gaete59 a écrit :
Jérémy76 a écrit :
les offices étaient un puissant outil d'ascension sociale, mais voilà que les offices deviennent l'apanage des plus riches. Révolte parisienne fut donc favorisée par l'agitation sociale. Le vecteur religieux joue aussi: Henri III est incompris, car il essaie de développer une piétée méditerranéenne dans une ville plus sensible envers la piété Rhénan-flamand... On sait comment ça se termine: Henri IV crée une monarchie qui réduit les villes à de simples subordonnés obéissants, alors que l'Union Catholique a essayé de mettre en place une fédération de Républiques Urbaines.
Concernant l'état des finances françaises à ce moment il est vrai que les nouveaux impôts furent "mal perçus". Cependant il ne faut pas minimiser l'action de l'Espagne qui envoie des subsides à la Ligue. D'ailleurs après l'assassinat de Guise, on retrouvera en son hôtel quelques écrits échangés où il s'impatientait de ne pas voir plus d'argent affluer.
Nous sommes aussi à une période où l'Autriche doit se montrer plus catholique que la moyenne, le fils de l'Empereur du Saint-Empire étant très ouvert à la réforme et le pape dut rappeler au père de mettre un peu d'ordre dans la maison, aussi face à un Philippe II toujours prêt à en découdre (il se verrait bien dans la peau du futur empereur romain...), il vaut mieux s'aligner sur ce style de politique et montrer le voisin du doigt. C'est de bonne guerre.
J'imagine que vous entendez par "piété méditerranéenne" une piété qui confine plus à la superstition donc aux démonstrations ostensibles. Je ne le sens pas ainsi. Je ne pense pas non plus que la piété d'Henri III pose un doute, bien au contraire. Il faut voir le nombre de pèlerinages qu'il fera en compagnie de son épouse pour avoir un enfant, dont -dans la démonstration- avancer en compagnie de la reine à genoux, il existe beaucoup d'exemples et je ne mets pas sa foi en doute. Maintenant la politique est toute autre et les Guise se chargent d'orienter le peuple. La crainte de la damnation éternelle fait faire n'importe quoi... Pourri d'ambition, Guise a dû bien se charger de faire courir les rumeurs -son frère étant justement dans la place- et "
calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose...".
Je pense que le vecteur principal était tout de même la religion revue et corrigée par les Guise et il est vrai que lorsque le mécontentement est à l'aulne de l'éternité, devoir payer un impôt supplémentaire plombe un peu le moral.
L'agitation sociale existe mais ce n'est pas la tranche touchée qui généralement monte les barricades, pour ceci il faut un énervement qui bien souvent est décuplé par la multitude, ce sont donc les couches sociales les plus basses qui n'ont rien à perdre. Vous m'objecterez qu'il faut des meneurs, Guise rémunère bien les hommes voire les familles qui se montrent compréhensives. A ce moment, à Paris, Guise est le roi et chose incroyable il faudra que le roi en place se batte afin de reconquérir sa capitale : il n'y a qu'en France que l'on voit ce genre de chose... La main de Clément empêchera Henri III d'aller au bout. Mais ceci n'est pas hors commun : sous Charles V on a vu aussi la capitale s'échauffer devant deux ou trois tribuns et l'Histoire est truffée de moments où soudain tout bascule. La province est parfois même peu touchée ou dans l'incompréhension.
Une révolte est toujours le fruit d'un état de facteurs considérés comme négatifs mais il faut un détonateur et Guise sera l'homme par qui le "ras le bol" s'exprime sous des dehors religieux, les autres facteurs étant peut être moins avouables. Vous évoquez la "parousie" mais pensez donc que les couches sociales défavorisées ont dépassé le point P et puis personne ne connaît la date donc il y a beaucoup de chances d'être passé ad patres avant la fameuse parousie. Les prêtres ne devaient pas beaucoup évoquer le retour du Christ et le jugement dernier, il y avait suffisamment à faire au jour le jour.
