l'Aquitaine n'est pas si puissante au départ. Le fait que l'Aquitaine ait perdu Narbonne et le reste du "Languedoc" face à un simple raid ne laisse pas penser à une grande puissance militaire. Les vikings sont évoqués dans ce sujet, et à mes yeux la prise de Narbonne et le siège de Toulouse sont typiquement vikings (ou arabo-berbères, vu que tactiquement c'est un peu la même chose je crois), c'est-à-dire opportunistes et rendues possibles par la passivité et la désorganisation de leur adversaire.
- L'Aquitaine a très probablement tenté d'aider son allié Mununza dans sa rébellion (comme elle l'a fait dans la guerre menée par son alliée la Neustrie contre Charles Martel en 719), et a donc été défaite par Abd al-Rahman juste avant l'attaque d'Abd al-Rahman contre elle. Ce serait assez logique qu'elle ait participé à la rébellion de Mununza si elle est la cible suivante du gouverneur d'Al-Andalus, et ça expliquerait à la fois la présence de ce dernier à la tête de son armée et le risque qu'il a pris de s'éloigner de ses bases.
Par ailleurs, Charles Martel a pris Bourges un an avant la bataille de Poitiers, comme vous le signalez. J'ignore si l'Aquitaine a défendu sa ville, mais si elle l'a fait, ce qui me semble très probable, sa puissance a du être sérieusement entamée. Si l'Aquitaine n'a pas défendu Bourges, comme Bourges, pas plus que Bordeaux d'ailleurs, n'est la capitale de l'Aquitaine "mérovingienne", je pense que la défaite de telle ou telle garnison n'est cependant pas un exploit pour son vainqueur. La présence du duc d'Aquitaine et de son armée à la bataille de Poitiers redonne de mon point de vue sa juste importance à la défaite de la garnison de Bordeaux face à Abd al-Rahman.
De son côté, si l'armée de Charles était si puissante, pourquoi ne pas reprendre Narbonne, après la défaite d'Abd al-Rahman ? Si un des objectifs de Charles était de mettre fin aux raids d'Al-Andalus (et je suis d'accord que c'était un des objectifs de sa venue à Poitiers), pourquoi laisser Narbonne aux mains de ses ennemis ? C'est d'ailleurs de Narbonne que partiront les raids suivants (prises de Arles et Avignon, en 735). L'Aquitaine s'était reconnue sa vassale, son autre objectif était donc atteint, et pourtant Narbonne lui a résisté victorieusement. Charles Martel n'a jamais repris Narbonne (reprise de la ville en 759, alors que Charles Martel était mort depuis 741).
Ces éléments jouent contre l'implication d'armées importantes, que ce soit côté franc ou Al-Andalus, quantitativement ou qualitativement. Comment Werner, source de Deutsch semble-t-il, justifie-t-il l'importance qu'il donne à l'armée franque, et donc indirectement à l'armée d'Al-Andalus ?