Sans lendemain ? Il y a toujours des lendemains mais, comme vous le dites, l’histoire d’Ango et de Verrazano apparaît un peu pâle quand elle est comparée à celle des Magellan, de Gama, Vespucci et autres célébrissimes navigateurs de la même époque. Les uns sont universellement connus, les noms des autres sonnent effectivement un peu creux.
Qui connaît Ango ? A Dieppe, il est incontournable mais ailleurs sait-on seulement qu’il s’agissait d’un français avec un nom pareil ! Pourtant, cet homme a poussé l’arrogance jusqu’à provoquer le Portugal ! Vous imaginez un gros bourgeois devenu gentilhomme, immensément riche, venir se mesurer à une des deux plus grandes puissances coloniales ? Et bien, s’il faut croire l’incroyable, certains récits rapportent que ses navires allèrent jusqu’à menacer Lisbonne. S’il faut rester très prudent quant à ce type de narrations, il est avéré qu’un ambassadeur portugais vint se plaindre auprès de François Ier des agissements agressifs de bateaux français. Le roi lui répliqua qu’il n’y était pour rien et qu’il devait s’adresser à Ango ! Vous voyez le tableau !?! Et le comble, c’est qu’il alla le trouver pour négocier un compromis. A une autre occasion, le Portugal se plaignit qu’un de ses galions avait été délesté de son or. Et bien, une fois encore un émissaire se rendit à Dieppe et obtint dédommagement ! Enfin, vraiment, tout ceci est assez extraordinaire vu avec nos yeux d’aujourd’hui…
Pire encore, qui sait même que Verrazano a existé, si ce n’est quelques curieux qui se sont un peu penchés sur sa vie ? Peut-on imaginer qu'un homme d'origine florentine ait pu s’entêter à vouloir servir la France, même si des propositions de pavillon étranger, tel que portugais pour ne pas le citer, lui étaient faites à une époque où le pays qui l’armait ne répondait pas à ses ambitions ?
Si sa découverte de côtes nord américaines s’était traduite par une colonisation des terres, imaginez combien il serait glorifié ! Ce ne serait plus seulement sur des cartes du XVI è siècle qu’auraient été inscrits « Terre d’Angoulême » au lieu de « New-york », « côte de Lorraine » pour « New-Jersey », fleuve « Vendôme » en lieu et place du « Delaware », « cap Bonnivet » pour le «cap May », « Arcadie » comme « Maryland », « le Pays de Flore » en guise de « Long Island », « L’île Louise » pour nommer « Block Island » ou « le port du Refuge » en tant que « Rhode Island », mais peut-être ces endroits s’appelleraient-ils encore ainsi de nos jours. Et bien, l'histoire n’a pas retenu tout cela ou plutôt elle l’a retranscrit tardivement, un peu comme si l’action s’était interrompue faute de combattant. Verrazano reste presque inconnu pendant des siècles. Il est cité mais pas reconnu, les historiens doutent parfois de ses voyages. Ils ne s’intéressent à lui qu’après que des documents réapparaissent, surtout au milieu du XIX me siècle et puis au XX me. Il n'a pas de rues, pas de places, rien ou presque qui rappelle ce qu'il a fait. Vous nous dites qu'un pont porte son nom à New-York: oui mais savez-vous de quand il date ? 1964 !!! Il aura fallu attendre quatre longs siècles pour que le monde, notamment les américains, s'aperçoivent que Jehan de Verrazane a été le premier à entrer dans la baie de l'Hudson et à admirer cette terre !
J’ai volontairement francisé son nom car il est prouvé qu’il le fit lui-même. Les américains se posèrent la question de savoir comment il fallait l’appeler. Les orthographes variaient. Etait-il français d’origine toscane, florentin tout court ? Où était-il né ? A Florence comme son nom de naissance le laisse supposer ou à Lyon qui compte des traces de Verrazano implantés avant lui et où il est avéré qu’il revenait après ses voyages? On cherche encore. Ils décidèrent de trouver un compromis et « Giovani de Verrazano » fut choisi. Le « da » d’origine se transforma en « de » pour lui rendre un peu de cette France pour laquelle il choisit toujours de naviguer, bien petite concession faite au pays qu’il servit.
