Le phénomène des reclus est une des formes de celui des ermites ou anachorètes. Dans la tradition chrétienne, ce sont des personnes, hommes ou femmes, qui se retirent du monde pour vivre une vie de prière, et souvent aussi de pénitence.
Très vite, dans le christianisme, des hommes et des femmes est apparue la vie érémitique. On situe habituellement son apparition au tout début du IVe siècle, dans le désert d'Égypte (comprenez : suffisamment loin de la ville d'Alexandrie pour être seul). Le premier de ces ermites semble être un certain Paul, saint Paul l'ermite, mais celui qu'on considère comme le père de l'érémitisme est plutôt Antoine, saint Antoine le Grand, le saint Antoine qu'on représente habituellement avec un cochon (à ne pas confondre avec saint Antoine de Padoue, franciscain du XIVe s., représentée en bure, portant l'enfant Jésus, avec une fleur de lys). Tout aussi vite, malgré leur quête de solitude, certains de ces ermites ou anachorètes ont été rejoints par des disciples désireux de profiter de leur exemple, de leur enseignement, et plus largement de leur rayonnement. Ainsi est né le cénobitisme, source du monachisme communautaire (les moines et moniales telles que nous les voyons habituellement, autour d'un cloître).
Voila pour les deux grands courants du monachisme, tels qu'ils sont apparus au premier millénaire chrétien. Le phénomène concerne aussi bien les hommes que les femmes, mais des nuances apparaissent pour des raisons assez évidentes de sécurité ou, au contraire, de vulnérabilité. Les monastères d'hommes des premiers temps sont tous installés au désert (notion qui dans nos contrées peut prendre la forme d'îles, de forêts, de marais, etc., toujours loin des lieux habités). Inversement, les monastères de femmes s'implantent majoritairement en périphérie des villes, parfois sous les murs de la ville, (les monastères urbains n'apparaîtront qu'au XIIIe s.), plus rarement dans la ville (exemple rare : Radegonde à Poitiers, au VIe s.). Pour des raisons similaires, les ermites du premier millénaire sont exclusivement des hommes, et, par définition, ils laissent peu de trace de leur séjour ou de leur passage. Notez au passage que jusqu'à l'an mil (Odilon de Mercœur, 5ème abbé de Cluny), ces moines ou ces ermites ne sont pas prêtres, mais (selon l'expression actuelle) frères (non ordonnés).
Toutefois, la distinction entre cénobites (moines ou moniales vivant en communauté) et anachorètes (ermites) est rarement aussi claire. Tantôt, c'est un moine qui quitte sa communauté pour vivre en ermite, définitivement ou temporairement. Tantôt c'est un laïc (un non-moine) qui fait ce choix pour toujours ou avant de rejoindre une communauté ... ou d'en fonder une. Certains se cachent vraiment des hommes. D'autres, ayant renoncé à jouer à cache-cache avec des candidats-disciples, s'installent dans un arbre, sur un rocher, ou sur une colonne dans les ruines d'un temple païen ; ce sont les stylites, dont l'un des rares exemples dans nos régions est (saint) Walfroy qui s'installe sur une colonne dans la forêt des Ardennes (il faudra que l'évêque lui-même vienne le raisonner pour qu'il renonce à affronter un nouvel hiver ardennais presque nu sur sa colonne). Dans tous les cas, selon la tradition chrétienne (catholique aussi bien qu'orthodoxe), l'ermite reste toujours sous l'autorité de son abbé s'il est moine, de son évêque s'il ne l'est pas. De tout temps (et aujourd'hui encore), nul ne peut se faire ermite au sens chrétien du terme sans l'accord de l'un ou de l'autre.
A partir du XIIIe siècle, le monachisme commence à s'implanter en ville. Tout d'abord de manière éclatante avec les couvents des ordres mendiants, essentiellement franciscains et dominicains, masculins et féminins (Comme leur nom l'indique, ces communautés vivent de l'aumône, publique, édilitaire, ecclésiastique, ou princière, par opposition aux ordres anciens -et ruraux- dont les ressources sont basées sur la propriété foncière.) Et puis, épisodiquement, apparaît aussi une forme urbaine de l'érémitisme : ce sont les reclus et les recluses. En théorie ce pourrait être aussi bien des hommes que des femmes, mais dans la pratique le phénomène est presque exclusivement féminin, les hommes privilégiant les ermitages campagnards ou forestiers. Tout comme les ordres mendiants, ils ou elles vivent de l'aumône.
Elles (puisque ce sont presque toujours des femmes) sont des laïques qui choisissent volontairement ce mode de vie. (D'ailleurs, il aurait été impensable qu'une religieuse cloîtrée puisse quitter sa clôture pour une autre vie quelle qu'elle soit.) Après avoir prononcé des vœux simples devant l'évêque lui-même, elles se réfugient dans un espace clos et exigu, muré aussitôt après leur entrée. Un guichet leur permet de recevoir les dons et en particulier la nourriture que la Providence (et les âmes charitables) voudra (voudront) bien leur accorder. Selon l'accord et les permissions données par l'évêque (ou le prêtre délégué par lui), le guichet peut également servir à communiquer avec le monde extérieur, et à se confesser. Beaucoup plus rarement, certaines semblent avoir été autorisées à apporter des conseils ou avis spirituels. Selon les cas, la réclusion pouvait être temporaire ou définitive. Seul l'évêque pouvait mettre fin à la réclusion avant son terme, fin des vœux temporaires ou décès. On comprend que ce choix de vue extrême, exposé au vu et au su de tous ait pu marquer les esprits. Les exemples cités dans les messages précédents le montrent bien.
Précisons en conclusion que l'érémitisme existe toujours, même s'il demeure par essence-même discret. Ermites "forestiers" attachés d'un monastère, tel dom Adalbert de Voguë, attaché au monastère de la Pierre-qui-Vire, ayant vécu en ermite de 2008 à 2011 dans la forêt morvandelle. Ermites "dans la ville", telle cette femme dont je ne dirai rien de plus par respect de son vœu.
Espérant vous avoir apporté quelques éclaircissements. Jean-Michel
PS : Pour une vision moderne et drôle de l'érémitisme "dans la ville", vous pouvez lire "Monsieur le Curé fait sa crise" de Jean Mercier, paru en 2017. Ceux qui ont quelques connaissances de l'histoire récente de l'Église apprécieront ...
_________________ Heureux ceux qui savent rire d'eux-mêmes, ils n'ont pas fini de rigoler !
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