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 Sujet du message : Re: Le masque de fer
Message Publié : 03 Mars 2010 18:34 
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Quel est l'intérêt d'avoir continué à faire porter le masque à un autre prisonnier après la mort réelle - si tant est qu'il ne soit pas mort en 1680 - de Fouquet?



Je focalise sur Petitfils parce qu’aucun historien n’ose le contredire et que les médias lui font une confiance aveugle. Oublions-le. Pour répondre à votre question, je pars de l’hypothèse que Fouquet n’est pas mort à Pignerol, la seule qui selon moi tiend la route, et j’en infère le scénario suivant :
1) Cette mort a laissé un sentiment de malaise. Curieusement, la famille Fouquet adopte un profil bas. De même que Saint-Mars, elle ne laisse jusqu’à preuve du contraire, aucun témoignage qui confirme ou infirme la réalité de cette mort.

2) Lorsque le prisonnier inconnu arrive sept ans plus tard sur l’île Ste-Marguerite, Saint-Mars laisse entendre que le prisonnier inconnu est quelqu’un de très important dont le nom ne se dit pas, et « qu’il y a des gens que le public croit mort et qui ne le sont pas. »


3) Le seul prisonnier de Pignerol connu du public et dont celui-ci a appris la mort, c’est Fouquet.

4) Les propos de Saint-Mars, recueillis dans un premier temps par l’abbé Mauvans et M. de Mazaugues, sont répercutés et complétés dans un second temps par l’évêque Louis Fouquet dans ses « Nouvelles ecclésiastiques »


5) Les agents de Louvois, infiltrés un peu partout, et notamment dans le milieu janséniste jugé hostile au pouvoir, font parvenir au ministre un exemplaire des « Nouvelles ecclésiastiques » et celui-ci prend conscience du scandale que la mort nébuleuse de Fouquet et les allusions du geôlier « aux gens que le public croit mort et qui ne le sont pas » peuvent faire éclater.

6) A partir de 1689, on transfère sur l’île plusieurs pasteurs protestants avec de telles précautions que bientôt l’île regorge de prisonniers mystérieux.


7) En 1691, lorsque Barbezieux succède à son père Louvois, le masque de fer est encore vivant.

8) En 1694, il ne l’est plus et Matthioli, transféré de Pignerol à Sainte-Marguerite, devient, comparé aux pasteurs protestants, le prisonnier le plus important de l’île (dixit Barbezieux). Il occupe la cellule de feu Fouquet.


9) Cela inspire au pouvoir un ingénieux stratagème : montrer de visu à ceux qui se laisseraient aller à soupçonner que Fouquet n’est pas mort à Pignerol que le prisonnier masqué de Provence est quelqu’un de très différent de Fouquet. La Bastille et l’endroit idéal pour cela.

10) En 1698, Saint-Mars nommé gouverneur de la Bastille est prié d’y conduire « son ancien prisonnier », terme on ne peut plus exact puisque Matthioli est alors le plus ancien prisonnier de Saint-Mars.


11) Barbezieux écrit à Saint-Mars que la volonté du roi est qu’il fasse étape dans les lieux publics et payants.

12) Arrêt au château du Palteau, propriété de Saint-Mars. M. de Formanoir du Paltau, qui est le petit fils de Guillaume de Formanoir, neveu de Saint-Mars, vit sur ses terres avec ses paysans et il se souvient que ceux-ci lui ont confié quand il était jeune : « Lorsque le prisonnier traversait la cour, il avait toujours son masque noir sur le visage : les paysans remarquèrent qu’on lui voyait les dents et les lèvres, qu’il était grand et avait les cheveux blancs. »


13) Peu après, Du Junca, lieutenant du roi à la bastille, consigne pour que personne en ignore dans des registres que le nouveau venu est le fameux prisonnier de Provence, tenu toujours masqué, dont le nom ne se dit pas, et que Saint-Mars avait déjà à Pignerol !

14) Pendant cinq ans, Matthioli est exhibé lorsqu’il se rend sous escorte chaque dimanche à la chapelle de la Bastille. Le port du masque serait inutile, personne ne connaissant Matthioli, si cet accessoire n’était l’élément essentiel de la panoplie du prisonnier de Provence.


15) Lorsque Matthioli meurt en 2003, il laisse le souvenir d’un homme d’une soixantaine d’années. Fouquet serait alors âgé de 88 ans.

