Bonjour, je ne suis pas convaincu par l'argument des titres à céder si Hugues le Grand était devenu roi. Bien sûr, on ne pouvait pas demeurer comte, ni duc, quand on devenait roi.
Mais concernant le titre de duc, ou assimilé : - devenu roi, Rodolphe cessa effectivement de porter son titre de duc de Bourgogne, hérité de son père mort en 921. Et par la suite son frère Hugues le Noir s'intitula marquis. Mais Gilbert de Chalon, lieutenant de Rodolphe - et peut-être son beau-frère -, semble avoir détenu l'essentiel du pouvoir dans ce duché ("comte principal"). Au demeurant cette région était au contact d'un autre royaume, celui de Bourgogne, certes à l'existence récente et un peu agitée (conflit entre Rodolphe Ier et Arnulf de Carinthie au sujet de la Lotharingie, puis ambitions de Rodolphe II en Italie), mais qui ne constituait alors aucun danger réel pour la Francie Occidentale. Y nommer un duc - ou un marquis, comme on veut - investi de réels pouvoirs n'était pas indispensable. Ca le redeviendra un peu lorsque l'empire aura absorbé ce royaume de Bourgogne. Pour Hugues le Grand, cette question ne se serait posée qu'en 954, puisqu'il n'obtint ce titre - mais seulement une partie du pouvoir sur ce duché - que sous le règne de Louis d'Outremer. Mais en 954 il avait déjà ses trois fils, certes encore très jeunes. Il pouvait donc envisager de différer la nomination d'un duc en Bourgogne jusqu'à la majorité de son fils Otton. - les régions de la Loire contrôlées en tant que duc de Neustrie puis duc des Francs par Hugues le Grand ne constituaient plus à son époque une "marche militaire" avec l'enjeu qu'on avait connu à l'époque de Robert le Fort ou Hugues l'Abbé. Hugues le Grand n'aurait pas été obligé d'y nommer quelqu'un. D'ailleurs Hugues Capet, devenu roi, laissa ce titre vacant au grand mécontentement de la maison de Blois. Et après lui aucun Capétien n'y nomma personne duc avant l'époque des apanages, où ce titre reçut une toute autre signification. - enfin, au début de son règne Lothaire, influencé par Hugues le Grand, restaura une sorte de "royaume d'Aquitaine" qu'il lui confia. Il s'en suivit en 955 une campagne militaire contre Guillaume Tête d'Etoupe, vraisemblablement vaincu mais non politiquement éliminé. En 958 le jeune Hugues Capet participa à un plaid contre Tête d'Etoupe, mais par la suite les relations se détériorèrent entre Lothaire et Hugues Capet, qui ne succéda donc pas en Aquitaine à son père, qui en fait n'y eut qu'un titre théorique. De toutes façons ce titre est postérieur à la troisième et dernière occasion pour Hugues le Grand d'accéder à la royauté, en 954.
Quant aux titres de comtes, le roi n'avait aucune obligation de nommer des comtes partout, et de "quadriller" tout son royaume par des comtés. Il pouvait diriger lui-même certains territoires en s'appuyant sur des vassaux de rang inférieur à celui de comte : - en devenant roi en 922, Robert Ier n'avait rien cédé de son pouvoir direct sur ses biens. Par exemple Thibaut l'Ancien était resté un vicomte, sans être nommé comte; - en 928 Rodolphe supprima le comté de Bourges et en fit une simple vicomté, directement rattachée au pouvoir royal; - en 987 Hugues Capet a aussi gardé la gestion directe des biens qu'il avait pu conserver depuis la mort de son père, son "domaine royal". A Orléans il ne nomma aucun comte et à Paris il nomma certes son ami Bouchard de Vendôme, mais en tant que "comes regalis", ce qu'on peut interpréter par "officier royal" plus que par "comte". Bouchard était en fait chargé de la sécurité de Paris en cas de déplacement du roi. Il avait aussi à protéger le ravitaillement de la ville, d'où son autorité aussi sur Corbeil, en amont sur la Seine. Plus tard Robert II, un peu plus sédentaire que son père, ne jugera pas utile après la mort de Bouchard de continuer à nommer un comte pour Paris. L'existence d'un nommé Othon, comte de Paris mort en 1032, n'est mentionnée que dans le "Traité de la Police" de Delemarre, dans un passage où s'accumulent les incohérences chronologiques... - bien sûr les possessions de Hugues le Grand étaient considérablement plus étendues que celles de son fils en 987, et il aurait sans doute été conduit à nommer comte certains de ses vicomtes. Mais on peut penser qu'il n'aurait pas pour autant perdu le contrôle de ces régions, et que cette perspective ne l'aurait sans doute pas inquiété. En la matière et à cette époque, la personnalité du chef comptait plus que les titres : placé dans la même position juridique que son père, Hugues Capet perdit une grande partie de son héritage bien avant de devenir roi, à cause de Thibaut le Tricheur notamment.
Par ailleurs les trois occasions où Hugues le Grand aurait pu devenir roi s'inscrivent dans des contextes politiques très différents, qui ont certainement pesé sur ses décisions : - en 923 après la bataille de Soissons, Charles le Simple représentait encore un grand danger pour le parti du défunt roi Robert Ier, et il ne sera capturé par Herbert de Vermandois que 4 jours après le sacre de Rodolphe. Fin juin et début juillet 923, il était encore important pour Hugues de maintenir l'alliance avec Rodolphe et Herbert, ce dernier n'ayant aucune ambition royale, seulement le désir d'être le plus autonome possible. Il était donc politiquement intelligent de laisser le trône à Rodolphe, d'ailleurs plus âgé que lui. - en 954 la politique occidentale de l'empereur Otton Ier était clairement, depuis plusieurs années, de maintenir un équilibre entre les Carolingiens et les Robertiens. Ainsi, après avoir marié en 938 sa soeur Hedwige à Hugues le Grand, Otton Ier remaria en 939 sa soeur Gerberge à Louis d'Outremer. Hugues le Grand commençait aussi à vieillir - il décédera 2 ans après -, ce qui peut expliquer qu'il n'ait pas eu envie de se lancer dans un probable conflit, à la fois avec les partisans du Carolingien, et avec l'empire. C'est en 936, à la mort du roi Rodolphe sans héritier, que Hugues était apparemment dans la meilleure position pour s'emparer du trône. C'est vrai que l'absence d'un fils à ce moment-là a pu peser sur sa décision. Mais je pense qu'il avait aussi d'autres raisons : - le souvenir de son père tué en combattant le parti carolingien ? - la crainte qu'en postulant au trône, il ne suscite la même revendication au sein de la famille du défunt Rodolphe ? Rappeler alors Louis d'Outremer pouvait être une solution de compromis. - l'idée aussi de laisser le fils de Charles le Simple reproduire l'obsession de son père envers la Lotharingie, et le laisser se heurter tôt ou tard à la Germanie ? Je ne connais pas le raisonnement que fit alors Hugues le Grand, mais je pense qu'il suivait en 936 une ligne politique qu'il avait fixée depuis longtemps. Il avait épousé en 926 Eadhild, une soeur de la mère de Louis d'Outremer, alors très jeune et encore élevé en Angleterre : positionnement pour en être un jour une sorte de tuteur ?
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