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Message Publié : 19 Nov 2015 20:53 
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Marc Bloch
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L'analyse historique ne peut se borner à distinguer la théorie et la pratique. Le fait est que le Roi du XIIe siècle n'a aucune autorité hors de son domaine. Cela ne l'empêche pas d'exister ! D'ailleurs cette absence d'autorité est admise par tous et sans doute par le Roi lui même - sans pourtant anéantir le Roi et le Royaume dans les représentations mentales ! Pour donner dans l'anachronisme, la Reine actuelle de l'Angleterre n'a aucun pouvoir...pourtant elle existe !

N'oublions pas aussi que la pratique comme vous dites peut évoluer pour se rapprocher de la théorie ( je durais plutôt l'ideal) : Louis VII avait conscience de sa souveraineté même virtuelle - il fut le premier capétien à visiter une région hors du domaine et en dehors du sacre de Reims (la Bourgogne). On peut même penser que le mariage du jeune Louis avec Alienor avait été conçu par Louis VI et Suger pour refaire du Capétien le chef effectif du royaume - programme qui aboutira avec Philippe Auguste !


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Message Publié : 21 Nov 2015 12:24 
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Grégoire de Tours
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Quelle passionnante et instructive conversation!
Vos rectifications et précisions après l'anachronisme flagrant du point de départ m'apprennent ou me rappellent des tas de choses sur la féodalité, des notions que la plupart des gens n'appréhendent pas à moins d'être spécialistes en histoire. Ce sont des notions que je comprends de mieux en mieux grâce à vous mais qui restent tout de même abstraites pour moi.
Ainsi, pour ma part, bien que j'arrive quand même à m'en faire une vague idée, je vois mal en quoi consistent l'hommage et le fait d'être vassal, et je vois mal comment le roi peut être roi du regnum francorum alors qu'il ne dirige que son propre fief d'Île-de-France et que les grands seigneurs sont chacun seul maître de son fief...
S'agit-il de plus qu'un simple respect et/ou promesse de non-agression que les seigneurs des terres à l'Ouest du Rhône et de la Saône doivent à celui d'entre eux qui est sacré roi?
Et qu'est-ce qui fait qu'on est vassal du roi de France et pas du roi d'Aragon ou de l'Empereur?

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Message Publié : 22 Nov 2015 15:29 
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Grégoire de Tours
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je vois mal en quoi consistent l'hommage et le fait d'être vassal


L'hommage est lié au fief. Le fief, c'est un droit, une terre, une fonction, dévolu à une personne par un seigneur plus puissant. Ce fief est détenu par ledit seigneur qui en donne les droits à son vassal (c'est souvent une source de revenus pour ce dernier). Celui-ci jure fidélité en échange audit seigneur. Les deux sont censés être liés par un certain nombre de droits et de devoir par cet hommage (dont le rite usuel consiste à joindre les mains comme en prière pour le vassal qui sont enserrées par les mains du suzerain).

Image

Le vassal doit conseil et assistance à son suzerain et est censé répondre à son appel en cas de guerre. En échange, le suzerain doit protection et assistance également à son vassal. Ainsi, la fodalité peut être conçue comme une sorte de pyramide. Au sommet, il y a le roi, le suzerain des suzerains, lui n'est censé rendre hommage à personne (ce qui pose un gros problème quand un roi doit un hommage à un autre roi pour certains de ses fiefs). En-dessous, il y a les grands seigneurs, ducs, comtes....Etc, puis ensuite les seigneurs "intermédiaires", barons, vicomtes....Etc, et enfin les petits bannerets, chevaliers, simples châtelains. Tout en bas de la pyramide féodale, on a toute une foule de petits chevaliers, parfois même non "fieffés", qui vivent dans l'entourage du seigneur dont ils dépendent. Ils constituent la mesnie, la maison de ce dernier. On trouve par exemple les "milites castri", les chevaliers du château, littéralement, qui vivent et dépendent du castrum de leur seigneur. Dans certaines régions, certains ont le statut de serf (et sont donc juridiquement totalement dépendants de leur seigneur et ne peuvent pas faire grand chose sans leur permission). Jusqu'au XIIIème siècle, il n'y a pas de limite claire entre nobles et non nobles: être noble, c'est vivre d'une certaine manière et avoir certaines activités. Les chevaliers ne sont pas forcément issus d'une lignée, ils sont avant tout des guerriers, des combattants, rattachés à une lignée. On a même de véritables "chevaliers paysans". Beaucoup de ces petits chevaliers seront exclus de la noblesse avec le temps, à mesure que celle-ci se ferme et devient de plus en plus élitiste (et que le coût de la vie nobiliaire, des armes notamment, grimpe en flèche).