16) Pour faire bonne mesure, on retranche une quinzaine d’années sur l’acte de décès: « Marchioly, âgé d’environ 45 ans ».


17) Ce qui a fait dire au colloque de Cannes 1987 : « Le masque de fer ne peut être Fouquet. On ne confond pas une homme de 45 ans avec un vieillard presque nonagénaire. »

18) A noter que celui qui écrit cela se rendra compte qu’il a été berné et écrira en 1999 un ouvrage intitulé La maschera di ferro se ralliant à la thèse Fouquet.

Voilà mon scénario. Je puis en argumenter chacun de ses 16 points, mais je me contenterai aujourd’hui de revenir sur Matthioli et le rôle de leurre qu’il a joué de son arrestation jusqu’à sa mort à son corps défendant.

Matthioli est né à Bologne le 13 décembre 1640. Devenu après de solides études de droit civil et canonique, le secrétaire du duc de Mantoue, Charles III de Gonzague, puis l’ami et conseiller du jeune Charles IV, il joua un rôle important lors de la tentative d’acquisition par la France de la ville de Casal, place d’intérêt stratégique figurant parmi les domaines des Gonzague.

Casal était convoitée non seulement par Louis XIV, mais aussi par les puissances hostiles à l’hégémonie française. Matthioli servit d’agent de liaison en Louis XIV et les Gonzague. Le visage dissimulé sous un masque de velours (prémonitoire), l’Italien participe le 17 mars 1678, à Venise, lors d’un bal masqué, à la première négociation secrète. Un projet d’acquisition est élaboré. Puis Matthioli rencontre Louis XIV à Versailles. Le roi le couvre de présents et lui rappelle que l’affaire doit rester secrète.
Catinat, qui deviendra maréchal de France en 1693, doit entrer le jour J dans Casal avec nos troupes. Casal est proche de Pignerol. Louvois, qui a décidément le génie des subterfuges, envoie Catinat à Pignerol sous l’apparence d’un prisonnier dénommé Richemont !

Hélas, toutes ces précautions n’ont servi à rien car Matthioli trahit la confiance du roi en prévenant la régente de Savoie de ce qui se trame. L’affaire échoue et Matthioli est arrêté près de Pignerol, puis conduit au terrible donjon. Son valet le rejoint deux jours plus tard avec ses bagages, dans lesquels on espère encore trouver le contrat d’achat de Casal. En pure perte. Le sort de Matthioli, et celui de son valet, sont scellés.

On a longtemps cru que Matthioli était le masque de fer. Il est maintenant avéré qu’il est demeuré au donjon de Pignerol de 1679 à 1694. Il est moins connu qu’il finit sa vie à la Bastille, mais j’espère que cela va finir par être reconnu. Ce qui est certain, c’est que l’idée de l’utiliser comme leurre est née dès 1681 et n’a plus cessé d’être mise en œuvre jusqu’à sa mort. En voici quelques maillons :

1681 : Louvois recommande à Saint-Mars de faire suivre les bagages de Matthioli à Exilles, ce qui tendra à faire croire le jour du départ que les deux hommes qui quittent Pignerol dissimulés dans une litière sont Matthioli et son valet.

1687 : M. de Thomassin-Mazaugues, conseiller au Parlement d’Aix, a assisté à l’effervescence qui régnait sur l’île Ste Marguerite à la suite des propos tenus par Saint-Mars lors de son premier séjour. Intrigué il attend l’arrivée du prisonnier puis continue son voyage. Il essaie d’en apprendre davantage. Un certain M. de Villermont lui répond le 20 août 1687 : « On m’a assuré que le prisonnier que vous me mandâtes il y a quelque temps pour être mené aux iles Ste-Marguerite d’une manière si extraordinaire est un Italien, nommé le comte Matthioly, ci-devant secrétaire du duc de Mantoue, qu’il avait trahi en donnant part aux Espagnols de son secret.


19 novembre 1703 : « Le 19e, Marchioly, âgé de 45 ans ou environ, est décédé dans la Bastille. »

Louis XV, interrogé par la marquise de Pompadour, aurait avoué que « c’était un ministre d’un prince italien ».

