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Les saints au Moyen Age
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Auteur :  Guidestone [ 11 Nov 2018 14:25 ]
Sujet du message :  Les saints au Moyen Age

Bonjour à tous,

Je suis en train de lire un livre très intéressant mais assez curieux :

" L'homme et le Miracle dans la France Médiévale"
Ed Biblis 9.85 euros .

Le livre est captivant (étude sociologique et statistique des miracles)
mais ambigu sur un point que j'aimerais faire préciser :

Est ce qu'il fallait être "mort" pour être "saint" ,
ou est ce qu'on pouvait l'être de son vivant ?


Merci à tous .

Auteur :  Jean-Marc Labat [ 11 Nov 2018 16:36 ]
Sujet du message :  Re: Les saints au Moyen Age

Oui, il faut être mort.

Durant longtemps, c'est la vox populi qui faisait les saints avant que l'Eglise codifie le processus de canonisation. On a pu voir que la vox populi était encore influente à l'occasion de la mort de Jean-Paul II où les gens portaient des placards où était inscrit Santo Subito. Ce qui fut fait seulement neuf ans après son décès, ce qui est très rapide.

Auteur :  Guidestone [ 11 Nov 2018 20:21 ]
Sujet du message :  Re: Les saints au Moyen Age

Ok,merci .

Je recommande le livre ; à part cette ambiguïté tout le reste est très intéressant .

Auteur :  Nebuchadnezar [ 11 Nov 2018 21:39 ]
Sujet du message :  Re: Les saints au Moyen Age

Certaines personnes pouvaient être considérée inspirée, de leur vivant. Jeanne d'Arc en fait partie.

D'autres pouvaient avoir leur fan-club qui les accompagnait et quêtait les miracles.

Mais la reconnaissance officielle n'arrive qu'après la mort, après une enquête en canonisation diligentée par l'Église. L'une des marques de sainteté est précisément les miracles produits par la tombe du défunt.

C'est d'ailleurs là où c'est vraiment intéressant : le corps du saint peut alors être fragmenté en relique. On peut dès lors s'en servir pour consacrer des églises, et dans le meilleur des cas mettre en place un pélerinage.

Auteur :  Jean-Mic [ 12 Nov 2018 15:59 ]
Sujet du message :  Re: Les saints au Moyen Age

Comme il a été dit plus haut : oui, la sainteté ne peut être reconnue et proclamée par l'Église qu'après la mort de la personne. D'ailleurs, plutôt que de parler de mort ou de décès, l'Église emploie la jolie expression de naissance au Ciel (c'est pourquoi, sauf rares exceptions, la date de la fête d'un saint est fixée à l'anniversaire de sa mort). ;)

I - comment l'Église reconnaît-elle les saints (lorsqu'ils sont morts) ?
Pendant des siècles, la canonisation (ou proclamation de la sainteté) d'une personnage était faite par la vox populi, c'est à dire du simple fait de l'existence d'une dévotion populaire (spontanée ou organisée), bientôt suivie d'une mise en forme liturgique précise par les autorités religieuses (hymnes, cantiques, monitions, et choix des textes votifs). A la fin du XVIe siècle, le pape Sixte Quint met en place une procédure encadrée de bout en bout par l'autorité ecclésiastique, procédure toujours en vigueur aujourd'hui.
Je vous renvoie à l'article Canonisation de Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Canonisation. Il est plutôt bien fait dans sa partie historique, un peu plus confus dans sa partie canonique (du droit de l'Église).

Retenez seulement que la procédure comporte quatre étapes :
    1/ l'introduction de la cause à la demande des fidèles auprès de l'évêque du lieu du décès, suivi de la désignation par l'évêque en question d'un postulateur de la cause, chargé de rédiger une requête,
      après validation par Rome, la personne est alors déclarée vénérable,
    2/ le procès de béatification, toujours sous l'autorité de l'évêque du lieu de décès ; le postulateur va alors mener une enquête canonique et recueillir biographies, informations et témoignages, recueillir également le constat d'un miracle au moins ;
      à l'issue de cette phase, le dossier est transmis à Rome, à la Congrégation pour le culte des saints ; après validation par Rome, la personne est proclamée bienheureuse par l'évêque,
    3/ le procès de canonisation, mené à Rome, qui tranchera sur la sainteté ... ou sur l'abandon du procès ; le procès est alors repris intégralement de manière contradictoire par un comité où s'opposent le postulateur de la cause et le promoteur de justice (celui qu'on appelait autrefois l'avocat du diable) ;
      un deuxième miracle doit être constaté ; à l'issue de ce procès est rédigée la Positio qui est soumise au pape pour proclamation,
    4/ le rite de canonisation, public et solennel, présidé par le pape lui-même, à l'issue duquel la personne est (enfin) proclamée sainte.
La procédure peut évidemment durer des années, voire des décennies. Certaines, abandonnés puis reprises, ont duré des siècles. Certaines n'aboutiront sans doute jamais. A notez que la procédure en question a parfois conduit à reconsidérer le culte de certains saints jugés par trop fantaisistes (citons saint Expédit ou sainte Philomène), et mené à leur décanonisation (si, si, je vous jure : le mot existe !).