Ça ce sont les grandes lignes et la théorie. En pratique, la féodalité est extrêmement complexe. Une foule d'influences s'imbriquent les unes dans les autres. Nombre de seigneurs doivent l'hommage à plusieurs suzerains pour leurs différents fiefs (par exemple, beaucoup de seigneurs normands doivent à la fois l'hommage au duc de Normandie, et donc à travers eux, aux rois de France, pour leurs possessions continentales, et également au roi d'Angleterre pour leurs possessions dans ledit pays suite à l'invasion de 1066, ce qui complique encore énormément le conflits entre capétiens et Plantagenêts qui sont eux-même avant tout de grands seigneurs continentaux). Localement c'est encore plus compliqué et les fidélités et loyautés se chevauchent, s'imbriquent....Etc. (il peut même arriver qu'un seigneur soit vassal d'un autre seigneur pour un fief, mais que ledit seigneur soit également vassal du premier pour un autre fief.... Tout dépendra alors de l'endroit où ils se trouvent pour ce qui est honneurs et autres. Comme exemple, je pense au vicomte de Limoges et à l'évêque de Limoges, deux puissants féodaux dont les domaines s'imbriquaient de manière assez complexe, l'un pouvait avoir des droits sur un castrum dominé par l'autre, mais inversement pour d'autres domaines ou droits (le fief n'est pas forcément une terre ou un château, il peut s'agir d'un pouvoir judiciaire, fiscal ou autre)).

En outre, il n'y a pas que l'aristocratie qui constitue le système féodal. Les villes, qui s'affranchissent peu à peu de l'aristocratie, les ecclésiastiques, souvent issus de l'aristocratie, s'ajoutent à tout ça. Les évêques, les abbayes sont souvent de grands seigneurs féodaux qui reçoivent l'hommage de beaucoup de vassaux (et qui peuvent eux-mêmes être vassaux d'autres seigneurs).

Egalement, la situation n'est pas figée, ni dans le temps, ni dans l'espace. A l'origine, la féodalité trouve sont origine dans le système carolingien. Les comtes sont alors nommés par le roi parmi l'aristocratie (qui tire son pouvoir de la terre et de son influence) mais restent assujettis au pouvoir impérial puis royal. Comme ce pouvoir central s'affaiblit énormément aux IXème et Xème siècles, ces comtes prennent de plus en plus d'indépendance. Ils parviennent à rendre leur charge héréditaire, et les pouvoirs dit régaliens tombent entre leurs mains (rendre la justice, frapper monnaie par exemple). Peu à peu, le pouvoir du roi est de plus en plus symbolique, au point où le roi est plus ou moins choisi par le conseil des grands seigneur (c'est comme cela que les capétiens supplantent et remplacent les carolingiens à la fin du Xème siècle). Par la suite, ces pouvoirs glissent, par le même procédé entre les mains de seigneurs encore plus locaux, les vicomtes par exemple, alors que certaines lignées s'imposent et se comportent comme de petits souverains (ils prennent le titre de ducs, de barons). Les duc d'Aquitaine et de Normandie sont des exemples frappants.

Tous ces seigneurs, afin d'asseoir leur pouvoir et leur légitimité, s'entourent de combattants (puisque leur rôle militaire, de défense de leur territoire, est fondamental dans leur légitimité), ces fameux "milites" qui sont à l'origine de la chevalerie, et qui constituent autour d'eux des mesnies..... Ceux-ci acquièrent à leur tour influence et renommée, et réclament à leur tour certaines prérogatives, voir des fiefs qui leur sont accordés en récompense de leur service et de leur fidélité. On a ainsi un échelon de plus dans la féodalité, encore plus locale (avec la foule de nuances et de cas particuliers que j'évoquais plus haut). Au cours du XIIème siècle, la fusion entre l'ancienne aristocratie implantée de longue date et cette nouvelle noblesse guerrière est opérée: mêmes les plus puissants se font adouber chevalier et revendiquent la culture très prestigieuse associée à la chevalerie.

