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je vois mal en quoi consistent l'hommage et le fait d'être vassal
L'hommage est lié au fief. Le fief, c'est un droit, une terre, une fonction, dévolu à une personne par un seigneur plus puissant. Ce fief est détenu par ledit seigneur qui en donne les droits à son vassal (c'est souvent une source de revenus pour ce dernier). Celui-ci jure fidélité en échange audit seigneur. Les deux sont censés être liés par un certain nombre de droits et de devoir par cet hommage (dont le rite usuel consiste à joindre les mains comme en prière pour le vassal qui sont enserrées par les mains du suzerain).
Le vassal doit conseil et assistance à son suzerain et est censé répondre à son appel en cas de guerre. En échange, le suzerain doit protection et assistance également à son vassal. Ainsi, la fodalité peut être conçue comme une sorte de pyramide. Au sommet, il y a le roi, le suzerain des suzerains, lui n'est censé rendre hommage à personne (ce qui pose un gros problème quand un roi doit un hommage à un autre roi pour certains de ses fiefs). En-dessous, il y a les grands seigneurs, ducs, comtes....Etc, puis ensuite les seigneurs "intermédiaires", barons, vicomtes....Etc, et enfin les petits bannerets, chevaliers, simples châtelains. Tout en bas de la pyramide féodale, on a toute une foule de petits chevaliers, parfois même non "fieffés", qui vivent dans l'entourage du seigneur dont ils dépendent. Ils constituent la mesnie, la maison de ce dernier. On trouve par exemple les "milites castri", les chevaliers du château, littéralement, qui vivent et dépendent du castrum de leur seigneur. Dans certaines régions, certains ont le statut de serf (et sont donc juridiquement totalement dépendants de leur seigneur et ne peuvent pas faire grand chose sans leur permission). Jusqu'au XIIIème siècle, il n'y a pas de limite claire entre nobles et non nobles: être noble, c'est vivre d'une certaine manière et avoir certaines activités. Les chevaliers ne sont pas forcément issus d'une lignée, ils sont avant tout des guerriers, des combattants, rattachés à une lignée. On a même de véritables "chevaliers paysans". Beaucoup de ces petits chevaliers seront exclus de la noblesse avec le temps, à mesure que celle-ci se ferme et devient de plus en plus élitiste (et que le coût de la vie nobiliaire, des armes notamment, grimpe en flèche).
Ça ce sont les grandes lignes et la théorie. En pratique, la féodalité est extrêmement complexe. Une foule d'influences s'imbriquent les unes dans les autres. Nombre de seigneurs doivent l'hommage à plusieurs suzerains pour leurs différents fiefs (par exemple, beaucoup de seigneurs normands doivent à la fois l'hommage au duc de Normandie, et donc à travers eux, aux rois de France, pour leurs possessions continentales, et également au roi d'Angleterre pour leurs possessions dans ledit pays suite à l'invasion de 1066, ce qui complique encore énormément le conflits entre capétiens et Plantagenêts qui sont eux-même avant tout de grands seigneurs continentaux). Localement c'est encore plus compliqué et les fidélités et loyautés se chevauchent, s'imbriquent....Etc. (il peut même arriver qu'un seigneur soit vassal d'un autre seigneur pour un fief, mais que ledit seigneur soit également vassal du premier pour un autre fief.... Tout dépendra alors de l'endroit où ils se trouvent pour ce qui est honneurs et autres. Comme exemple, je pense au vicomte de Limoges et à l'évêque de Limoges, deux puissants féodaux dont les domaines s'imbriquaient de manière assez complexe, l'un pouvait avoir des droits sur un castrum dominé par l'autre, mais inversement pour d'autres domaines ou droits (le fief n'est pas forcément une terre ou un château, il peut s'agir d'un pouvoir judiciaire, fiscal ou autre)).
En outre, il n'y a pas que l'aristocratie qui constitue le système féodal. Les villes, qui s'affranchissent peu à peu de l'aristocratie, les ecclésiastiques, souvent issus de l'aristocratie, s'ajoutent à tout ça. Les évêques, les abbayes sont souvent de grands seigneurs féodaux qui reçoivent l'hommage de beaucoup de vassaux (et qui peuvent eux-mêmes être vassaux d'autres seigneurs).
Egalement, la situation n'est pas figée, ni dans le temps, ni dans l'espace. A l'origine, la féodalité trouve sont origine dans le système carolingien. Les comtes sont alors nommés par le roi parmi l'aristocratie (qui tire son pouvoir de la terre et de son influence) mais restent assujettis au pouvoir impérial puis royal. Comme ce pouvoir central s'affaiblit énormément aux IXème et Xème siècles, ces comtes prennent de plus en plus d'indépendance. Ils parviennent à rendre leur charge héréditaire, et les pouvoirs dit régaliens tombent entre leurs mains (rendre la justice, frapper monnaie par exemple). Peu à peu, le pouvoir du roi est de plus en plus symbolique, au point où le roi est plus ou moins choisi par le conseil des grands seigneur (c'est comme cela que les capétiens supplantent et remplacent les carolingiens à la fin du Xème siècle). Par la suite, ces pouvoirs glissent, par le même procédé entre les mains de seigneurs encore plus locaux, les vicomtes par exemple, alors que certaines lignées s'imposent et se comportent comme de petits souverains (ils prennent le titre de ducs, de barons). Les duc d'Aquitaine et de Normandie sont des exemples frappants.