M. de Maurepas, petit-fils du Chancelier Pontchartrain, interrogé par Louis XVI qui lui demandait s’il avait entendu parler de cette affaire dans sa jeunesse : « C’était simplement un prisonnier d’un caractère très dangereux par son esprit d’intrigue et sujet du duc de Mantoue. »

Il n’est pas étonnant que la thèse Matthioli ait connu un long succès et ait même été considéré comme la solution définitive à cette énigme.
Au moins Matthioli a-t-il été probablement l’homme au masque de velours, tandis que ce pauvre Eustache, s’il a joué un rôle indiscutable dans l’intrigue de cette énigme, n’a pu sortir vivant de Pignerol. C’est du moins ce qui ressort d’une lettre de Louvois et de plusieurs pièces comptables.


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 Sujet du message : Re: Le masque de fer
Message Publié : 04 Mars 2010 2:02 
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Le fait que Dauger (qui n'a rien d'un valet, même s'il sert dans cet office Nicolas Fouquet en prison) ait été mêlé à l'affaire des poisons n'est-il pas suffisant pour justifier un traitement aussi exceptionnel ?
De nombreuses personnalités de la Cour ont été mêlées à ce scandale, y compris certaines très proches du roi, et la volonté de réduire au silence une personne qui en saurait trop apparaît très logique dans ce contexte. Quant au fait de ne pas le supprimer purement et simplement, outre des arguments moraux auxquels je ne crois guère, il y a la possibilité 1) que ce soit la volonté d'une personne influente de le maintenir en vie, à des fins de chantage éventuels par exemple ; 2) qu'il soit "protégé" par quelqu'un de haut placé qui ait réussi à lui éviter la mort mais pas la détention à vie.

En ce qui me concerne, le simple fait d'imaginer que son témoignage puisse faire "plonger" plusieurs grands seigneurs et nobles dames pour sorcellerie ou empoisonnement permet de justifier 1) sa mise au secret dans de telles circonstances ; 2) son maintien en vie (on peut l'utiliser contre eux s'ils se rebiffent contre le pouvoir).

Cordialement,

Loïc B.

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 Sujet du message : Re: Le masque de fer
Message Publié : 04 Mars 2010 15:53 
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Bonjour,

Je ne voudrais pas vous décevoir mais pour suivre votre raisonnement (par ailleurs parfaitement logique), Il faudrait admettre que le jeune Eustache d’Auger de Cavoye ait été le chirurgien Auger compromis dans l’affaire des Poisons, que la lettre adressée par Eustache d’Auger de Cavoye à sa sœur Henriette le 23 janvier 1678 depuis la prison de Saint-Lazare ait été un faux, que plusieurs autres documents attestant de la présence d’Eustache d’Auger de Cavoye à Saint-Lazare aient été également des faux. Cela fait beaucoup de suppositions !
D’autre part il n’y a jamais eu de DAUGER à Pignerol. Lorsque on examine l’ensemble des documents venant de Pignerol où apparaît le nom de ce valet de Fouquet, on lit : Eustache DANGER. Et c’est véritablement un rôle de valet que celui-ci assume car il a été choisi à la mort du valet Champagne pour suppléer à l’incapacité de l’autre valet de Fouquet (La Rivière) souvent paralysé par des crises d’hydropisie, de remplir ses taches domestiques. Une lettre de Louvois de novembre 1675 conseillant d’administrer au valet Eustache une bonne séance d’étrivières confirme par ailleurs que celui-ci est vraisemblablement de modeste condition.
Bref, il faut chercher une autre piste.

Cordialement


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 Sujet du message : Re: Le masque de fer
Message Publié : 04 Mars 2010 19:40 
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N'y connaissant quasiment rien à l'affaire, je ne m'offusque de rien et ne suis déçu de rien.
Mais le fait qu'on entoure un simple valet (ou à la rigueur une personne de "petite condition") de telles mesures de sécurité, d'isolement et de claustration, m'amène à penser que soit ce n'était pas une personne de "petite condition", soit c'en était une qui avait de quoi menacer la sûreté de l'Etat monarchique. Cela réduit déjà le champ d'investigation, non ?
Ensuite, pourquoi se forcer à entretenir un prisonnier aussi longtemps et avec de telles précautions ? 1) soit il est protégé (par quelqu'un ou quelque chose qu'il sait, mais ce dernier point est peu vraisemblable puisqu'il n'apparaît pas qu'il ait été "cuisiné") ; 2) soit il pourrait se révéler utile en raison justement de ce qu'il sait.

