Inscription : 27 Avr 2004 17:38 Message(s) : 10668 Localisation : Région Parisienne
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Qui mieux que Voltaire peut nous faire une synthèse sur cette secte des Anabaptistes, qui , de violente au départ, devint pacifiste ensuite pour donner les Memnonites, les Amish et en plus belliqueux les Baptistes.
Deux fanatiques, nommés Stork et Muncer, nés en Saxe, se servirent de quelques passages de l’Écriture qui insinuent qu’on n’est point disciple de Christ sans être inspiré: ils prétendirent l’être.
(1523) Ce sont les premiers enthousiastes dont on ait ouï parler dans ces temps-là: ils voulaient qu’on rebaptisât les enfants, parce que le Christ avait été baptisé étant adulte; c’est ce qui leur procura le nom d’anabaptistes. Ils se dirent inspirés, et envoyés pour réformer la communion romaine et la luthérienne, et pour faire périr quiconque s’opposerait à leur évangile, se fondant sur ces paroles: « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive(1). »
Luther avait réussi à faire soulever les princes, les seigneurs, les magistrats, contre le pape et les évêques. Muncer souleva les paysans contre tous ceux-ci: lui et ses disciples s’adressèrent aux habitants des campagnes en souabe; en Misnie, dans la Thuringe, dans la Franconie. Ils développèrent cette vérité dangereuse qui est dans tous les coeurs, c’est que les hommes sont nés égaux, et que, si les papes avaient traité les princes en sujets, les seigneurs traitaient les paysans en bêtes. A la vérité, le manifeste de ces sauvages, au nom des hommes qui cultivent la terre, aurait été signé par Lycurgue: ils demandaient qu’on ne levât sur eux que les dîmes des grains; qu’une partie fût employée au soulagement des pauvres; qu’on leur permit la chasse et la pêche pour se nourrir; que l’air et l’eau fussent libres; qu’on modérât leurs corvées; qu’on leur laissât du bois pour se chauffer: ils réclamaient les droits du genre humain; mais ils les soutinrent en bêtes féroces.
Les cruautés que nous avons vues exercées par les communes de France, et en Angleterre du temps des rois Charles VI et Henri V, se renouvelèrent en Allemagne, et furent plus violentes par l’esprit de fanatisme. Muncer s’empare de Mulhausen en Thuringe en prêchant l’égalité, et fait porter à ses pieds l’argent des habitants en prêchant le désintéressement. (1525) Les paysans se soulèvent de la Saxe jusqu’en Alsace ils massacrent les gentilshommes qu’ils rencontrent; ils égorgent une fille bâtarde de l’empereur Maximilien Ier. Ce qui est très remarquable, c’est qu’à l’exemple des anciens esclaves révoltés, qui, se sentant incapables de gouverner, choisirent pour leur roi le seul de leurs maîtres échappé au carnage, ces paysans mirent à leur tête un gentilhomme.
Ils ravagèrent tous les endroits où ils pénétrèrent, depuis la Saxe jusqu’en Lorraine; mais bientôt ils eurent le sort de tous les attroupements qui n’ont pas un chef habile: après avoir fait des maux affreux, ces troupes furent exterminées par des troupes régulières. Muncer, qui avait voulu s’ériger en Mahomet, périt, à Mulhausen, sur l’échafaud (1525); Luther, qui n’avait point eu de part à ces emportements, mais qui en était pourtant malgré lui le premier principe, puisque le premier il avait franchi la barrière de la soumission, ne perdit rien de son crédit, et n’en fut pas moins le prophète de sa patrie.
Chap. CXXXII. — Suite du luthéranisme et de l’anabaptisme.
Il n était plus possible à l’empereur Charles-Quint ni à son frère Ferdinand d’arrêter le progrès des réformateurs. En vain la diète de Spire fit des articles modérés de pacification (1529), quatorze villes et plusieurs princes protestèrent contre cet édit de Spire: ce fut cette protestation qui fit donner depuis à tous les ennemis de Rome le nom de Protestants. Luthériens, zuingliens, oecolampadiens, carlostadiens, calvinistes, presbytériens, puritains, haute Église anglicane, petite Église anglicane, tous sont désignés aujourd’hui sous ce nom. C’est une république immense, composée de factions diverses, qui se réunissent toutes contre Rome, leur ennemie commune.
