Jean-Marc Labat a écrit :
La comptabilité ne doit pas être glamour auprès des historiens, et les documents, si ils existent, n'ont pas été encore pleinement exploité.
Cette question est précisément le domaine de l'Ecole des Annales. Les écrits de Georges Duby abondent en commentaires des documents des chartes (les "cartulaires") de différents établissements nobles ou ecclésiastiques, ainsi que des documents budgétaires.
Faget, vous devriez consulter
Seigneurs et paysans, ed. Champs Flammarion. Le chapitre 8 s'intitule :
Économie domaniale et économie monétaire : le budget de l'abbaye de Cluny entre 1080 et 1155. Je viens de le trouver sur Persée ! Vous y trouverez de nombreux éléments de réponse. Les gras sont de moi.
Georges Duby a écrit :
Dans le cours du xie siècle, le numéraire circule plus aisément en Europe Occidentale. Les seigneurs fonciers commencent à acheter davantage au dehors et à user plus largement de la monnaie. Mais les modalités et les conséquences de cette évolution restent obscures : très rares sont les documents qui permettent d'observer de près le mouvement de l'argent dans les caisses seigneuriales.
[...]
Le rédacteur des Très anciennes Coutumes estime que, normalement, la production du domaine doit satisfaire la plupart de ces très grands besoins : au temporel, l'office majeur est celui du cellérier qui, assisté du grènetier, du garde-vin et du garde de l'hôtellerie, rassemble les produits de la seigneurie et les répartit entre les réfectoires et les écuries. L'abbaye dispose. en vérité d'un patrimoine foncier très vaste et bien administré. Formé progressivement depuis la fondation du monastère et surtout depuis la fin du xe siècle par d'innombrables aumônes, il réunit de très nombreuses terres dans un rayon de 5 à 6 lieues autour des bâtiments conventuels. Beaucoup, il est vrai, sont des tenures, chargées pour la plupart de redevances très faibles, mais beaucoup aussi sont mises en valeur directement et cette réserve est en progrès constant. Le domaine est divisé en 18 seigneuries autonomes, les doyennés, ce qui permet une meilleure gestion. Chaque doyenné est dirigé par un moine intègre, établi sur place pour une longue période, souvent originaire du pays et connaissant ses pratiques agraires ; ce doyen est d'ailleurs surveillé étroitement par le grand prieur, qui chaque hiver vient contrôler les profits du domaine et décider de leur affectation.
Abondante la terre est donc bien tenue en mains. Malheureusement, aucun texte ne permet d'évaluer son rapport à cette époque. Il apparaît seulement que l'extension même du domaine et son organisation complexe en réduisent notablement le rendement. Une bonne part du produit de la terre est, en effet, consommée dans le doyenné même des techniques encore rudimentaires obligent à réserver pour les prochaines semailles le tiers, sinon parfois la moitié de la récolte en grains ; de plus, les corvées exigées des tenanciers étant insignifiantes en Maçonnais, le doyen doit confier la culture des vastes réserves à une troupe de valets, proches par leur statut des prebendarii des seigneuries germaniques, et cette familia absorbe encore une partie des profits ; la perception des redevances sur de multiples tenures dispersées nécessite d'autre part la présence dans chaque village d'un prévôt laïc qui, trompant toute surveillance, parvient souvent à distraire à son profit une portion des revenus ; enfin le tiers des surplus est traditionnellement abandonné au doyen pour la distribution des aumônes et l'accueil des hôtes : chaque doyenné, à l'instar de la maison-mère, pratique, en effet, la charité bénédictine. On découvre ici l'un des vices de l'économie agraire médiévale : les frais de gestion s'accroissent très vite dès que la seigneurie prend de l'extension ; la grande seigneurie est de bien moindre profit que la petite. Cluny, en définitive, ne recueille qu'une fraction minime des produits de son domaine.
Ulric de Zell juge que cette fraction doit assurer le ravitaillement de la communauté. Il remarque toutefois qu'il faut souvent acheter au dehors des denrées. L'abbaye ne vit pas en économie strictement fermée ; elle use de la monnaie et pratique l'échange. Auprès du cellérier, le chambrier, chargé du maniement des deniers, remplit une fonction, plus effacée certes, mais indispensable.
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