L'affaire des poisons correspondait juste à ce schéma, puisqu'en admettant qu'il soit l'un des conjurés/participants, il est capable de mouiller beaucoup de monde mais d'une part sa vie est menacée, d'autre part un accord tacite facile à imaginer serait d'une part le roi menace de sortir ce valet de son jeu en cas de besoin, calmant tout son monde, d'autre part les personnalités impliquées accepteraient les règles du jeu à la condition que le monarque promette un silence complet (obligeant à isoler ledit valet).

Fouquet ? Je ne vois pas en quoi il aurait été nécessaire de mentir sur le sort du "véritable" Fouquet, en fait. Quel est le mobile du crime, en quelque sorte ?

Cordialement,

Loïc B.

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 Sujet du message : Re: Le masque de fer
Message Publié : 05 Mars 2010 10:30 
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Bonjour Claude.

Même si j'ai quelques doutes sur votre thèse, c'est toujours un plaisir de vous lire.

Si je vous ai bien compris, c'est pour en quelque sorte protéger la mémoire de son père que Barbezieux aurait continué à faire porter le masque (à Matthioli d'après vous) après la mort réelle (d'après vous) de Fouquet en 1694. Ca n'est pas illogique mais je trouve cela un peu tiré par les cheveux. Notamment parce que le Roi pouvait à tout moment être mis au courant de la chose et que le clan Louvois aurait alors pu être sur la sellette: avoir menti à Louis XIV sur la mort de Fouquet pouvait presque équivaloir à un crime de lèse-majesté.
Lorsque vous parlez de "pouvoir", c'est en fait au clan Louvois que vous faites allusion. Mais cela contredit ce que vous avez dit dans un message précédent, à savoir que le Roi avait mis en scène le parcours du masque jusqu'à la Bastille.


LTN503 a écrit :
Fouquet ? Je ne vois pas en quoi il aurait été nécessaire de mentir sur le sort du "véritable" Fouquet, en fait. Quel est le mobile du crime, en quelque sorte ?
D'après Claude, c'est par peur d'une possible grâce de Fouquet par Louis XIV en 1680 que Louvois aurait fait croire à sa mort et ordonné qu'on lui mette un masque.


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 Sujet du message : Re: Le masque de fer
Message Publié : 05 Mars 2010 12:49 
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Bonjour,

Le risque d'une telle mise en scène par Louvois est... démentiel. Si le roi apprend qu'on se moque de lui de la sorte, c'en est fini de la faveur du Secrétaire d'Etat à la Guerre. Et cela ne colle pas avec le fait que le roi est au courant de l'existence du masque de fer. Quelle justification lui en donnerait Louvois dans ce cas ?

De toute manière, je vois mal Louvois prendre le risque de tomber en disgrâce définitive au prétexte qu'il veut éviter un très hypothétique retour, à 65 ans, de Fouquet. Et Louis XIV serait-il si versatile qu'après avoir fait tomber son ancien surintendant des finances, il en ferait son favori uniquement par mansuétude et pitié (uniques raisons d'une sortie de prison du vieux prisonnier) ?

Les égards dont on entoure le prisonnier cadrent mal avec une extraction roturière, également.
Bref, que de mystères pour si peu de réponses !

Cordialement,

Loïc B.

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 Sujet du message : Re: Le masque de fer
Message Publié : 06 Mars 2010 4:44 
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LTN503 a écrit :
Le risque d'une telle mise en scène par Louvois est... démentiel. Si le roi apprend qu'on se moque de lui de la sorte, c'en est fini de la faveur du Secrétaire d'Etat à la Guerre. Et cela ne colle pas avec le fait que le roi est au courant de l'existence du masque de fer. Quelle justification lui en donnerait Louvois dans ce cas ?
C'est justement ce que je trouve tiré par les cheveux avec la thèse de Claude. Thèse intéressante certes, intelligente, mais qui me paraît, comme à vous, beaucoup trop risquée pour Louvois.
Par ailleurs, votre interrogation sur le fait que Louis XIV serait au courant rejoint la mienne.


Citer :
Les égards dont on entoure le prisonnier cadrent mal avec une extraction roturière, également.
Je ne suis pas tout à fait d'accord sur ce point. Il semble que le Masque n'ait pas bénéficié d'égards particuliers et que sa pension ait été quatre ou cinq fois moindre que celle de Fouquet ou de Lauzun.