Dans les faits, oui, le roi est au sommet. Dans la pratique, la confiscation des pouvoirs régaliens par des potentats de plus en plus locaux rend la charge royale très symbolique, et elle n'est respectée que dans la mesure où le roi n'interfère pas avec les intérêts des grands seigneurs. La situation devient encore plus complexe quand lesdits rois se retrouvent, par le jeu des alliances matrimoniales, à devoir l'hommage à d'autres puissants. Pour l'exemple des Plantagenêt, leur fonction royale est totalement dissociée, en théorie, de leurs droits sur leurs fiefs continentaux. Mais dans le jeu du pouvoir et de l'influence, on imagine facilement le soucis que ça pose tout de même. Les rois de France gardent en outre une longueur d'avance car ils sont "sacrés", leur légitimité repose sur la religion. Mais avant Philippe Auguste, ils n'ont que très peu d'influence en dehors de leur domaine royal.

A cela il faut ajouter et prendre en compte le droit local, les alleu (terres sans seigneurs), l'influence et les possessions de l'Eglise, l'influence énorme des abbayes, puis des villes qui s'affirment grâce aux richesses tirées du commerce et qui s'affranchissent du pouvoir féodal: le roi leur accorde des chartes de franchise (c'est un redoutable moyen pour le roi de reprendre les choses en main: il prive les féodaux de ces mannes économiques que sont les villes et garde lui l’ascendant sur elles).

Bref, la féodalité est une imbrication d'une foule d'intérêts et d'influences, basée sur des sortes de "contrats" la plupart du temps oraux (l'hommage) passés d'homme à homme, et qui crée une très complexe toile de fidélités et de droits et de devoirs qui sont perpétuellement remis en question par diverses luttes d'influence et autres conflits. C'est seulement à partir du XIIIème siècle que se met en place une administration royale qui vient supplanter tout ça, mais très lentement, peu à peu, et la notion d'Etat royal n'existe pas avant l'époque moderne (c'est notamment François 1er, puis Richelieu qui vont le concrétiser, ce dernier inventant "la raison d'Etat", en enfin Louis XIV qui finit par mater les féodaux après la Fronde..... finalement, ce long processus trouve son achèvement avec la Révolution, qui supprime la féodalité, et crée un Etat de droit, qui vient en totale opposition à cette mosaïque de privilèges, de droits, et de situations particulières qu'était la France d'ancien régime).

On se rend compte de la complexité de la situation en étudiant cela à l'échelle locale: la féodalité revêt des visages bien particuliers et des spécificités dans chaque région, et ce jusqu'à la Révolution.....

Bref, c'est ce que j'ai retenu de mon intérêt pour la question, je ne dis pas que c'est exactement ça, ni que ce que je dis est fondamentalement vrai, je suis loin d'être un spécialiste de la question. En outre, ce post reste simpliste et il y a une foule de nuances et de précisions à lui apporter.....

"La culture, c'est comme la confiture, moins on en a, plus on l'étale".... Ceci dit ça reste quelque chose qui me passionne, et le fait d'en parler ainsi permet aussi de remettre les choses à plat dans ma tête..... Mais je ne veux pas donner l'impression de "faire cours" ou d'étaler mes connaissances de façon pédante. J'aimerais bien discuter en profondeur de tous ces points, et apprendre, toujours apprendre, on ne finit d'apprendre que dans la tombe.....


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Message Publié : 22 Nov 2015 17:41 
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Grégoire de Tours
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Bien dit, Brennus, et un immense merci pour toutes ces précisions très utiles pour moi en dépit du caractère simpliste ou incomplet que vous leur prêtez. Ce rappel était nécessaire pour moi, et votre exposé m'a paru clair.

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Message Publié : 22 Nov 2015 18:05 
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Marc Bloch
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Oui nous pouvons remercier Brennus pour sa présentation très pédagogique mais pour ma part j'ajouterais trois interrogations :

- comment avoir une vision synthétique de la féodalité alors que le phénomène a pris tant d'aspects divers selon les lieux et les siècles ?
- comment avoir une telle vision alors que les sources les plus riches me semblent être les plus tardives ?
- enfin et surtout comment théoriser un phénomène qui semble avoir été au moins départ surtout pragmatique ?

Et aussi ceci : pour l'homme contemporain, l'hommage féodal semble s'apparenter à un contrat - c'est à dire à l' engagement réciproque de deux hommes libres - or dans les faits il n'y a guère de liberté : je ne crois pas qu'il soit exact de dire qu'un vassal peut choisir son suzerain ! tous les seigneurs flamands sont vassaux du comte de Flandres sans qu'ils puissent faire un autre choix. Je me trompe peut-être ... quant au comte de Flandrs, c'est un vassal du roi de France - sans qu'il puisse faire hommage à l'Empereur ou au roi d'Angleterre ! symétriquement un seigneur du Kent n'imaginerait aps une seconde de prêter hommage au roi de France !

