Alain.g a écrit :
Les deux mouvements sont à l"oeuvre et se complètent heureusement: la chrétienté rassemble ce que la féodalité a dispersé sous le rapport des forces.
Par ailleurs, la chrétienté, avec son rêve d'universalité, parle à la tête, la féodalité au corps, à l'économie notamment qu'elle va dynamiser en mettant en marche des ambitions locales de développement et d'enrichissement.
Je partage l'avis que la chrétienté et la féodalité sont deux mouvements distincts, mais complémentaire. J'aimerais partager et discuter ma vision des choses.
De même que la féodalité n'est pas unique en Europe, la chrétienté n'est pas forcément unie (Grand Schisme d'Occident...) mais l'Église n'en dispose pas moins de structures supranationales. Les ordres religieux internationaux communiquent entre eux, facilitent les déplacements des hommes, des idées et des capitaux. Les églises attirent les pélerins, et leur construction mobilisent de nombreuses ressources, ainsi que des artisans qualifiés.
D'un autre côté, avec la féodalité, l'autorité politique est très morcelé. Le pouvoir le plus fort est celui qui est le plus proche des populations, qui elles-mêmes s'éloignent peu de leurs lieux de naissances (le grand encellulement). Je suis persuadé que cela a incité les revenus des terres à être investis massivement sur place. Cela a entraîné une amélioration considérable de l'économie agricole (défrichage, diffusion de la charrue et du collier d'épaule). Comme la qualité de la terre (la "bonne terre d'Artois qui colle aux mains", comme on dirait dans
Les Rois Maudits ) justifiait l'investissement, le résultat final a été une hausse continue de la population. Celle-ci a permis la croissance des villes.
Par contre, chrétienté et féodalité se sont conjuguées pour faire disparaître l'esclavage, ce qui a empêché de tirer un profit immédiat de la population excédentaire, et a encourager l'amélioration technologique. Avec une population nombreuse, qu'on ne pouvait pas faire bouger facilement, on était toujours en situation de pénurie de main d'œuvre pour les grands travaux.
Ainsi, par un effet indirect et involontaire, l'Europe féodale et chrétienne a commencé à encourager le machinisme, en commençant par employer massivement le moulin, et à développer des industries (drapiers...). Cela a posé les bases de sa puissance à partir de la Renaissance.
Si je fais un parallèle avec la civilisation musulmane, je pourrais dire que celle-ci, en poursuivant le modèle impériale hérité de l'Antiquité, ponctionne les campagnes au profit de métropoles. Cela permet d'entretenir au sein de celles-ci une production artistique et intellectuelle (philosophes, savants) mais dont les retombées sur la population et l'économie en général sont faibles. Pour parler grossièrement, ce n'est pas en dissertant sur les Noms de Dieu comme Averroès qu'on améliore le rendement des récoltes ! Et ce n'est pas une médecine comme celle d'Avicenne, très bien organisée et documentée, mais basée sur la théorie des Quatre Humeurs, qui va enrayer les grandes épidémies et faire croître la population - surtout que les villes, précisément, étant en général insalubres, ne s'agrandissent souvent que par immigration. Il en résulte une société brillante, mais faible démographiquement, et sans grand intérêt pour la technologie.
De plus, le savoir produit est un bien extrêmement mobile : une fois que la croissance des villes européennes permet à celles-ci d'entretenir une vie intellectuelle, avec la création des universités, le savoir produit ailleurs est immédiatement récupéré et assimilé (les théories d'Averroès et le Canon d'Avicenne étaient enseignées à la Sorbonne).
Tout cela est issu de réflexions personnelles. Je serais intéressé si on pouvait la contredire ou la confirmer.
Je viens de penser à l'instant à un autre effet de la féodalité : avec elle, le roi, comme l'empereur, ne sont jamais que des "primus inter pares". Le lien personnel étant le plus important, le pouvoir réel du souverain se limite à son cercle de vassaux, forcément limité. Je me demande si cela n'a pas découragé la poursuite de la "monarchie universelle", et permis d'économiser de coûteuses guerres de conquêtes et d'unification, comme les civilisations impériales comme la Chine en ont connues.