Bonsoir MacGregor,
L'étude du droit annuel, appelé familièrement la paulette, permet d'aborder le problème plus général de la vénalité des offices. La vénalité fut d'abord autorisée en 1483. Un recette spéciale, nommée "les parties casuelles", fut créée en 1523 pour percevoir les produits des ventes des charges. La vénalité fut restreinte en 1534 par la clause des 40 jours. En 1604, le droit annuel permettait de s'affranchir de cette clause. La vénalité fut critiquée constamment. Quand Mazarin s'y attaqua, cela donna la Fronde de 1648 à 1653. La vénalité persista donc jusqu'au 19e siècle. Les révolutionnaires de 1789 l'abolir partiellement le 4 août, et l'empire la rétablit en 1802.
Les états généraux, qui se tinrent du 27 octobre 1614 au 23 février 1615, furent les derniers avant ceux de 1789. Ceux de 1614-15 ne dégénèrent pas comme les suivants, car ils avaient été très habilement préparés par l'entourage de Marie de Médicis. Eleonora Galigai, amie d'enfance de la régente, secondée par Claude Barbin, avait choisi avec soin les participants et les thèmes à aborder. Le jeune évêque de Luçon, Richelieu, ami de Barbin, y fit son premier grand discours publique. Les débats sur la vénalité des charges et sur la paulette avaient été autorisés pour donner un peu de grain à moudre aux députés, pour semer la confusion et la discorde entre les trois ordres, et surtout pour détourner l'attention de questions qui auraient été beaucoup plus embarrassantes, comme par exemple l'alliance avec l'Espagne, la tutelle de Louis XIII qui se prolongeait bien qu'il fut majeur depuis le 27 septembre 1614, et surtout les libéralités excessives de la reine mère envers ses amis italiens, et envers les princes et ducs qu'elle espérait amadouer.
Jacques-Auguste de Thou n'était le représentant d'aucun des trois ordres. Il était l'un des commissaires royaux. Barbin l'avait sûrement fait venir premièrement parce qu'il aurait eu du mal à écarter un personnage aussi important (et ça me choque un peu que vous l'appeliez "Mr", parce qu'il n'était un grand propriétaire terrien, on ne l'appelait pas Monseigneur, il était un grand juriste) et deuxièmement parce que Barbin connaissait l'aptitude de de Thou à créer des polémiques stériles.
L'historien qui connaissait le mieux le droit annuel et les états généraux de 1614-15, était Roland Mousnier, qui en a fait le coeur de son livre "La vénalité des offices sous Henri IV et Louis XII", paru au PUF en 1971. Il en a fait un résumé dans un chapitre de sa biographie de Richelieu, "L'homme rouge", chez Robert Laffont, collection Bouquins.
Les avis sur le droit annuel étaient partagés.
Roland Mousnier a écrit :
le 9 février [1615...] l'évêque de Grenoble ajouta aux demandes la révocation du droit annuel [c'est-à-dire la Paulette] [...] Le 23 février 1615 [...] Richelieu, dans sa harangue prononcée au nom du clergé, réclama à nouveau l'abolition de la vénalité, de l'annuel [la Paulette], et des survivances. La noblesse se contenta d'un compliment. Miron, pour le tiers [état], fit au roi la même habile supplication d'ôter la vénalité et l'annuel [...] pour remplacer les 1 500 000 livres que le roi perdait, il était question d'alourdir la gabelle [...] le tiers s'opposait à l'accroissement des droits sur le sel [...] Le Parlement de Paris, la Chambre des Comptes réclamaient le maintien de l'annuel.
(source : La vénalité des offices sous Henri IV et Louis XIII, PUF, 1971, page 626)
L'argumentation de Richelieu est intéressante parce qu'elle montre non seulement la vision globale qu'il porte sur les problèmes d'imposition, mais aussi l'audace feutrée dont il se sert pour critiquer les dépenses de Marie de Médicis :
Richelieu a écrit :
il faut qu'il y ait de la proportion entre ce qui se donne, & ce qu'on peut donner legitimement. Autrement les dons nuisent au lieu de profiter. Et il faut advoüer, que la plupart des maux de toutes les communautez du monde, & particulierement de cét Estat, tirent leur origine des excessives despenses, & des dons immenses qui se distribuent sans regle & sans mesure. Si nous ietoons premierement les yeux sur le peuple, dont l'Eglise qui est mere des pauvres, & des affligez doit auoir soin, nous cognoistrons aussi tost, que sa misere procede principalement de ceste cause, puis qu'il est clair que l'augmentation des mises fait par necessité croistre les receptes, & que plus on dépend, plus est-on contraint de tirer des peuples, qui sont les seules mines de la France.
