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En lisant les sagas islandaises, j'ai l'impression que les Scandinaves se convertirent quasiment sans difficulté au christianisme.
Première précision: les saga islandaises ont été rédigés vers les XIIème/XIIIème siècles par des clercs chrétiens. Ce ne sont pas des sources directes et fiables pour la période viking, et encore moins pour la période païenne (même si on a un fond païen dans certaines d'entre elles, mais dont il faut soustraire les influences classiques et chrétienne de leurs auteurs.... c'est aussi vrai pour les Eddas qui sont nos principales sources sur la religion et les croyances nordiques païennes....).
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Certains individus se convertissent, puis des familles entières
Les premiers convertis furent probablement des marchands et des vikings (viking signifiant aussi bien commerce, exploration que pillage ou invasion). Les chrétiens n'étaient pas censés commercer avec des païens, et les marchands scandinaves de l'époque étaient plus que pragmatiques. Il y a fort à parier que les premières conversions étaient des conversions de principe. Ce n'est pas pour rien que les premières églises scandinaves furent bâties dans des comptoirs commerciaux comme Hedeby au Danemark ou Birka en Suède.
Les scandinaves de l'époque font preuve d'une immense adaptabilité. Généralement, ceux qui s'installent en dehors de la Scandinavie, notamment au gré des expéditions vikings, s'acculturent totalement en quelques générations. Le pragmatisme est l'un des traits les plus étonnants de cette civilisation.
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Les riches propriétaires, qui naguère rivalisaient pour être "godi" en charge des temples
Attention là aussi, la religion scandinave païenne, plus encore que les religions polythéistes classiques (greco romaines et orientales) était un ensemble de croyances, de rites et de pratiques (la magie y joue un rôle fondamentale) totalement empirique et empreint de chamanisme.
Il n'y a pas d'Eglise, pas de clergé. C'est une religion privée, qui se pratique avant tout au sein de la famille et du clan. Le Godi est un chef de clan. Il préside aux rites, aux fêtes religieuses, mais ça n'est pas un prêtre, il a également une fonction de conciliation et de représentation de la parentèle (le mot "clan" n'est pas très correct pour les scandinaves). Même s'il existait des lieux de cultes, ceux-ci étaient des lieux liées à des croyances, des sites "magiques" plus que des représentations publiques du culte (la chose publique est quasiment inexistante en Scandinavie avant une période tardive).
Ces pratiques et rites variaient certainement beaucoup d'une région à une autre, car elles s'accompagnaient d'une absence d'union politique, avec un pouvoir central très faible. Les aristocrates, jarls, rois, ne sont que de gros Boendr qui réussissent peu à peu à gagner influence et richesses qui leur donnent leur statut. Et c'est inexistant en Islande où il n'y a pas de pouvoir exécutif avant le XIIIème/XIVème siècle, pas d'aristocratie si ce n'est l'influence grandissante des chefs de clan, et ce après la période viking seulement.
C'est à la fois ce qui explique la perméabilité de cette religion à de nouvelles croyances, mais aussi le fait que les Scandinaves ont longtemps résisté à une adoption exclusive du Christianisme. Je citerais comme exemple ces moules qui permettaient de faire à la fois des crucifix et des marteaux de Thorr, voir des marteaux de Thorr où était gravée une croix chrétienne. Le Christ n'était qu'une divinité de plus.
La seule exception reste Upsalla où Adam deBrême situe un "temple". Mais rien d'autre, aucun auteur ne vient appuyer cette affirmation. En outre, l'archéologie n'a jamais retrouvé de monument religieux pour la période viking, et même à Upsalla, on a pas retrouvé quoique ce soit qui semblait d'apparenter à un temple. On y a cependant découvert de grandes halles aristocratiques qui caractérisent les centres de pouvoirs de la Scandinavie pré chrétienne.
Considérant que le rite, le culte, était une affaire privée, mais que dans une logique indo européenne, fonction royale et fonction religieuse sont indissociables, il est loin d'être impossible qu'Adam de Brême ait mal interprété un élement et l'ait expliqué avec sa culture classique et chrétienne, en faisant coller ce qu'il avait sous les yeux ou ce qu'on lui racontait avec des schémas et des repères qu'il connaissait (et on peut appliquer exactement le même principe à toutes les sources islandaises: saga, edda et autres).
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Manque de culture écrite - il faudra attendre le XIIIe siècle pour que la mythologie germanique soit transcrite dans les Eddas ?
Même sur le continent et en terre chrétienne, 90% de la population ne sait ni lire ni écrire avant une époque très récente..... la religion ne passe pas par l'écrit à cette époque. En outre, la tradition orale en Scandinavie païenne était très importante, magique même, et l'ensemble des eddas, de la poésie scaldique, eddique et autres récits, transmis par les scaldes, avaient un rayonnement potentiellement très fort, au moins autant que les quelques missionnaires qui s'étaient aventuré dans le nord.
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A-t-on des explications du manque de résistance du paganisme scandinave, c'est-à-dire germanique ?
En ce qui concerne les germains en général, c'est différent, le cas scandinave est spécifique. A savoir que les saxons continentaux ont longtemps résisté à la Christianisation et que Charlemagne a usé d'une grande violence pour arriver à ses fins et convertir les saxons.
