Narduccio a écrit :
Il apparait que vous avez du mal à comprendre une évidence : les plus pauvres des pauvres ne se rebellent jamais. Parce que dans leur cas : survivre est une activité qui occupe tout leur temps.
Votre réponse montre qu'il existe donc une hiérarchie même dans la pauvreté, le tout est de donner des noms à ces strates.
"Les plus pauvres des pauvres"... Ceci commence où et se termine où ?
"...Les représentations médiévales de la pauvreté sont essentiellement accessibles, pour l’historien, par l’intermédiaire des écrits des clercs de l’époque. Ainsi, dans la théologie chrétienne, la pauvreté n’a qu’une valeur spirituelle, qui justifie à la fois les riches [ils peuvent se racheter en pratiquant l’aumône] et les pauvres [le choix de l’indigence permet d’améliorer sa vie de chrétien] : l’ « économie du salut » permet ainsi la répartition des trois ordres. Justifiées, les œuvres de bienfaisance se multiplient dans l’Occident chrétien des 12ème et 13ème siècles, formant la principale activité caritative. Dans ce système à la fois théorique et pratique, le pauvre n’est cependant vu que dans sa condition humiliante, objet nécessaire de l’assistance charitable, et non sujet d’une vie héroïque... Face à la préoccupation croissante du pauvre en tant qu’objet de la charité, des distinctions se font jour dès le 12ème siècle : le mauvais pauvre n’a pas droit à l’assistance, car il est valide, capable de travailler mais préférerait mendier et voler ; le bon pauvre est celui qui se retrouve dans le plus grand état d’indigence, physique comme matériel. Emerge alors, dès le Moyen Age, une distinction fondamentale dans l’établissement du système d’assistance à l’époque moderne : en distinguant l’hospitalitas [charité inconditionnelle vouée à tous ceux qui demandent], de la liberalitas [nécessité pour l’assistance de distinguer entre bons et mauvais pauvres], la théorie médiévale donne les conditions de possibilité du débat sur la réforme de l’assistance sociale qui aura lieu à l’époque moderne, où celle-ci tendra à se centraliser. L’ « éthos médiéval », au sens de conduites et de représentations largement partagées, glorifie la pauvreté en tant que valeur spirituelle, mais ne rechigne pas non plus à condamner la misère physique observable, qui développe les craintes pour la propriété et qui semble donc liée à la misère morale et au vice : « Il n’existe aucun lien sur le plan axiologique entre, les adeptes de la pauvreté volontaire et les indigents que la nécessité a fatalement réduits à cette condition ». Tout au long du Moyen Age se maintient cependant la tradition des grandes distributions collectives d’aumônes médiatisées par l’Eglise, qui sont souvent l’occasion de fêtes populaires pour les nécessiteux, mendiants ou non. Cependant, les pauvres légitimes sont le vieillard, l’orphelin et l’infirme. Ce qui a alors pour conséquence l’organisation de sociétés de mendiants, qui cherchent à gagner ces apparences légitimes : « L’activité des mendiants est intégrée à la vie urbaine à un point tel qu’ils fondent leurs propres organisations corporatives, ce qui consacre leur insertion sociale ». Le formalisme de l’aumône et le professionnalisme des mendiants consacrent donc un certain équilibre de la misère « fonctionnelle » du Moyen Age. Si, effectivement, la distinction entre bon et mauvais pauvre est multiséculaire, au Moyen Age il est clair que la position sociale et symbolique du mendiant est préférable à celle d’un autre type de démuni, le travailleur pauvre et urbain. Celui-ci n’a pas de place dans la société médiévale : il n’appartient à aucune espèce de groupe ou d’organisation ; il ne mérite pas les secours aux yeux de la morale chrétienne tant qu’il peut travailler. On distingue ainsi la pauvreté du mendiant, symboliquement et sociétalement intégrée dans la mesure où il renvoie à la figure christique tant qu’il reste dans l’humilité, à savoir l’acceptation de sa condition, de la misère urbaine des travailleurs journaliers ou manouvriers pour qui la compassion n’est pas de mise et qui se trouvent marginalisés par les corporations d’artisans et commerçants craintifs de la concurrence. A partir de ce constat, une typologie de la pauvreté du Bas Moyen Age est dressée, qui dessine une sorte de topographie des représentations du pauvre que l’on peut se faire à cette époque. Il distingue quatre types de pauvres : « les pauvres honteux », qui sont les bons pauvres, c’est-à-dire ceux qui ont subi une dégradation involontaire de leur condition, ce qui les a conduits à mendier ; les pauvres volontaires qui vivent de l’aumône [en particulier, les ordres Mendiants] ; les « ayant droit » à l’assistance par leur infirmité ou leur maladie ; et enfin, les miséreux urbains, qui n’ont droit à rien, si ce n’est à de la suspicion et à du mépris, dans la mesure où ils ne sont rattachés à aucun groupe stable et , de ce fait, relégués dans les faubourgs [différences avec les miséreux ruraux, qui restent dans leur village, où ils peuvent être aidés par la communauté villageoise tant que les liens traditionnels existent].
La révolte réduite entre ceux qui "ont à perdre et à gagner" est commune. La masse qui se révolte le fait lorsqu'elle n'a plus rien à perdre. Que cette masse soit manipulée ou récupérée est autre chose.
Que l'on se révolte pour abonder des acquis n'est pas nouveau mais en faire un parallèle avec 1789 et le mouvement bien canalisé des sans-culottes me parait anachronique.
Il est à noter que dans ces temps, le rapport à la perte de proches (épouse, enfants) ne peut non plus servir d'aulne empathique. C'est le tribut de chaque jour et chez "les plus pauvres des plus pauvres" le rapport aux enfants est tout à fait différent chez ceux qui ont un bien à transmettre que chez les autres. On ne peut donc attribuer aux "pauvres" des "sentiments" (déjà un luxe petits bourgeois diraient certains) qu'ils ne possèdent pas, pas plus qu'une ligne ou idée politique. Une révolte paysanne est comprise comme un moment de rébellion qui ne peut qu'entraîner une répression.
« Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés.
La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première.
La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.
Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. » (Helder Câmara)
Où se place le "milieu" et qu'entend-t-on par ce mot : une majorité possédante ? Posséder dans une société hiérarchisée est la marque des seigneurs. Ils sont donc une minorité qui a tout à perdre et peut encore s'élever, peut être ce qui explique un plus grand nombre de révoltes féodales que paysannes.
Hugues de Hador peut-il expliquer ce qu'est "se révolter de manière utile" dans les bornes du moment ? Je dois avouer là encore n'avoir pas compris.
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http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhef_0300-9505_1966_num_52_149_1751-
http://www.histoire.ac-versailles.fr/IMG/pdf/pauvrete.pdf