Gombrich est intéressant, mais il est souvent dépassé. J'ai parfois un peu de mal avec cet ouvrage. Ceci dit, je n'ai pas de référence à citer particulièrement sur ce point. Dommage que Mécène ait quitté le forum, je sais qu'il avait un peu travaillé sur ce sujet.
Juste pour rappel, Carrache n'a peint que peu de peintures de genre, surtout dans ses débuts (Ah, le
Mangeur de pois !) ; Caravage, un peu plus, mais également au début de sa vie. Les deux sont italiens et catholiques (ils mettent notamment en œuvre les principes du Concile de Trente). A leur époque, la peinture de genre existe déjà depuis un siècle à peu près dans le Nord, et se diffuse en Italie par le biais d'un peintre du nord, surnommé le Bamboche.
Définir la scène de genre ne paraît
a priori pas difficile, car cela a été fait dès le XVIIe, avec les académies et la hiérarchie des genres : c'est une peinture mettant en scène des personnages, mais qui ne s'appuie pas sur un texte littéraire (à la différence de la peinture d'histoire, qui comprend à la fois la peinture religieuse, historique et mythologique) et ne représente pas un personnage réel (à la différence d'un portrait). Ceci dit, les subtilités interviennent rapidement dans les ambiguïtés liées à l'interprétation, ambiguïtés souvent cultivées par les artistes, qui cherchent à sa hausser dans la hiérarchie des genres, sans perdre leur clientèle.
Par exemple, une grande part des oeuvres de Brueghel peuvent être lues comme des scènes de genre ou comme des scènes religieuses. Je pense notamment aux
Aveugles du musée Capodimonte de Naples, qui peuvent être lus comme une illustration de la parabole des Aveugles (
http://www.wga.hu/preview/b/bruegel/pie ... parabl.jpg), ou au
massacre des Innocents du KHM de Vienne, qui, par sa transposition dans un paysage hivernal des Flandres, est aussi une scène de guerre "normale" (
http://www.wga.hu/preview/b/bruegel/pie ... innoce.jpg). Il faudrait aussi évoquer les nombreuses hypothèses qui ont été lancées autour du
repas de paysans (KHM également), mais j'avoue n'être pas assez calée sur le sujet (
http://www.wga.hu/preview/b/bruegel/pie ... weddin.jpg).
Bref, on saisit bien, autour des oeuvres de ce peintre, mais aussi autour d'oeuvres italiennes ou françaises, toute la subtilité de ces catégories : quand passe-t-on réellement de la scène religieuse à la scène de genre ? Comment les contemporains lisaient-ils ces oeuvres, et n'en avaient-ils, d'ailleurs, qu'une seule lecture ? La distinction est rendue encore plus difficile par la tendance des peintres du nord à situer leurs scènes religieuses dans des intérieurs précis, ainsi que par la vocation morale de nombreuses scènes de genre (
Le changeur d'or et sa femme de Quentin Metsys du Louvre, par exemple, qui a donné lieu à une abondante littérature, chaque détail pouvant être interprété de manière symbolique).
Il y a parfois une ambiguïté semblable entre portraits et genre, avec les "portraits de genre", dont Frans Hals se fait une spécialité. Le sujet est représenté cadré très près, comme un portrait, mais le peintre cherche d'abord à rendre une condition sociale, et non pas à faire preuve de réalisme (cf. la
Bohémienne du Louvre). Certains vont même jusqu'à qualifier les
époux Arnolfini de scène de genre, ce qui me semble un peu exagéré.
On retrouve la même chose pour le paysage : les peintres cherchent à se hisser dans la hiérarchie en incluant des scènes religieuses/antiques et des allégories à l'intérieur.
A ce propos, j'ai une réserve par rapport à ce que vous dites, Alfred, quant au goût du pittoresque : il est certes présent, mais ne définit pas, pour moi en tout cas, la scène de genre. Auriez-vous des exemples en tête pour des périodes plus anciennes que la fin XVe ?
3 éléments me rendent dubitative quant à la liaison scènes de genre/réforme.
*La peinture de genre, ainsi que le souligne Alfred Teckel, existe avant la diffusion de la réforme dans les Flandres, et est le fait d'artistes qui ne semblent pas forcément protestants. J'ai déjà cité Quentin Metsys, mais Marinus van Reymerswaele en est un autre exemple : il a peint de nombreux saint Jérôme, ce qui semble indiquer qu'il n'est pas très marqué par la réforme (on ne connaît pas grand chose de sa vie, à ma connaissance), ce qui ne l'empêche pas de peindre dès la première moitié du XVIe des changeurs d'or et des collecteurs de taxes.
*Les peintres de genre du nord, même après l'implantation de la réforme, ne s'arrêtent pas de peindre des scènes religieuses. C'est le cas de Pieter Brueghel l'Ancien, c'est le cas de Aertsen, c'est encore le cas, plus tard, de Rembrandt, qui peint et grave absolument de tout (ses scènes de genre sont peut être un peu moins connues, mais on peut citer par exemple le
cavalier polonais de la Frick Collection ou le
moment de musique d'Amsterdam).
*Les peintres catholiques hors du nord peignent aussi des scènes de genre comme des scènes religieuses ; l'adoption de la scène de genre en Italie ou en Espagne s'est faite, à ma connaissance, dès le début du XVIIe. Velasquez en a usé ; il a même, dans le
Christ chez Marthe et Marie (NG de Londres), transformé une peinture religieuse une scène de genre, en rejetant le sujet à l'arrière plan (un peu dans le même genre que la Flagellation de Piero della Francesca, mais là, il serait exagéré de parler de scène de genre, on est vraiment trop tôt et les motivations du peintre sont très différentes... pour autant qu'on les connaisse).
Ceci dit, je ne suis pas spécialiste de la chose du tout, encore une fois, et pas très au fait des diverses théories. C'est plutôt une réflexion personnelle - et pas tout à fait aboutie, il faut bien le dire
.