Concernant l'attentat de Coligny, je pense que vous interprétez la chose. Il existe déjà un fond de violence dans Paris. Coligny a soudain l'oreille de Charles IX au moment où la capitale pullule de Huguenots venus pour les épousailles. Pour eux, dans Paris c'est l'espoir si Coligny reste en place, cet espoir peut être que le prochain roi sera autre que Henri d'Anjou. L'attentat raté, il est vrai que les Huguenots donnent de la voix en constatant que leur position et leurs espoirs n'ont pas place en la capitale où tout se joue et se fait. Le pouvoir leur échappe si Coligny disparait, c'est la Ligue qui aura l'oreille du nouveau roi, du moins le croient-ils : Charles IX se montrant incapable de protéger son ministre. De plus la cohérence familiale est rompue depuis longtemps chez les Valois : pour être roi, il faut que le frère trépasse et Henri d'Anjou n'est pas chaud pour la Pologne quant à Alençon il n'est que la marionnette des Guise en la maison. Alors oui, il y eut certainement des échauffourées mais plus dues à la promiscuité dans Paris entre catholiques et huguenots. Charles IX est déjà malade et la famille avance ses pions. Madame Catherine ne jure que par Anjou et voit la Ligue d'un mauvais oeil, Guise n'aura certes pas le trône de son cadet. Il faut aussi compter avec Alençon à qui la Ligue aurait promis la couronne... Rien n'est simple et le statut de Guise en fait le personnage du royaume le plus important après le roi, il aime à rappeler que son père était lieutenant général du royaume sous Henri II. C'est donc l'homme fort du moment : les dés sont jetés, Anjou est bon pour la Pologne, Charles IX agonise et Alençon est inexistant. De plus la France aime les souverains un peu belliqueux et j'imagine que la propagande du moment doit montrer un roi plus enclin à choisir ses fraises qu'à jouer du fleuret.
Qu'Henri IV ait été un souverain "absolu" ayant son royaume entier à reconquérir est un fait mais je ne partage pas votre analyse sur les villes qui auraient pu être des "Républiques urbaines". François Ier et Henri II avaient déjà montré que la royauté peut avoir un goût d'absolu sans attendre Louis XIV.
Je ne met pas en doute la foi de Henri III, qui était, on le sait un catholique convaincu (mais pas convaincu qu'il faille reconvertir le royaume par l'épée, contrairement aux Guise); par contre les parisiens ont trouvé étrange les piétés ostentatoires qu'Henri III apportait dans le nord du Royaume.
Concernant l'entourage familiale, il est vrai qu'il y a tout un jeu politique, mais je pense que si les frères de Charles IX ont l'air effacé vers la fin du règne, ce n'est pas lié à la politique des Guise (qui profitent de toute façon de l'éloignement des
Messieurs), mais à celle de Charles IX. À cette époque (été 1572), Charles IX veut montrer qu'il est le roi, et que personne ne peut outrepasser ses volontés. À la surprise de tous il introduit Coligny au Conseil, c'est un moyen de contrebalancer les Guise mais aussi sa mère Catherine, qui, après les échecs de Michel de l'Hospistal à la fin de la décénie 60, se rapproche des catholiques récalcitrants et des Guise. Charles IX fait tout pour éloigner Henri d'Anjou (futur Henri III) c'est le frère le plus génant: le fils préféré de Catherine, il est le victorieux Valois qui vainquit le prince de Condé à Jarnac (ce dernier est tué par un garde du duc d'Anjou); il appuie la candidature de son frère pour son élection au trône de Pologne, vacant depuis la mort de Sigismond II Augyste ( ou
Zygmunt en polonais). Aussi, Henri semble proche des Espagnols... Alors que Charles IX ne veut pas du tout entendre parler de Philippe II, ce roi ambitieux contrôle le comté de Flandres, et il est très proche de Paris: il ne faut pas le fâcher, mais s'allier à lui pourrait attiser les ambitions territoriales de ce roi vers Calais (il voudrait bien avoir un port dirigé vers l'Angleterre élisathéenne...). Pendant la Saint Barthélémy, on sait pas quel est le véritable rôle de Henri, mais on soupçonne d'y être pour quelque chose (a-t-il appuyé Henri de Guise pour l'assassinat de Coligny? Est-il à l'origine de l'ordre du roi pour un massacre "contrôlé" et très ciblé?). François d'Alençon, en été 1572, est politiquement inexistant, il faut attendre le départ de Henri d'Anjou pour la Pologne pour qu'il joue le rôle du frère intrigant).
