Evidemment, on peut discuter des mérites de chaque auteur, notamment sur Maalouf, dont le travail, intéressant, reste très orienté ; mais disqualifier d'emblée Rodinson, pour René Marchand (!!!), au motif qu'il serait moins orienté, je reste... sceptique.
(Rappelons que René Marchand est l'auteur de plusieurs livres très... angoissés, du type
La France en danger d'Islam, entre jihâd et reconquista - le plus récent je crois - et que sa qualité d'historien est pour le moins discutable). Dites plutôt ce qui vous déplaît ou vous semble faux dans les thèses de Rodinson, le débat avancera mieux.
Pour les traducteurs, c'est un généralité de dire qu'ils sont en majorité chrétiens, et ça ne s'applique pas tout le temps. Non pas qu'il n'y en ait pas eu, bien au contraire, il y en a eu beaucoup (un exemple célèbre, celui de Jurjus ibn Jibrîl), mais ce ne sont pas les seuls : Ibn al-Muqaffa' était un zoroastrien converti à l'islam, par exemple, et Ibn al-Nawbakht était un théologien chiite.
Le nombre de traducteurs musulmans augmente avec le temps, ce qui semble logique puisque la population musulmane fait de même. Un exemple intéressant est celui de la traduction du
De Materia Medica de Dioscoride, sur laquelle a été rédigé un article (Saliba, George ; Komaroff, Linda, « Illustrated book may be hazardous to your health »,
Ars Orientalis, 35, 2005, p. 6-65) : il a a tout d'abord été traduit du grec au syriaque par Hunain ibn Ishâq (m. 873), un syriaque lui-même, médecin-chef du calife al-Mutawakkil, et par un de ses élèves du syriaque au grec (visiblement, Hunain ne maîtrisait pas, ou pas assez l'arabe, mais il a surveillé le travail d'Istifân ; celui-ci avait également du mal avec la langue pour les termes techniques, notamment les noms de plantes, et il a laissé certains éléments en syriaque). Au XIIIe, deux nouvelles traductions, par des musulmans cette fois, sont connues, celle de Abû Sâlim al-Maltî (dont on n'a que le nom, pas de version conservée, car elle n'était visiblement pas bonne), et celle de Mihrân b. Mansur.
Et même si les traducteurs chrétiens sont en grand nombre, cela n'indique pas un manque de curiosité de la part des arabes musulmans : ces traductions leur étaient destinées, et étaient commandées par eux, preuve qu'il s'intéressent à des écrits non arabes. Parler d' "l'asymétrie de la curiosité entre monde arabe et européen" me semble mal venu.
Pour détendre l'atmosphère, un petite anecdote hors-sujet ; récemment, au début d'une conférence de Nasser Rabat au musée du Louvre, après bien des problèmes techniques, il parvient à peine à commencer quant retentit une sonnerie. Et Nasser Rabat, très étonné : "déjà l'alarme incendie ? Mais je n'ai pas encore prononcé le mot "islam"..." Les études islamiques sont parfois pyromanes