Maintenant, les lendemains ! Et oui, le monde ne s’arrêta pas de tourner sans eux ! Certains s’en inspirèrent bien sûr et le plus célèbre n’est autre que Jacques Cartier.
Cette fois, nous quittons Dieppe et la Normandie pour Saint-Malo et la Bretagne. Si l’aventure de Cartier est une espèce de continuité de celle de Verrazano, elle se développe en parallèle. Ce malouin est né autour de 1491 (peut-être 93). Il est donc de la même génération que ceux dont nous venons de parler.
Avant de continuer, il est indispensable d’aborder un point essentiel : les bulles papales. Déjà en 1454, après les premières navigations portugaises, l’Afrique et les « Indes » avaient été octroyés au Portugal par le pape Nicolas V. En 1493, au lendemain du voyage de Colomb, le pape Alexandre VI prit une carte du monde connu et tira un trait vertical, joignant les deux pôles, qui passait à 100 lieues à l’Ouest du Cap Vert et des Açores. Il décida que tout ce qui était à l’ouest de cette ligne était espagnol, et l’est au Portugal. Ce dernier pays protesta car le Brésil, déjà sous présence portugaise, revenait à l’Espagne. Un an plus tard, en 1494, lors de l’accord de Tordesillas entre ces royaumes, la ligne fut repoussée et se situa alors à 370 lieues à l’ouest des îles déjà citées. Le brésil restait portugais mais le monde des découvertes était partagé entre ces seuls pays.
Ceci explique, entre autres raisons, pourquoi d’autres pays eurent beaucoup plus de difficultés à se lancer dans les conquêtes, du moins fin XV me et début XVI me siècle, et parmi eux la France. François Ier eut beau protester, rien n’y fit. Comme il n’entendait pas accepter cette situation, il approuva, favorisa les initiatives d’Ango et d’autres mais sans vraiment les diriger directement pour ne pas trop s’opposer au Pape. On comprend aussi pourquoi ceux qui bravaient les règles de l’Eglise pouvaient être massacrés dans les zones d’appartenance espagnoles et portugaises, ce qui arriva fréquemment et qui entraîna toutes les vengeances dont nous avons déjà parlées. Cet état de fait est aussi très certainement une des explications de la discrétion des voyages de Verrazano et le peu de « rayonnement » qu’ils connurent. Certains armements se faisaient secrètement et ils n’eurent donc pas la publicité qui aurait permis à l’histoire de les retenir pleinement.
Enfin, en 1533, le pape Clément VII modifie la donne : il indique que le partage du monde ne concerne que les zones déjà connues, et qu’ainsi les nouvelles découvertes appartiennent aux couronnes qui les font. François Ier obtient enfin ce qu’il voulait et la conquête du nouveau monde peut se faire par le nord ouest.
Si l’idée de Jacques Cartier datait de 1532, ce n’est qu’en 1534 qu’il est mandaté par le roi. Il part donc de St Malo, cap à l’Ouest, nord-ouest, avec deux bateaux. Cette fois, il n’est plus question de se cacher et les ambitions sont clairement affichées : découvrir, conquérir, commercer, s’implanter partout où cela est possible et toujours trouver la route nord vers les « Indes ». Les détails sont donc également beaucoup mieux connus.
Après Terre-Neuve et quelques îles, il touche la terre qu’il appellera Nouvelle France et entre dans le golf du fleuve St Laurent. L’histoire moderne du Canada peut commencer. Il effectuera deux autres voyages, en 1535-36, 1541-42. Après une vie riche qui mériterait encore beaucoup de développement, il meurt en 1557 de la peste à St Malo…
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