Ajoutons que bon nombre des enquêtes actuelles sont considérées comme des modèles de rigueur scientifique et historique.


II - et les vivants alors ?
Il arrive qu'on parle de saints pour des personnes vivantes. Aux temps anciens, le cas n'est pas rare mais il est loin d'être systématique. Un cas bien connu est celui de saint Martin, et, à l'époque mérovingienne, d'un certain nombre d'évêques défenseurs de la cité (pensez à saint Denis), et de quelques autres personnages-clés de leur époque (sainte Geneviève, qu'on peut également ranger parmi les defensor civitatis, ...). La règle générale est néanmoins que la vox populi s'exerce au moment du décès : "le saint est mort !", ou plus tard au vu des miracles opérés sur son tombeau.
Enfin, parmi les vivants, il faut faire une place à part à ceux qui opèrent, ou qui opéraient, des miracles. On parle alors de thaumaturges, un phénomène qui n'est pas propre au christianisme, et qui n'est qu'un critère parmi d'autres de la sainteté (et pas le plus important, loin de là).

Depuis la Renaissance et la prise en main du processus de canonisation par les autorités ecclésiastiques, si vous avez lu ce qui précède, vous comprendrez qu'il s'agit d'un abus en termes canoniques, c'est à dire selon le Droit de l'Église. Néanmoins, l'histoire récente nous en a donné des exemples avec Mère Teresa de Calcutta ou avec l'Abbé Pierre, considérés par certains catholiques comme saints de leur vivant, en raison du rayonnement de leurs vertus, considérées comme la manifestation de leur foi et de leur fidélité à l'Évangile (j'emploie les termes consacrés sans les discuter, ce qui n'aurait pas sa place ici). On n'est pas très loin de ce qu'on appelait autrefois la vox populi (cf. plus haut).
Cette reconnaissance populaire n'engage pourtant pas Rome et le pape ! Pour preuve, en reprenant mes deux exemples précédents, il a fallu 19 ans pour que l'Église reconnaisse Mère Teresa comme sainte. Quant à l'Abbé Pierre, son procès de béatification n'est apparemment même pas envisagé.


J'ai bien vu que votre question portait sur le Moyen-Âge, mais j'espère que ma mise en perspective avec les périodes modernes et contemporaines pourra vous être utile.
Jean-Mic

Auteur :  Rémy N. [ 12 Nov 2018 20:20 ]
Sujet du message :  Re: Les saints au Moyen Age

Merci Jean-Mich pour votre réponse très claire!

Auteur :  Châtillon [ 14 Nov 2018 21:21 ]
Sujet du message :  Re: Les saints au Moyen Age

Guidestone a écrit :
Est ce qu'il fallait être "mort" pour être "saint" ,
ou est ce qu'on pouvait l'être de son vivant ?


Il est impossible de devenir "saint" après la mort. Affirmer le contraire, serait presque un non-sens. Ce qui définit un saint, c'est le comportement qu'il a eu de son vivant et le processus de sanctification ontologique qui en résulte.

Il faut peut-être remettre les choses à leur place. Ce n'est ni le peuple, ni l’Église qui font le "saint", mais bien le saint lui-même par l'expérience du divin qu'il a fait en tant qu'être vivant. Qu'il soit reconnu par le peuple ou l’Église est presque secondaire.

Il importe aux historiens d'en prendre conscience : tous les "saints" ne sont pas reconnus par l’Église, et peut-être que parmi les saints proclamés par l’Église, il y en a qui ne l'étaient peut-être pas, voire qui n'ont jamais existé...

Par ailleurs, la procédure d'enquête menée par l'Église après la mort du saint, porte principalement sur sa personne en tant qu'être vivant (même si, selon la croyance, le saint en question peut encore agir après sa mort par des miracles).

Auteur :  Barbetorte [ 14 Nov 2018 22:51 ]
Sujet du message :  Re: Les saints au Moyen Age

Certes, mais je ne pense pas que Guidestone ait voulu poser une question de théologie. Il fallait évidemment comprendre : Est ce qu'il fallait être "mort" pour être reconnu comme un saint ?

On ne sait quasiment rien de nombreux saints. Par exemple, saint Lin, martyr supposé successeur de Saint Pierre et, à ce titre, deuxième sur la liste officielle des papes, n'a peut-être jamais existé. Pour cette raison, le martyrologue officiel, publié en 2001 selon les prescription du concile Vatican II, a été sérieusement expurgé (sans modifier la liste des papes), ce qui n'interdit pas de poursuivre localement des dévotions rendues à certains saints qui ne reposent que sur une tradition invérifiable.

La reconnaissance officielle de la sainteté d'une personne n'intervient jamais qu'après son décès. Mais il arrive que la vox populi s'exprime dès son vivant. Ce fut le cas de la mère Theresa comme il a été dit et, plus encore, celui du padre Pio.