Quant aux villes, je suis d'accord, François Ier et Henri II, et bien avant avec Louis XI, le roi à un pouvoir de plus en plus absolutiste. Mais le XVIe siècle voit encore des seigneurs tenter à restaurer l'âge d'or des seigneurs, la période féodale. Les villes possèdent au XVIè siècle encore beaucoup de pouvoirs: je ne parle pas des bourgs (sous contrôle d'un seigneur), mais des "bonnes villes". Ces villes sont libérés, au Moyen Âge, des pouvoirs seigneuriaux et sont placés sous juridiction royale. En échange de leur fidélité les rois leurs donnent une autonomie: elles s'administrent elles-mêmes, se défendent elles-mêmes (elles financent leurs milices, dites bourgeoises, et leurs défenses), se financent elles-mêmes, et le roi accorde des privilèges aux habitants ayant un statut de bourgeois (ce statut est soit vendu, ou soit il faut être propriétaire d'une maison dans la ville, l'accès à ce statut dépend de la ville). Les bourgeois assurent la défense (milice) et participent au pouvoir municipal. À l'époque de Henri III c'est le même système. Sauf que les rois tolèrent de moins en moins les pouvoirs. La crise financière de l’État oblige Henri III de se servir en empruntant dans les caisses de la ville de Paris, ce que les autorités municipales apprécient de moins en moins au fil du temps, puisque les emprunts sont tellement nombreux que la municipalité est de plus en plus gravement affecté. Le roi se justifie: dans le pensée médiévale, la bonne ville est le vassale du roi; Henri III ne fait qu'appliquer son droit de suzerain en réclamant une aide financière à la ville vassale. Mais avec le temps, les communautés bourgeoises ne comprennent plus ceci, et avec l'évolution du droit (redécouverte du roit romain à la fin du Moyen-âge): maintenant les emprunts du roi sont considérés, en quelque sorte comme une aliénation d'une partie de la
res publica. C'est un vrai débat de société sur le régime qui finit par expliquer le fil rouge du conflit politique des guerres de Religion: à part la religion, il y a peu de différence d'arguments politiques entre les protestants des "Provinces Unies du Midi" et des catholiques de l'Union. Ils veulent une monarchie contrôlée, et décentralisée.
Mais Henri III ne l'entend pas ainsi. J'ai vu dans un livre qu'il aurait put accepter une monarchie tempérée comme Élisabeth en Angleterre, mais il tenait à garder sa "Majesté" et il ne voulait pas partager la souveraineté, alors que les huguenots et les ligueurs veulent que les États-Généraux et les Princes du royaume puissent aussi avoir une part de souveraineté dans le gouvernement du royaume. La guerre se termine par la victoire de la vision des Valois reprise par les Bourbon, seul le roi est souverain, car il détient son pouvoir de Dieu (sacre) et de ses ancêtres (transmission de la Couronne selon les Lois Fondamentales) c'est-à-dire Saint Louis, et les Valois se considéraient aussi descendants de Charlemagne. Joël Cornette, dans
Chronique de la France Moderne, Paris, SEDES (coll. Regards sur l'histoire), tome I: Le XVIe siècle, p.318, cite Robert Descimon,
Qui étaient les Seize? Mythes et réalités de la Ligue parisienne (1585-1594), Paris, 1983, où il explique que la guerre de la Ligue est un conflit de même nature que les révolutions anglaises du siècle suivant et de même nature que les révoltes néerlandaises face au pouvoir absolutiste du roi d'Espagne.