Vous mentionnez en effet une liste intéressante mais non exhaustive de batailles ayant impliqué les Confédérés. Ce que je critique surtout de votre premier post, c’est la simplification de la « lutte des Waldstaetten ». Car cette appellation ne concerne que les habitants des cantons « primitifs », alors que durant cette période, de nombreux autres territoires ont été concernés.
Entrons dans le vif du sujet. Peut-on parler de révolution paysanne suisse au XVe siècle ? A mes yeux, non car, comme l’ont dit les autres intervenants, les événements mentionnés dans le premier message se sont étalés sur la durée et ne constituent pas une « révolution » stricto senso. De plus, d'autres régions européennes ont connu, plus ou moins à la même époque, des révoltes similaires, quoiqu'encore plus violentes. Enfin, on ne peut pas vraiment parler de réelle démocratie qui résulte de ces révoltes. Outre le fait que les femmes n'aient pas de droits, il n'y a jamais eu à cette période la disparition des différentes classes sociales. L'égalité, comme on se l'imagine de nos jours avec des droits égaux pour tous, n'était que fiction à l'époque. Ce qui était différent dans les vallées, c'était la nature différente du lien qui unissait ces différentes couches sociales.
Deuxième élément, je suis l’opinion de la
Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses qui dit que pour cette période, l’évolution du territoire qui deviendra la Suisse doit être envisagée régionalement, « car elle n’est pas homogène » et parce que « des forces différentes s’y manifestent » (p.163) Il ne fait donc pas sens de généraliser et de dire "les Suisses".
Par contre, il y a bien un ensemble qui forme la Confédération à la fin du XIV. Il est ressenti comme tel à l’interne et à l’externe. Mais, précision importante il ne s’agissait pas d’un Etat et « il n’y avait pas de concertation organisée et régulière de ses membres ; il n’y avait même jamais eu d’assemblée où ils fussent tous représentés » p.194, la Diète ayant été établie au XVe siècle.
Si l’on prend l’exemple de la lutte contre les Habsbourg et la fameuse bataille de Sempach, qui était en fait le résultat d’autres escarmouches, on peut mentionner en vitesse Winkelried, qui lui relève du mythe, ceci afin d’entrer en résonnance avec mon précédent message. Cette bataille de Sempach fait suite à la Ligue de Constance qui était composée de différents territoires suisses mais aussi de villes du sud de l’Allemagne (
http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F17157.php). A noter que Schwytz avait refusé d’y participer (à la ligue, pas à la bataille). Mais, lors de cette bataille, les Confédérés se sont retrouvés seuls et en sous-nombre. Et là, on peut en effet mentionner que la défaite autrichienne fit perdre à cette dernière ses territoires en Suisse actuelle au profit des Confédérés (mais s’agit-il de libération ou de conquête confédérée ?). Dans ce cas, la bataille fut donc en effet plutôt orientée vers l’extérieur, comme vous le disiez. Et personne ne nie l’importance de ces événements.
L’ennui, c’est que les autres batailles que vous mentionnez sont plus ou moins du même acabit, ce sont des luttes contre des seigneurs étrangers à la Confédération. Ces batailles ont été menées pour des raisons différentes : défense, appât du gain, alliances, etc. Mais vous ne citez pas les batailles que vous mentionnez pourtant dans votre premier message
Christian27 a écrit :
Ainsi en plus des trois batailles contre les Autrichiens, Morgarten en 1315 contre le duc Léopold, Sempach en 1386 contre le duc Léopold III qui y trouve la mort et Naefels en 1388 contre le duc Albert III, eurent lieux d’importants et continuels combats de libérations
- combats contre les seigneurs laïcs et ecclésiastiques
- combats contre la noblesse
- incitation aux cerfs de désobéir et de se libérer en leur accordant la combourgeoisie
Je ne comprends donc pas pourquoi, l’essentiel pour vous est cette liste de batailles alors que votre premier message s’intéressait aussi et surtout aux révoltes internes. Je vous saurais gré de compléter la liste et mentionner quelles batailles et combats ont permis de lutter contre les seigneurs, la noblesse, etc. J’ai bien entendu noté celle précisée par Emile Dürr sur Saint-Gall, dans votre premier message.
Je suis également sceptique sur l’expression suivante de cet historien « démocraties paysannes à tendance autonomistes ». Il faudra à tout prix que j’aille dans une bibliothèque consulter cette fameuse Histoire militaire de la Suisse, mais entretemps, est-ce que vous pourriez développer un peu, Christian ? Je suis particulièrement intéressé de savoir sur quoi il s’appuie pour affirmer une telle chose car il me semble que les sources pour cette période sont pour le moins lacunaires.
La Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses nous éclaire un peu :
« Tous les historiens l’ont noté. Les rapports de seigneurs à paysans, en Suisse, au bas Moyen Age, paraissent doués, à la montagne, d’une flexibilité, d’un degré d’accommodement réciproque qui contrastent avec les tensions enregistrées plus souvent dans les campagnes du bas. » (p.222)
« Et c’est main dans la main que hobereaux et paysans se sont dressés parfois contre les empiètements excessifs du souverain – évêque de Coire ou évêque de Sion – contre l’ingérence des puissances étrangères. » (ibid)
« Au reste, aucun soulèvement de la classe paysanne, en Suisse, au XVe s., n’a jamais atteint les paroxysmes, ni suscité les excès de répression que connurent, à la même époque, d’autres nations européennes. »
Je ne résiste pas à la tentation de citer quelques courts passages de l’article « Paysannerie » du DHS (
http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F16370.php)
„Dès le milieu du XIIIe s., diverses organisations sociales sont de mieux en mieux perceptibles. Elles avaient pour base les communautés paroissiales d'usagers, dont le but était l'exercice commun de droits et devoirs dans les domaines agricoles (alpages, biens communaux, assolement) et religieux (entretien de l'église et de son desservant). Dans les villages et dans les communautés de vallée, les diverses formes de coopération (économiques, juridiques et politiques) aboutissaient à un système complexe d'obligations mutuelles et d'interdépendances entre voisins.“
„La population paysanne médiévale ne formait pas un groupe homogène et il serait faux d'imaginer une "paysannerie" unie dans la défense de ses intérêts, alors qu'elle était profondément divisée. Toutes sortes de facteurs déterminaient la position sociale: le statut personnel (libre, non libre, serf) était l'un d'eux, mais il perdit peu à peu de son sens, tandis qu'en gagnaient les disparités économiques.“
„Dans les villages comme dans les communautés de vallée, on trouve généralement au bas Moyen Age une petite élite locale (mayor ou Meier, cellérier, sous-bailli), qui se distinguait par ses ressources matérielles et son prestige social, et faisait fonction d'intermédiaire entre le seigneur et les villageois.“
„La vie quotidienne et la mentalité de la population rurale, surtout celles des paysans pauvres, restent obscures, car les sources, d'ailleurs rares, sont encore peu étudiées.“
„La paysannerie s'est longtemps vu attribuer par l'ancienne historiographie suisse un rôle moteur dans la naissance de la Confédération. Celle de Suisse centrale, en particulier, passait pour une force agissante tendue vers la liberté et l'indépendance, voire pour la fondatrice d'"Etats paysans". Mais rien dans les sources ne corrobore cette vision d'une paysannerie qui aurait eu une participation décisive dans le mouvement communal du bas Moyen Age. On a donc aujourd'hui abandonné l'idée de communautés paysannes donnant naissance à des Etats territoriaux libres et démocratiques. Même les communautés de vallée, attestées dès les XIIe ou XIIIe s., n'étaient pas des collectivités égalitaires et démocratiques; un petit nombre de vieilles familles y faisaient la loi; le reste de la population est à peine connu.“
« Le développement des seigneuries territoriales et les mutations de l'agriculture entraînèrent au bas Moyen Age une accélération des changements sociaux et une aggravation des tensions politiques. Ces évolutions aboutirent d'une part à des conflits entre paysans ou entre villageois (à propos des droits d'usage, des frontières communales, etc.) et d'autre part à des querelles sur la définition des droits et devoirs respectifs des villageois et des seigneurs territoriaux (nobles, abbayes, villes), par exemple à Zoug en 1404 (Siegel- und Bannerhandel), à Grüningen en 1441, dans l'Oberland bernois en 1445-1451 (Böser Bund), à Fribourg en 1449-1452, à Wädenswil en 1467-1468.“
« Ces conflits ne peuvent pas être réduits à une opposition ville-campagne; ils s'inscrivent dans le cadre plus large d'un processus de concentration des pouvoirs au détriment des sujets, tant citadins que ruraux. Ils touchaient parfois à la vie quotidienne de tout un chacun (conflits sur les dîmes), mais plus souvent aux droits et privilèges des villageois. Or ces privilèges profitaient surtout aux élites campagnardes; leur défense répondait donc aux intérêts d'une minorité, même lorsqu'elle prenait la forme de ce que l'on nomme, un peu abusivement, révoltes paysannes.“
N’étant pas un spécialiste de la période, je trouve néanmoins cet article très intéressant. Ce que je retiens surtout c’est la difficulté des sources. J’aimerais donc bien savoir comment les anciens historiens de la Suisse en sont arrivés à étayer leurs théories et opinions.
Car, au terme de ce message, il faut souligner que, contrairement à ce que vous semblez croire, l’historiographie récente ne nie pas l’existence des luttes des paysans comme celle qui les oppose l’abbaye de Saint-Gall. Mais elle est plus nuancée sur leur signification et leurs conséquences. Surtout, il faut bien tenir compte des disparités suivant les territoires, rendant hasardeuse et erronée toute généralisation qui voudrait dire « les paysans suisses ont fait ça ».
il y a un problème de sources et certains historiens du passé se sont trop avancés et n'ont pas totalement argumenté leurs propos
Des révoltes oui, mais qui n'ont pas conduit à la démocratie et à l'autonomie
Donc, pas de démocratie et d'égalité, mais bien des rapports seigneur-paysan (et encore, c'est plus complexe que cela)
Pas de "révolution paysanne suisse", le phénomène étant à la fois régional (ne concerne pas toute la Suisse actuelle) et pas unique (il y avait des révoltes dans d'autres régions d'Europe). Il faut y voir des luttes spécifiques pour des enjeux spécifiques
Oui, c'est une période très intéressante pour voir se développer le sentiment d'être confédéré, d'appartenir à quelque chose de spécial, mais sans que les fondements juridiques et étatiques d'une Suisse ou d'une Confédération soient arrivés à maturité.