En fait je crois que la vassalité est héréditaire (comme presque tout au moyen âge !) : le choix du premier ancêtre de rendre hommage à tel suzerain (en échange d'un fief) lie les descendants du vassal et du suzerain - ce double engagement en peut être rompu que par un commun accord.


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Message Publié : 22 Nov 2015 20:36 
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En effet, Jérôme, et nous l'avions déjà évoqué plus haut.
C'était d'ailleurs mon autre interrogation : qu'est-ce qui fait qu'on est vassal d'un suzerain et pas d'un autre.
Le fait que votre fief était autrefois inclus dans le royaume dont le roi est votre suzerain, même si c'est vous et non le roi qui avez l'autorité directe sur ce fief? Le fait que c'est l'ancêtre de votre suzerain qui a donné son fief à votre ancêtre? Des causes géographiques et historiques, en somme...

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Message Publié : 22 Nov 2015 22:43 
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Camille l'uchronique a écrit :
En effet, Jérôme, et nous l'avions déjà évoqué plus haut.
C'était d'ailleurs mon autre interrogation : qu'est-ce qui fait qu'on est vassal d'un suzerain et pas d'un autre.
Le fait que votre fief était autrefois inclus dans le royaume dont le roi est votre suzerain, même si c'est vous et non le roi qui avez l'autorité directe sur ce fief? Le fait que c'est l'ancêtre de votre suzerain qui a donné son fief à votre ancêtre? Des causes géographiques et historiques, en somme...


Théoriquement, dans les premiers temps, c'est le roi qui distribuait les fiefs. Les feudataires distribuant des sous-fiefs .... et ainsi de suite. Après, la situation est différente en fonction du pouvoir du suzerain, des époques et des lieux. Le suzerain est souvent perçu comme le premier des pairs. Donc, presque comme un feudataire comme les autres. Presque ... En fait, le but de la plupart des feudataires fut de rendre leurs fiefs héréditaires, puis de les agrandir. Dans le Saint Empire Romain Germanique, l'Empereur est issu d'une grande famille. Élu, par des Grands Électeurs. Qui vendent leur vote au plus offrant... Dans le royaume des Francs, Hugues Capet fait couronner son fils et il installe ainsi sa dynastie. Au début, le roi n'a pas le pouvoir de contrer le pouvoir de ses grands feudataires. Sauf qu'il est l'arbitre suprême. Et le roi saura mener une politique matrimoniale qui lui permettra de reprendre la main ... quelques générations plus tard.

Donc, au départ, c'est le roi qui distribue les fiefs. Par la suite, les fiefs deviennent héréditaires et ce sont les grands feudataires qui nomment le roi, soit dans la famille royale, soit dans une des grandes familles. Théoriquement, ce qui fait qu'on est le féal d'un suzerain, plutôt que d'un autre, est déterminé par le lieu où l'on se trouve, en fonction des partages immémoriaux. Mais, les plus grandes familles sont plus ou moins indépendantes. Il me semble qu'il y a quelques cas où des grands feudataires ont changé de suzerains. Mais, il est difficile de changer une région de place. Donc, çà limite les possibilités. De plus, la tendance est d'aller vers l'indépendance. Ainsi, originellement le duché de Hongrie était sous l'influence du Saint Empire. Puis le duc est devenu roi. Et la Hongrie est devenu un royaume indépendant.

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Message Publié : 23 Nov 2015 17:52 
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Merci pour ces nouvelles précisions, Narduccio, et décidément, quelle conversation intéressante!

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Message Publié : 23 Nov 2015 20:37 
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À la réflexion je ne sais pas si on peut vraiment parler d'heredite des fiefs au sens strict. L'héritier d'un fief ne peut en théorie en disposer sans prêter hommage au suzerain. S'il refuse l'hommage, il perd le fief...c'est pour cela qu'un vassal ne peut changer de suzerain à son gré.la concession du fief n'entraine pas une perte définitive des droits du suzerain...c'est difficile à comprendre pour nous car sont en cause des démembrements de propriété et un mélange de droits public et privé qui nous sont tout à fait étrangers !