Tous ces seigneurs, afin d'asseoir leur pouvoir et leur légitimité, s'entourent de combattants (puisque leur rôle militaire, de défense de leur territoire, est fondamental dans leur légitimité), ces fameux "milites" qui sont à l'origine de la chevalerie, et qui constituent autour d'eux des mesnies..... Ceux-ci acquièrent à leur tour influence et renommée, et réclament à leur tour certaines prérogatives, voir des fiefs qui leur sont accordés en récompense de leur service et de leur fidélité. On a ainsi un échelon de plus dans la féodalité, encore plus locale (avec la foule de nuances et de cas particuliers que j'évoquais plus haut). Au cours du XIIème siècle, la fusion entre l'ancienne aristocratie implantée de longue date et cette nouvelle noblesse guerrière est opérée: mêmes les plus puissants se font adouber chevalier et revendiquent la culture très prestigieuse associée à la chevalerie.
Dans les faits, oui, le roi est au sommet. Dans la pratique, la confiscation des pouvoirs régaliens par des potentats de plus en plus locaux rend la charge royale très symbolique, et elle n'est respectée que dans la mesure où le roi n'interfère pas avec les intérêts des grands seigneurs. La situation devient encore plus complexe quand lesdits rois se retrouvent, par le jeu des alliances matrimoniales, à devoir l'hommage à d'autres puissants. Pour l'exemple des Plantagenêt, leur fonction royale est totalement dissociée, en théorie, de leurs droits sur leurs fiefs continentaux. Mais dans le jeu du pouvoir et de l'influence, on imagine facilement le soucis que ça pose tout de même. Les rois de France gardent en outre une longueur d'avance car ils sont "sacrés", leur légitimité repose sur la religion. Mais avant Philippe Auguste, ils n'ont que très peu d'influence en dehors de leur domaine royal.
A cela il faut ajouter et prendre en compte le droit local, les alleu (terres sans seigneurs), l'influence et les possessions de l'Eglise, l'influence énorme des abbayes, puis des villes qui s'affirment grâce aux richesses tirées du commerce et qui s'affranchissent du pouvoir féodal: le roi leur accorde des chartes de franchise (c'est un redoutable moyen pour le roi de reprendre les choses en main: il prive les féodaux de ces mannes économiques que sont les villes et garde lui l’ascendant sur elles).
Bref, la féodalité est une imbrication d'une foule d'intérêts et d'influences, basée sur des sortes de "contrats" la plupart du temps oraux (l'hommage) passés d'homme à homme, et qui crée une très complexe toile de fidélités et de droits et de devoirs qui sont perpétuellement remis en question par diverses luttes d'influence et autres conflits. C'est seulement à partir du XIIIème siècle que se met en place une administration royale qui vient supplanter tout ça, mais très lentement, peu à peu, et la notion d'Etat royal n'existe pas avant l'époque moderne (c'est notamment François 1er, puis Richelieu qui vont le concrétiser, ce dernier inventant "la raison d'Etat", en enfin Louis XIV qui finit par mater les féodaux après la Fronde..... finalement, ce long processus trouve son achèvement avec la Révolution, qui supprime la féodalité, et crée un Etat de droit, qui vient en totale opposition à cette mosaïque de privilèges, de droits, et de situations particulières qu'était la France d'ancien régime).
On se rend compte de la complexité de la situation en étudiant cela à l'échelle locale: la féodalité revêt des visages bien particuliers et des spécificités dans chaque région, et ce jusqu'à la Révolution.....
Bref, c'est ce que j'ai retenu de mon intérêt pour la question, je ne dis pas que c'est exactement ça, ni que ce que je dis est fondamentalement vrai, je suis loin d'être un spécialiste de la question. En outre, ce post reste simpliste et il y a une foule de nuances et de précisions à lui apporter.....
"La culture, c'est comme la confiture, moins on en a, plus on l'étale".... Ceci dit ça reste quelque chose qui me passionne, et le fait d'en parler ainsi permet aussi de remettre les choses à plat dans ma tête..... Mais je ne veux pas donner l'impression de "faire cours" ou d'étaler mes connaissances de façon pédante. J'aimerais bien discuter en profondeur de tous ces points, et apprendre, toujours apprendre, on ne finit d'apprendre que dans la tombe.....