S'il faut chercher la cause originaire des defauts qui se remarquent le iustice, des grands frais qu'on est contrainct de faire pour obtenir ce que les Princes deuroient liberalement départir à leurs subiects ; N'est-il pas certain que la source principale de ces maux, est la venalité des charges & des offices, qui n'ont esté mis en commerce, que pour subuenir aux necessitez, où l'Estat a esté reduit par les profusions, & l'excez des despenses ?
Et comme on a veu que vendant les offices, plus il y en auroit, plus pourroit-on auoir d'argent, on les a multipliez par vne infinité de nouuelles créations. Et ainsi les maux s'entresuiuans, & se prestans la main, la venalité des charges en a apporté la multiplicité, qui a acheué d'accabler le peuple, augmentant le faix qu'on luy impose à raison des gages attribuez à tous offices, & diminuant les forces qui luy sont necessaires pour porter tel fardeau : attendu que plus il y a d'officiers exempts de subsides & de tailles, moins reste-il de subiets pour les payer
(source : Discours de Richelieu à la clôture des états généraux, pages 10 à 12, consultable sur galllica.bnf.fr)
Il peut paraître un peu étonnant que Jacques-Auguste de Thou critiquât la paulette, lui qui fut parlementaire, et était membre de la haute magistrature parisienne. Je ne pense pas, contrairement, à ce que vous semblez penser, qu'il s'en prend principalement à Sully. Il est vrai que le droit annuel fut un projet proposé par le marquis de Rosny (futur Sully) en 1602. Mais Barbiche et Mousnier s'accordent à dire qu'il fut probablement poussé par les officiers eux-mêmes. Le rival de Rosny, Bellièvre, s'est opposé à ce projet, mais il a été désavoué par Henri IV. Je suppose, sans avoir aucune preuve, que de Thou était ami de Bellièvre, dont les familles étaiet alliées, et que de Thou défendait les mêmes idées que Belièvre, à savoir que la Paulette risquait d'inciter à la création de nouvelles charges inutiles qui entrainent un abaissement des revenus, à l'abaissement du niveau intellectuel des nouveaux officiers, et à l'inflation du prix des offices.
Je ne pense pas non plus que de Thou s'opposait à la Paulette pour des considérations religieuses. De Thou était un catholique gallican. Sully était protestant. Le premier fermier de 1604 à 1606, Charles Paulet, était languedocien, et il ne serait pas étonnant qu'il fut aussi calviniste. Le groupe suivant de financiers qui obtinrent la ferme du droit annuel de 1606 à 1611 étaient menés par Benigne Saulnier, protestant, et son associé Jean Palot, bien vu des réformés. Mais il me semble que le troisième groupe, de 1611 à 1614, était plutôt composé de catholiques. Son chef était le parisien Claude Marcel. Mais Eléonora Galigai lui avait adjoint les frères Barbin. De Thou, ainsi que ses amis, n'aimait pas beaucoup les Barbin et les Concini (à qui Marie de Medicis avait donné la plus haute dignité militaire, celle de maréchal en 1613), et c'est sans doute eux que visait de Thou, plus que Sully, qui était déjà en marge du pouvoir depuis 1611. En 1615, le droit annuel ne fut plus affermé, mais fut confié au trésorier, en l'occurrence Nicolas Servient. A la suite des états généraux, le 24 mars 1615, le pouvoir royal annonça la suppression de la vénalité des charges et du droit annuel. Le parlement s'opposa à cette mesure. De Luynes, le favori de Louis XIII, tenta lui aussi de contrer le parlement, mais c'est ce dernier qui finit par avoir de gain de cause, du moins jusqu'à la réforme de Maupeou en 1771.
Excusez-moi de m'être sans doute un peu trop étendu sur la paulette.