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Message Publié : 23 Nov 2015 22:34 
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Jerôme a écrit :
À la réflexion je ne sais pas si on peut vraiment parler d'heredite des fiefs au sens strict. L'héritier d'un fief ne peut en théorie en disposer sans prêter hommage au suzerain. S'il refuse l'hommage, il perd le fief...c'est pour cela qu'un vassal ne peut changer de suzerain à son gré.la concession du fief n'entraine pas une perte définitive des droits du suzerain...c'est difficile à comprendre pour nous car sont en cause des démembrements de propriété et un mélange de droits public et privé qui nous sont tout à fait étrangers !


Cela dépend des lieux et des périodes. Cela dépend du rapport de force entre les puissances respectives du suzerain et des féodaux.

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Message Publié : 24 Nov 2015 12:06 
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Jerôme a écrit :
L'héritier d'un fief ne peut en théorie en disposer sans prêter hommage au suzerain. S'il refuse l'hommage, il perd le fief...c'est pour cela qu'un vassal ne peut changer de suzerain à son gré.la concession du fief n'entraine pas une perte définitive des droits du suzerain...c'est difficile à comprendre pour nous car sont en cause des démembrements de propriété et un mélange de droits public et privé qui nous sont tout à fait étrangers !
C'est au contraire clair comme de l'eau de roche en ce qui me concerne, ce que vous précisez là est justement la pièce du puzzle qui me manquait pour tout comprendre!
Ainsi, on se souvient que la terre a appartenu au suzerain avant qu'il la donne à son vassal...
C'est sans doute ce qui explique aussi pourquoi les fiefs retournent au suzerain si le vassal n'a aucun descendant.

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Message Publié : 24 Nov 2015 15:14 
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Camille l'uchronique a écrit :
Jerôme a écrit :
L'héritier d'un fief ne peut en théorie en disposer sans prêter hommage au suzerain. S'il refuse l'hommage, il perd le fief...c'est pour cela qu'un vassal ne peut changer de suzerain à son gré.la concession du fief n'entraine pas une perte définitive des droits du suzerain...c'est difficile à comprendre pour nous car sont en cause des démembrements de propriété et un mélange de droits public et privé qui nous sont tout à fait étrangers !
C'est au contraire clair comme de l'eau de roche en ce qui me concerne, ce que vous précisez là est justement la pièce du puzzle qui me manquait pour tout comprendre!
Ainsi, on se souvient que la terre a appartenu au suzerain avant qu'il la donne à son vassal...
C'est sans doute ce qui explique aussi pourquoi les fiefs retournent au suzerain si le vassal n'a aucun descendant.


C'est le cas en théorie, mais la réalité est un peu plus complexe. SI on prend le cas du SERG, la tendance est à l'indépendance et le Saint Empire Romain Germanique tend, à partir du premier interrègne à devenir une confédération de seigneuries indépendantes.

Du coup, le fief n’est pas restitué au « suzerain », puisque si on reconnait bien la suprématie de l’Empereur et s’il y a bien des liens personnels entre petits seigneurs et grands seigneurs, la terre et les droits afférents restent la propriété de la famille qui les possède. D’où des morcellements et un entrelacs de droits auxquels plus personne n’y comprend plus rien. Surtout que parfois, ces droits sont donnés en gage pour obtenir des prêts. Ainsi, tel seigneur, qui a besoin d’argent pour mener une campagne, peut très bien rétrocéder son droit de justice à telle autre famille qui va lui prêter l’argent. La famille se remboursant avec les revenus liés à l’exécution du droit (donc, dans ce cas, les amendes …). Cette famille pouvant faire de même sur tout ou partie du domaine concerné, on comprend que la situation peut devenir ubuesque.

De plus, les morcellements dus aux héritages n’arrangent pas la situation. Admettons que dans tel fief, à la seconde ou troisième génération, ce droit de justice se retrouve aux mains d’une dizaine d’héritiers. Premièrement, il faut assurer des dépenses pour assurer les revenus de ce droit. Donc, il faut financer des gens d’armes et éventuellement un ou deux juges, si aucun des héritiers ne se dévouent pour assurer cette fonction. Il faut ensuite partager les bénéfices issus de l’activité. Si l’un des héritiers assure le rôle de juge, il y a souvent des bisbilles car il demande a être payé de plus pour son service. Les autres héritiers trouvant souvent qu’il n’administre pas assez d’amendes (ce qui augmente les revenus) ce qui limite leurs parts, tandis que lui se contente des gains des droits de justice qui lui sont dévolus en fonction des actes qu’il rend…

D’autant plus, qu’à partir du XIIIème siècle, l’Empereur va souvent jouer les villes contre la petite noblesse. Donc, il va concéder aux villes « impériales », le droit de lever les impôts et d’administrer la ville et la justice en échange d’un tribut versé annuellement. Ce qui va entraîner une espèce de privatisation de l’espace public au bénéfice des notables qui vont avancer l’argent pour payer le tribut.

