C'est amusant de constater que la remise en cause de l'histoire de Guillaume Tell n'est pas nouvelle.....cela fait déjà un bon moment que les historiens suisses se disputent à son sujet. Est-ce vraiment fini ? Après tout Jean-François Bergier dans son Guillaume Tell a plutôt tendance à y croire... A noter que de toute façon, vrai ou faux cela ne change strictement rien à l'histoire connue des Waldstätten.
Maxime Raymond Histoire de la Suisse, 1931 VIII Les origines de la Confédération 1. Les variations des historiens p. 213 - 214
[…] Cependant, alors que ce récit traditionnel était admis couramment, une critique pénétrante l'avait déjà sapé à sa base. Tout cela n'était que légendes, remontant à des chroniques suspectes et à des chants populaires amalgamés par l'érudit glaronnais Egidius Tschudi, qui écrivait vers 1570, mais dont l'œuvre ne fut publiée qu'en 1734, et embellie encore par l'historien schaffhousois Jean de Muller, dont l'histoire de la Suisse parut en 1806. En réalité, l'histoire de Guillaume Tell n'était qu'une légende danoise ou un débris de mythologie païenne. Aucun document certain ne parlait du rôle décisif de Stauffacher, Furst et Melchtal. Le serment du Rütli était de pure imagination. L'origine de la Confédération ne remontait pas aux années 1308 - 1315, mais beaucoup plus haut. C'est en 1240 que s'était produite la première révolte des Waldstätten. La destruction des châteaux était problématique, et si elle avait eu lieu, elle datait de ce temps. C'est à la suite d'un autre soulèvement, à la mort de Rodolphe de Habsbourg, qu'avait été signé le premier pacte définitif, le 1er août 1291. Enfin, la révolte était moins due à des actes de violences des baillis qu'à des causes politiques et économiques générales : le désir de l'empereur d'empêcher que le passage du Saint-Gothard ne tombât aux mains des Habsbourg¬-Autriche, la volonté du peuple des Waldstätten, sujets immédiats de l'empire, de rejeter l'autorité ces derniers. Ce travail de critique avait commencé en 1845 avec l’historien lucernois Kopp. Celui-ci avait eu de nombreux continuateurs, notamment Rillet et Vaucher de Genève, et dans les derniers temps Dierauer en 1887, Oechsli en 1891 et Durer en 1915. Pourtant, Hilty dès 1891, Gisler, Bernouilli, Schollenberg et même Heussler en 1920, avaient fait un retour en arrière, cherchant à réhabiliter telle ou telle partie du récit traditionnel, l’un ou l’autre trouvant même vraisemblable le principe de la légende la plus discutée, celle de Guillaume Tell. Mais dans l’ensemble, l’école critique avait triomphé, et un historien déclarait encore en 1924 le système de Kopp solidement prouvé dans ses grandes lignes. Or, précisément en cette année 1924, un autre historien lucernois, professeur à Zurich, M.Charles Meyer, après diverses études préliminaires, renversait tout cet édifice critique. Pour lui, c’est d’une manière générale Tschudi qui a raison, avec le Livre blanc de Sarnen, sa source essentielle, à cette différence près qu’il faut dater la plupart des événements de 1291. C’est à ce moment et non en 1240, que l’on doit placer la destruction des châteaux des baillis. Guillaume Tell a existé. Les trois libérateurs traditionnels ont bien prêté serment du Rütli. Les Waldstätten étaient las du dur régime financier de Rodolphe de Habsbourg. Un vent de liberté et d’indépendance soufflait d’Italie. C’est là l’origine du pacte de 1291. M. Meyer ne fait d’ailleurs pas table rase des travaux de ses prédécesseurs. Il tient compte de plusieurs de leurs conclusions. La thèse de M. Charles Meyer a, naturellement, soulevé une grande émotion. Elle a été vivement discutée. Plusieurs érudits ont montré les points faibles de divers détails. Le dernier en date est M. Nabholz, archiviste de l’État de Zurich. Mais dans l’ensemble les propositions de M. Meyer ont été considérées comme sérieuses, demandant une révision minutieuse de toutes nos connaissances sur les origines de la Confédération suisse.
|