Auteur :  Jean-Mic [ 16 Nov 2018 19:48 ]
Sujet du message :  Re: Les saints au Moyen Age

Cher Châtillon
J'ai l'impression que vous mélangez deux registres. Le registre historique (qui a sa place ici) et le registre théologico-spirituel (qui a sa place sur d'autres forums tout aussi respectables) ;) . Il est vrai que sur un tel sujet, il est bon de connaître l'un pour comprendre l'autre

Du point de vue théologique et spirituel, il est tout à fait exact de dire que la sainteté s'acquiert et se vit dans ce monde. D'un point de vue bien plus général, il est tout aussi exact de dire que la canonisation d'un saint n'a lieu qu'après sa mort. Pourtant, ces deux affirmations sont des affirmations que je qualifierais de modernes (entendez : postérieurs à la Renaissance ; cf. ci-dessus).

En effet, au Moyen-Âge (sur lequel nous interrogeait notre ami Guidestone), et en particulier au premier millénaire, les choses sont un peu moins tranchées.

    On a des saints reconnus de leur vivant par leur contemporains (cf. les exemples cités de Martin, Geneviève, et de certains évêques mérovingiens).

    On peut avoir des saints qui ne se révèlent que bien après leur mort, par les miracles qu'ils opèrent sur leur tombeau. Inutile de dire que l'Église d'aujourd'hui est extrêmement prudente sur de tels saints (cf. les cas de décanonisations cités plus haut).
    Souvent, on ne connaît rien ou du moins pas grand chose de leur vie (saint Gervais et saint Protais à Milan, sainte Foy, ...). L'historien est fondé à douter de la sainteté, et dans certains cas extrêmes, de l'existence-même de tels personnages, mais l'historien ne peut douter du fait de la dévotion des fidèles. Quant au croyant, il peut tout à la fois douter de l'historicité des faits et reconnaître la vérité des grâces divines et, par conséquent, pratiquer ses dévotions en toute conscience (pèlerinage à sainte Foy de Conques ou à la Madeleine de Vézelay, ...).

    Enfin, il y a une majorité de saints dont l'histoire est connue et documentée. La légende a pu en rajouter (parfois des tonnes !), mais c'est l'Église elle-même qui a lancé dès le XVIIe siècle le travail de relecture et de critique des hagiographies pour faire la part de la légende et celles des faits avérés. Les travaux de la Société des Bollandistes font aujourd'hui référence (malgré, un retour assumé au légendaire à la fin du XIXe, à fin de développer et soutenir les dévotions populaires).

    Entre les uns et les autres, il y a ces personnages morts en odeur de sainteté, c'est à dire dont on dit au moment de leur mort : "sûrement, celui-ci était un saint !", ou dans une version moderne sur la place Saint-Pierre : "Santo Subito" ("saint immédiatement !"). Mais à ma connaissance, cette notion de mort en odeur de sainteté est assez tardive dans le Moyen-Âge, en tout cas après l'An Mil, et avérée au XIIe-XIIIe siècles.

J'espère ne pas avoir moi-même mélangé les genres.
Merci de votre indulgence.
Jean-Mic

Auteur :  Châtillon [ 06 Déc 2018 19:48 ]
Sujet du message :  Re: Les saints au Moyen Age

Jean-Mic a écrit :
J'ai l'impression que vous mélangez deux registres. Le registre historique (qui a sa place ici) et le registre théologico-spirituel (qui a sa place sur d'autres forums tout aussi respectables) ;) . Il est vrai que sur un tel sujet, il est bon de connaître l'un pour comprendre l'autre

L'on ne peut pas comprendre le moyen age chrétien, si on ne saisit pas la théologie à l'origine de sa "culture" et de sa sociologie. C'est comme si on excluait de l'enseignement de l'histoire du XVIIIe siècle, l'étude de la philosophie des Lumières. Et c'est peu de dire qu'il y a au moyen age, une -autre -philosophie des lumières, une théologie mystique, une religion intériorisée qui à servi de terreau à toute la société occidentale.

Au moyen age, plus que dans aucune autre période, le chrétien est appelé à devenir saint et s'il existe une voie royale pour le devenir c'est le monachisme. Comment comprendre le succès du monachisme et sa puissance au XIe et XIIe siècle. On entre au monastère, parce que l'on fait le choix -en principe - de la sainteté. La règle de saint Benoit telle qu'elle est appliquée dans le réseau clunisien ou cistercien, est une règle pour devenir saint.

Je ressors ce fil de discussion, car je suis récemment tombé sur un livre qui s'intitule Les saints militaires (André Corvisier, chez Honoré Champion). On y trouve notamment ceci :

" Rappelons que l’Église qualifie "saints" ceux qui ont suivi le Christ à un haut degré et qu'elle établit une distinction entre ceux qui ont été canonisés qui, seuls sont vénérés, nommément, et les saints non canonisés. Parmi ces derniers se trouvent des âmes béatifiés en voie de canonisation et aussi des âmes connues de Dieu seul. "

Auteur :  Jean-Mic [ 07 Déc 2018 13:37 ]
Sujet du message :  Re: Les saints au Moyen Age

De quelle époque parle Corvisier dans la citation que vous donnez ?

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