C'est une erreur Alain.g., je ne sais pas si les Sassanides ont détruit l'église du Saint-Sépulcre, mais en tout cas, elle existait lors de la conquête puisque le conquérant de Jérusalem ('Umar ?) a prié à côté et n'a pas voulu y pénétrer. D'autre part, c'est vrai qu'al-Hakim a eu des décisions étrangers en ce qui concerne les Chrétiens, faisant détruire puis reconstruire toutes leurs églises. En tout cas, au Xe siècle, le Saint-Sépulcre existait, il était lieu de pèlerinage car on a des récits le mentionnant (malheureusement non publiés, c'est un chercheur qui travaille dessus qui nous avait fait un séminaire sur le sujet).
De plus, vous parlez, quelques messages plus haut, des Ottomans lors de la croisade d'Urbain II : cette dynastie n'émerge que deux siècles plus tard, vous devez confondre...
Je ne sais pas quelles sont vos sources, mais à tout hasard, méfiez-vous beaucoup de wikipedia sur Jérusalem, la majorité des articles sont rédigés par un contributeur passablement obtus qui nie toute réalisation musulmane (jusqu'à attribuer la mosquée al-Aqsa aux Croisés et à Justinien, deux thèses abandonnées depuis le milieu du XIXe siècle...)
Au passage aussi, la pratique du pillage semble assez répandue dans les codes de guerre des armées, chrétiennes comme musulmanes, à ma connaissance. Le pillage de Constantinople en 1453 est réputés pour avoir été raccourci (moins de trois jours) de la volonté même du sultan, désireux de ne pas détruire ni appauvrir la ville, qu'il réorganise et développe ensuite largement, en donnant aux différentes communautés non-musulmanes présentes dans la ville un grande autonomie.
Enfin, dire que les occidentaux ont appris d'autres langues plus que les musulmans est une bêtise, tout d'abord parce qu'une telle comparaison peut sembler un jeu un peu puéril (comme souvent dans les discussions sur les Croisades, on cherche à déterminer artificiellement un "gentil" et un "méchant"), mais aussi parce qu'on connait l'importance de la traduction dans le monde islamique, dans le domaine scientifique en particulier.
Maintenant, je vous livre un passage de
La fascination de l'Islam (1re ed. 1980, réed. 2003, p. 38 et s.) de Maxime Rodinson, sur la formation, au moyen-âge, de l'image de l'Islam et des musulmans en Europe (j'abrège de temps à autres, car le passage est long - trop long sans doute
, mais il me semble très intéressant pour apprécier l'image que pouvait avoir l'occident du monde islamique au moment des croisades ; désolée pour les fautes de frappe, je suis une dactylo exécrable) :
Citer :
Ce n'est pas tant - comme on l'a dit - la Croisade qui fit naître un image de l'Islam, que l'unité idéologique lentement forgée du monde chrétien latin qui aboutit à la fois à préciser le visage de l'ennemi et à diriger les énergies vers la Croisade. Le modèle fourni par les pèlerinages en Terre Sainte, de plus en plus nombreux et de mieux en mieux organisés au cours du IXe siècle, pasant déjà à l'action armée contre les bédouins pillards, la valeur eschatologique de Jérusalem et du saint Sépulcre souillés par la présence infidèle, la valeur de purification du pèlerinage, l'idée du devoir d'aide aux chrétiens d'Orient humiliés font de l'expédition en Terre sainte la tâche sacrée à proposer aux fidèles.
La lutte ainsi concentrée et polarisée devait se fixer un ennemi lui aussi doté de traits bien marqués, spécifiques, avec une image plus ou moins unifiée. [Contraste entre les récits de pèlerinage qui mentionnent à peine les musulmans et la Chanson de Roland, qui montre un Islam puissant et riche, avec diverses peuplades païennes, unifiées autour de trois cultes : Mahomet, Tervgan et Apollon.
Les conquêtes de la Sicile (1060), de Tolède (1085) et de Jérusalem (1099) entraînent un contact plus étroit avec les musulmans.] L'image de l'Islam va se constituer et devenir plus précise et plus exacte peu à peu. Mais elle va être affectée pendant de longs siècles par la rivalité idéologique qui lui imposera ses déformations habituelles.
Pour la suite, je résume : l'image de l'Islam en Europe n'est pas unique, mais multiple. Trois aspects se dégagent : l'islam "est avant tout une structure politico-idéologique ennemie. Mais c'est aussi une civilisation différente et une zone économique étrangère. Ces divers aspects suscitent des curiosités et des réactions de différentes sortes, souvent chez les mêmes individus."
Rodinson note ensuite comment, pour des raisons politiques, on pouvait avoir dans des hautes sphères une vision nuancée du monde islamique et de ses conflits internet. "Mais ce trésor de connaissances [...] ne se diffusait guère en dehors de [ce] milieu. Les chancelleries odccidentales n'en tiraient que le strict nécessaire pour leur politique orientale. Il n'y avait pas ensore de public en occident pour un exposé détaillé de l'histoire politique de l'Islam, non plus qu'un intérêt peu étendu pour les querelles politiques qui divisaient les "infidèles".
"La Croisade, cependant, créa un vaste public avide d'une image globale, synthétique, distractive et satisfaisante pour lui de l'idéologie adverse en tant que système d'idées. [...] le grand public avait besoin que l'image proposée [lui montre] le caractère détestable de l'islam, en le lui expliquant grossièrement, [et] soit de nature à satisfaire ses goûts littéraires pour le merveilleux [...].", ce qui entraîne une production imaginaire sur l'Orient, où se mêlent pure fabulation et "déformations idéologiques propres à attiser la haine pour l'ennemi".
Une attitude plus objective se fait jour dans les sciences, qui ne touchent que très indirectement la religion, et dans la philosophie. Toutefois, lors de la traduction du Coran et de tetes musulmans par Robert du Ketton pour Pierre le Vénérable en 1143, R. note que ne sont utilisés que les parties les plus polémiques, et que l'étude de l'islam ne semble pas tant intéresser que la recherche de raisons, pour les chrétiens, de raffermir leur foi.
Enfin, Rodinson note la naissance d'un estime réciproque entre musulmans et chrétiens dans deux types de situations : déjà lors des relations commerciales, très développées à cette période, mais parfois aussi lors de rencontres militaires entre croisés et musulmans (il mentionne notamment une source anonyme d'un croisé italien en 1097 et l'admiration pour certains héros de l'islam, comme Saladin, mais aussi Zengi, Qilij Arslan à qui on tente de donner des ancètres chrétiens. On aurait aussi tenté de trouver une mère sarrasine à Thomas Becket). Il faut aussi notre l'existence de projets matrimoniaux entre monarques européens et musulmans.