Il faut comprendre que dans ces sociétés très éclatée politiquement, socialement et même culturellement, où il n'y a pas d'institutions en dehors des assemblées d'hommes libres (les "thing"), le Christianisme est une arme politique redoutable.
A partir du IXème siècle, partout en Scandinavie (avant pour le Darnemark, plus tardivement pour la Suède), on voit apparaître des pouvoirs royaux de plus en plus forts. Et ce sont eux qui se convertissent. Ca n'est en rien un hasard. Le Christianisme, et son principe d'universalité associé à l'empire de Rome, est un prétexte qui légitime une centralisation du pouvoir et la domination d'une lignée à la tête d'un Etat royal fort.
Que ce soit au Danemark ou en Norvège, les prétendants à une domination totale, Harald à la Belle Chevelure, Harald à la dent bleue, puis plus tard Olafr Trygvasson et Saint Olafr ont été les vecteurs de la Christianisation de la Scandinavie.
Dans une culture où la cellule sociale inébranlable, qui repose sur la possession de terres que l'on pourrait dire allodiales (sans seigneurs) et inaliénable (l'Odal), où le droit, établi en commun lors des assemblées, est le fondement de tout ordre, où les communautés humaines sont très éclatées et éloignées, que ce soit à cause du climat ou du relief, où la religion ne possède ni dogmes, ni credo, ni organisation clericale ou même officielles, où les hommes sont libres de s'associer entre eux pour tout ce qui est commerce, expéditions, guerre, où l'honneur de l'individu, sacré et inaliénable, et à travers lui de sa parentèle, était à la base de l'organisation sociale, il était impossible de s'installer durablement à la tête d'Etats forts et centralisés.
Le Christianisme a été la "solution" qui a permis à ces lignées de s'imposer. Ce sont donc des facteurs en grande partie politiques qui lui ont permis se d'imposer. A savoir aussi, qu'au Danemark, l'influence proche de l'empire carolingien s'est fait sentir très tôt. En Norvège, comme un pouvoir central fort n'allait pas du tout de soit, les querelles de succession après la mort d'Harald à la Belle Chevelure ont été vives. Beaucoup de prétendants se réfugiaient alors dans les terres colonisées par les expéditions vikings, notamment en Angleterre, et c'est souvent à ce moment qu'ils se sont convertis, comprenant l'aide que pouvait leur procurer le Christianisme dans leurs ambitions politiques.
Et ça ne se passe pas sans heurts.... C'est une chose d'intégrer le Christianisme à son système de croyances pour commercer ou par choix, c'en est une autre de renoncer au culte de ses ancêtres et à ses droits politiques tout en acceptant l'autorité d'un roi qui à la base n'a rien de plus que tous les roitelets, jarls et autres chefs de parentèle qui se trouvent au sommet de la société scandinave pré chrétienne.
Ce n'est pas un hasard si la colonisation de l'Islande se fait au moment où Harald à la Belle Chevelure et ses successeurs tentent d'unifier la Norvège. Beaucoup ne l'ont pas accepté et on le voit dans les saga, bien qu'il faille toujorus décortiquer et critiquer ce qu'elles nous disent.
En outre, la résistance au Christianisme a été parfois vive en Norvège, notamment chez d'autres prétendants au trône: les jarls de Lade. Olafr Trygvasson et Saint Olafr ont usé d'une grande violence auprès des récalcitrants. Certains missionnaires, qui avaient tenté de convertir patiemment certaines communauté en leur parlant d'une religion d'amour et de respect de l'autre, d'humilité, s'en sont certainement mordu les doigts en voyant débouler les troupes royales portant la croix et massacrant ceux qui refusaient de se convertir.
Et la convertion des élites ne signifie pas conversion exclusive. La christianisation des masses n'est une réalité qu'après la période viking. La Suède n'est vraiment chrétienne qu'à partir des XIIème/ XIIIème siècles..... XIème pour la Norvège et guère avant la fin du Xème pour le Danemark.
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Manque d'armement de la part du culte germanique
Encore une fois, ce "culte" n'est qu'un ensemble de croyances, de rites et de pratiques..... Il n'y a pas de credo, pas de dogmes. Faire évoluer ces croyances se fait très naturellement.
Je vous recommande le livre "le Christ des barbares" de Régis Boyer à ce sujet (mais pas uniquement lui si vous voulez une approche d'ensemble de cette question).
Mis à part les péripéties politiques que j'évoquais plus haut, ce glissement vers le Christianisme s'est fait plus ou moins naturellement, surtout dans les régions colonisées par les vikings. Mais il ne faut pas imaginer une conversion exclusive et totale. De nombreux éléments païens et chrétiens se sont mêlés pendant très longtemps (les saga en sont un bon exemple 3 siècle après la christianisation "officielle").
Et encore une fois, le cas de l'Islande est spécifique: l'absence de pouvoir exécutif fait qu'il n'y a pas eu de conversion autoritaire. C'est l'Althing, l'assemblée générale d'Islande, qui a décidé de se convertir officiellement au christianisme, sous l'influence et les menaces de monarques norvégiens, mais en laissant aux païens le loisir de pratiquer leur religion.
Sinon, je trouve que le paganisme nordique a plutôt bien résisté, contrairement à ce que vous semblez penser: la Scandinavie est l'une des dernières régions à se convertir, et ce souvent après l'an 1000 dans les faits.