Sujet ancien certes, mais il se trouve que le livret de l’entrée de Henri II est maintenant en ligne sur
Gallica, donc autant en profiter, d'autant plus qu'on parle souvent d'entrées royales, sans bien visualiser l'étonnant spectacle qu'elles offraient.
J’ai utilisé pour retracer cette entrée le texte de ce livret, ainsi que le
Henri II de Ivan Cloulas (Fayard, 1985, pages 232-253). La carte est un montage du plan de Truschet et Hoyau, dit « Plan de Bâle », qui doit être assez fidèle puisqu’il date de 1552, 3 ans après cet événement. J’ai dû le réorienter pour éviter une barre de défilement horizontale démesurée, ce qui a pour avantage de remettre le nord en haut, mais je décline toute responsabilité pour d’éventuels torticolis...
j'y ai tracé le trajet de la procession, les cercles rouges indiquant l'emplacement des structures décoratives provisoires développées et expliquées ensuite. Bonne promenade dans les pas de notre doux sire Henri !
L’entrée royale est prévue le 14 juin, 4 jours après le couronnement de la reine à Saint-Denis. Elle est reportée au 16 en raison d’une tempête et des trombes d’eau qui s’abattent sur la ville les 12 et 13 juin. Le roi attend de 8h du matin à 11h le cortège (très en retard) des autorités de la ville, formé place de Grève et qui arrive hors les murs par la rue Saint-Laurent.
Dans l’ordre :
- Le clergé régulier et séculier
- L’Université
- Les délégations des 17 corps de métier, 3000 hommes tous armés car le roi a précisé qu’il veut faire son entrée « en armes ». les imprimeurs puis les agents de police(à pied et montés) ferment la marche des métiers.
- Les 120 « enfants de la ville », fils des bourgeois fortunés.
- Le conseil municipal emmené par Claude Guyot, le prévôt des marchands. Leur costume (de velours mi-parti brun et fauve, un manteau de satin cramoisi) a été imposé par le roi, la proposition qui lui avait été faite, et qui coûtait 60 livres lui paraissant trop modeste. Ce costume vaut 300 livres, évidemment payé par la ville...
- Six groupes de 4 maîtres des principaux métiers qui porteront un dais au-dessus du roi pendant la procession.
- La police de nuit (le chevalier du guet et ses sergents)
- Les notaires et commissaires du Châtelet
- Le grand chef de la police, le prévôt de Paris, suivi de ses 3 lieutenants
- Les avocats et procureurs du roi au Châtelet
- Puis viennent les cours : les Monnaies, les Aides, les Comptes et le Parlement.
Chacun fait sa harangue, les clés de la ville sont remises au roi, 350 canons commencent à tonner. le cortège royal commence sa marche vers la
Porte Saint-Denis, où se trouve le premier arc de triomphe.
L’arrêt suivant se fait devant la
fontaine du Ponceau ; il y a une grande permanence dans la tradition des entrées royales : cette station est mentionnée pour la première fois par Froissart en 1389, et attestée depuis 1360 (voir cet intéressant exposé :
La fontaine dans les spectacles des entrées royales au temps de Charles VIII. Les mêmes thèmes y sont à chaque fois développés, et 1549 ne déroge pas à la règle : la concorde civique, l’abondance déversée sur le royaume par le roi. D’habitude cependant, de la fontaine coule du vin, ce qui n’est pas le cas en 1549, pour éviter les désordres.
Le cortège poursuit sa route et parvient devant
l’église Saint-Jacques de l’Hôpital où a été dressé un nouvel arc. Personne ne le mentionne, mais je pense que cet emplacement ne doit rien au hasard, la rue croisant à cet endroit l'ancienne muraille médiévale, ce devait donc être l'emplacement d'une porte de la ville sur le chemin de Saint-Denis, , où des stations avaient déjà probablement lieu lors des entrées au Moyen-âge.
On arrive peu après devant
l’église du Saint-Sépulcre. Un énorme rhinocéros (18 pieds de long, onze de haut) sur un socle peint en trompe-l’oeil de porphyre, jaspe et serpentine, porte un obélisque de 70 pieds de haut sur son dos. Malheureusement pour ce monument qui devait être le plus spectaculaire du jour, sa reproduction est incomplète sur le livret.
C’est une reproduction du rhinocéros de Dürer, gravé en 1515, d’après une description de celui ramené à Lisbonne, et qui a servi de base à toutes les représentations de rhinocéros au XVIème siècle, puisque personne n’en avait jamais vu depuis au naturel (le suivant en 1577 seulement). Sur le rhinocéros de Dürer, son histoire et sa postérité au XVIème siècle, voyez
Wikipedia
Le livret explique que les animaux morts sous son ventre ont été foudroyés par la France qui surmonte l’Obélisque.
Le cortège parvient au
Châtelet, où il rencontre un long portique en plâtre plâtre peint à 4 rangées de 8 colonnes ioniques:
Puis il bifurque au carrefour de la Boucherie vers le
pont Notre-Dame, dont l’entrée est marquée par un nouvel arc :
Le pont lui-même est transformé en un salon de 75 toises (env. 135 m) de long :
A l’autre bout, un autre arc (non représenté) montre le soleil Phoebus et la lune Phoebé, avec ce distique « Là où les deux astres commencent leur course et là où ils la terminent se trouvent les limites de la domination royale ».
Aucune référence chrétienne dans ce programme, cependant, il est temps maintenant de faire oraison à la cathédrale : le roi se rend alors à Notre-Dame, puis le cortège se termine au
palais de la Cité où un banquet est servi, et dont l’entrée est un dernier arc de triomphe corinthien à double ouverture :
Le principal organisateur de cette entrée est Jean Martin, ami de Ronsard et de du Bellay. Autant dire que seuls d’éminents lettrés pouvaient comprendre les allusions et messages qui parsemaient ce programme ; la masse du peuple est incapable de leur donner un sens au-delà du premier degré ; seuls comptent pour la masse des Parisiens le passage du roi, le spectacle des riches costumes et des constructions spectaculaires.