(1530) Les luthériens présentèrent leur confession de foi dans Augsbourg, et c’est cette confession qui devint leur boussole; le tiers de l’Allemagne y adhérait: les princes de ce parti se liguaient déjà contre l’autorité de Charles-Quint, ainsi que contre Rome; mais le sang ne coulait point encore dans l’empire pour la cause de Luther: il n’y eut que les anabaptistes qui, toujours transportés de leur rage aveugle, et peu intimidés par l’exemple de leur chef Muncer, désolèrent l’Allemagne au nom de Dieu (1534). Le fanatisme n’avait point encore produit dans le monde une fureur pareille; tous ces paysans, qui se croyaient prophètes, et qui ne savaient rien de l’Écriture sinon qu’il faut massacrer sans pitié les ennemis du Seigneur, se rendirent les plus forts en Westphalie, qui était alors la patrie de la stupidité; ils s’emparèrent de la ville de Munster, dont ils chassèrent l’évêque. Ils voulaient d’abord établir la théocratie des Juifs, et être gouvernés par Dieu seul; mais un nommé Mathieu, leur principal prophète, ayant été tué, un garçon tailleur, nommé Jean de Leyde, né à Leyde en Hollande, assura que Dieu lui était apparu, et l’avait nommé roi: il le dit et le fit croire.
La pompe de son couronnement fut magnifique: on voit encore de la monnaie qu’il fit frapper; ses armoiries étaient deux épées dans la même position que les clefs du pape. Monarque et prophète à la fois, il fit partir douze apôtres qui allèrent annoncer son règne dans toute la basse Allemagne. Pour lui, à l’exemple des rois d’Israël, Il voulut avoir plusieurs femmes, et en épousa jusqu’à dix à la fois. L’une d’elles ayant parlé contre son autorité, il lui trancha la tête en présence des autres, qui, soit par crainte, soit par fanatisme, dansèrent avec lui autour du cadavre sanglant de leur compagne.
Ce roi prophète eut une vertu qui n’est pas rare chez les bandits et chez les tyrans, la valeur: il défendit Munster contre son évêque Valdec avec un courage intrépide pendant une année entière; et dans les extrémités où le réduisait la famine, il refusa tout accommodement. (l536) Enfin il fut pris les armes à la main par une trahison des siens. Sa captivité ne lui ôta rien de son orgueil inébranlable: l’évêque lui ayant demandé comment il avait osé se faire roi, le prisonnier lui demanda à son tour de quel droit l’évêque osait être seigneur temporel: J’ai été élu par mon chapitre, dit le prélat. — Et moi par Dieu même, reprit Jean de Leyde; L’évêque, après l’avoir quelque temps montré de ville en ville, comme on fait voir un monstre, le fit tenailler avec des tenailles ardentes. L’enthousiasme anabaptiste ne fut point éteint par le supplice que ce roi et ses complices subirent; leurs frères des Pays-Bas furent sur le point de surprendre Amsterdam: on extermina ce qu’on trouva de conjurés; et dans ces temps-là tout ce qu’on rencontrait d’anabaptistes dans les Provinces-Unies était traité comme les Hollandais l’avaient été par les Espagnols; on les noyait; on les étranglait, on les brûlait; conjurés ou non, tumultueux ou paisibles, on courut partout sur eux dans toute la basse Allemagne, comme sur des monstres dont il fallait purger la terre.
Cependant la secte subsiste assez nombreuse, cimentée du sang des prosélytes, qu’ils appellent martyrs, mais entièrement différente de ce qu’elle était dans son origine: les successeurs de ces fanatiques sanguinaires sont les plus paisibles de tous les hommes, occupés de leurs manufactures et de leur négoce, laborieux, charitables. Il n’y a point d’exemple d’un si grand changement; mais comme ils ne font aucune figure dans le monde, on ne daigne pas s’apercevoir s’ils sont changés ou non, s’ils sont méchants ou vertueux.
Ce qui a changé leurs moeurs, c’est qu’ils se sont rangés au parti des unitaires, c’est-à-dire de ceux qui ne reconnaissent qu’un seul Dieu, et qui, en révérant le Christ, vivent sans beaucoup de dogmes et sans aucune dispute; hommes condamnés dans toutes les autres communions, et vivant en paix au milieu d’elles. Ainsi ils ont été le contraire des chrétiens ceux-ci furent d’abord des frères paisibles, souffrants et cachés, et enfin des scélérats absurdes et barbares. Les anabaptistes commencèrent par la barbarie, et ont fini par la douceur et la sagesse.
Ce passage est extrait du site suivant: http://www.voltaire-integral.com/Html/12/04ess140.html
_________________ Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer (Guillaume le Taciturne)
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