En fait, il y a souvent le droit féodal ... et son application. Cette application dépendant des conditions locales. Imaginons que 2 petits nobliaux ne respectent pas les règles du droit féodal et que leurs administrés portent plainte devant la justice royale. Si le suzerain de l'un des deux nobliaux est un des grands seigneurs et qu'il lui apporte sa protection, il est possible que la justice du roi ferme les yeux, alors qu'elle condamnera durement l'autre qui n'aura pas été protégé. Les circonstances expliquent pas mal de dérogations aux règles. Et à certaines périodes, c'est l'arbitraire qui règne en maître. Quand on s'intéresse aux histoires locales, on va trouver de nombreux exemples qui montreront que la féodalité accepte de nombreuses exceptions.

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Message Publié : 24 Nov 2015 22:04 
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Marc Bloch
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Sans être un expert, je crois que pour des raisons pédagogiques il faut souligner la distance entre le droit féodal et nos systèmes juridiques modernes ! En particulier , la féodalité repose à mon sens sur le démembrement de la propriété et sur le mélange de droits publics et privés.

Démembrement de propriété : le suzerain ne "donne" jamais rien complètement. Il ne fait que concéder la jouissance d'une terre (ou quelque chose d'équivalent) en échange de services (militaires, financiers) dus par le vassal. Mais cette terre n'est jamais la propriété au sens romain (ou napoléonien ) du vassal ( qui serait une sorte d'usufruitier pour employer un terme romain ou moderne).
Mélanges de droits prives et publics : on ne sait jamais vraiment si on parle de services publics ou d'avantages prives , d'impôts ou de loyers ...

Comme le dit Narduccio en pratique une certaine confusion existe parce que le droit féodal est en lui même diversifié et que les rapport de force y jouent évidemment un grand rôle au quotidien. Mais cette loi inappliquée reste relativement présente dans les esprits - du moins est ce l'impression que j'ai à l'examen de la situation française.

Concrètement cela signifie que le Roi n'a probablement jamais considéré ses vassaux comme ses égaux même sIl n'avait aucun moyen politique d'affirmer sa suzeraineté ! D'où la stratégie royale à partir du XIIe siècle qui a consisté a imposé aux vassaux la cérémonie d'hommage ...pour manifester symboliquement la subordination légale du vassal...et avoir une base pour la transformer en subordination politique...ce qui arrivera au XIII e siècle !

Pour revenir à Alienor, je crois que Louis VII fut le premier capétien à obtenir l'hommage du duc de Normandie, Henri II, second époux de la belle Alienor !


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Message Publié : 24 Nov 2015 23:40 
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Effectivement, et c'est ce que j'avais déjà signalé plus haut, le droit féodal occidental est quasiment le même que ce soit dans l'espace germanique, franc, provençal, italien ou britannique. Mais, la situation respective des rapports de force locaux fait qu'il n'est pas appliqué de la même manière en fonction des aires géographiques et des époques. En France, le roi garde une certaine légitimité dynastique, malgré les changements de dynastie. Dans l''aire germanique, après les interrègnes, l'Empereur est élu, de diverses manières en fonction des périodes, donc son statut est différent. En Angleterre, j'avais lu quelque part que le roi s'appuyait beaucoup sur ses barons. Donc, sur la petite noblesse locale. Alors que dans le SERG, dès le XIIème siècle, l'Empereur choisit la bourgeoisie commerçante au détriment de la petite noblesse pour contrer les grands féodaux qui pourraient vouloir entrer en concurrence avec lui.

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Message Publié : 25 Nov 2015 2:18 
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Grégoire de Tours
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Fondamentalement, pour l'analyse juridique de la féodalité, il faut souligner que la notion d'un "droit privé" à côté d'un "droit public" n'existe pas au Moyen Âge. S'il y a distinction, elle se fait entre les sources du droit (coutume, droit romain, jus commune, droit canon) plus qu'entre ses objets.

La mise en ordre juridique de la féodalité est menée par les Italiens, grands connaisseurs du droit romain, dans les Libri feodorum compilés probablement à Milan au cours du XIIe siècle. Annexés au Code justinien, ils deviennent la base pour les apprentissages savants du droit féodal.

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Ira principis mors est


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