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 Sujet du message : Re: Le masque de fer
Message Publié : 06 Mars 2010 10:15 
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Quatre ou cinq fois moindre que des Grands, ça reste quand même largement au-dessus d'un valet, non ?
Qu'en est-il du fait que son geôlier de luxe lui donnait du "monseigneur", est-ce avéré ou bien cela appartient-il aux exagérations qui entourent cette affaire ?

Cordialement,

Loïc B.

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 Sujet du message : Re: Le masque de fer
Message Publié : 07 Mars 2010 0:01 
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LTN503 a écrit :
Quatre ou cinq fois moindre que des Grands, ça reste quand même largement au-dessus d'un valet, non ?
En prison, il y a automatiquement nivellement des inégalités. "Logement" identique, absence de fête et de représentation, absence ou quasi-absence de serviteurs... Le seul vrai poste de dépense est la nourriture. Dans ce contexte, recevoir quatre ou cinq fois plus qu'un autre prisonnier est énorme, même si c'est beaucoup moins que la différence qui existait dans la vraie vie.


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 Sujet du message : Re: Le masque de fer
Message Publié : 08 Mars 2010 20:04 
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Bonsoir Enki-Ea et LTN503,

Vous pensez que Louvois n’aurait pas pris le risque "insensé" de mettre en scène la fausse mort de Fouquet.

D’un point de vue rationnel, vous avez raison. Mais Louvois était-il rationnel quand certains traits de son caractère prenaient le dessus ?

Une chose est sûre, il a tout fait pour empêcher que Fouquet soit libéré. Ou tout au moins pour dissuader le roi de le faire.

Ainsi, lors de l’instruction de deux affaires de poisons, que le ministre initia et suivit de près, certains inculpés « révélèrent » (en 1676) que Fouquet avait voulu empoisonner le roi et d’autres « avouèrent » (en 1680) qu’un complot se tramait en faveur de Fouquet pour le mettre au pouvoir. Personne ne se rétracta, tous furent immédiatement brulés !

Qu’il s’agisse là de manipulations de Louvois pour exciter le roi contre Fouquet, cela ne fait aucun doute et montre la terrible détermination du ministre.

Lorsqu’on se penche sur le témoignage de ses contemporains, on s’aperçoit que si le roi appréciait sa vivacité d’esprit et ses qualités de travailleur, il supportait mal ses manières autoritaires. Au point qu’en 1691, Louvois finit par se sentir au bord de la disgrâce.

Alors qu’il promenait sa femme et une amie dans une carriole, il était tellement obsédé par la peur d’être emprisonné qu’il faillit précipiter tout le monde dans une pièce d’eau, alors qu’il murmurait à voix haute : « Le fera-t-il ? Non il n’osera pas ! » Le roi craignait-il Louvois ? Celui-ci savait-il quelque chose de très important qui, croyait-il, le mettait à l’abri des représailles ? Un grave affrontement entre les deux hommes venait de se produire. Le voici, narré par Saint-Simon :

« Louvois non content des terribles exécutions du Palatinat, voulut aussi brûler Trèves. Il le proposa au roi comme plus nécessaire encore que ce qui avait été fait à Worms et à Spire. (…) La disputa s’échauffa sans que le roi pût ou voulût être persuadé. (…) A quelques jours de là, Louvois, qui avait le défaut de l’opiniâtreté et en qui l’expérience avait ajouté de ne douter pas d’emporter toujours ce qu’il voulait, vint à son ordinaire travailler avec le roi chez Mme de Maintenon. A la fin du travail, il lui dit qu’il avait bien senti que le scrupule du roi était la seule raison qui l’eût retenu de consentir à une chose aussi nécessaire à son service que le brûlement de la ville de Trèves ; qu’il croyait lui en rendre un essentiel de l’en délivrer en s’en chargeant lui-même ; et que pour cela sans lui en avoir voulu reparler, il avait dépêché un courrier avec l’ordre de brûler Trèves à son arrivée. Le roi fut à l’instant, et contre son naturel, si transporté de colère qu’il se jeta sur les pincettes de la cheminée et en allait charger Louvois sans Mme de Maintenon, qui se jeta aussitôt entre deux en s’écriant : Ah Sire, qu’allez-vous faire ? Louvois cependant gagnait la porte. Le roi cria après lui pour le rappeler et lui dit, les yeux étincelants : « Dépêchez un courrier tout à cette heure avec un contrordre, et qu’il arrive à temps, et sachez que votre tête en répond, si on brûle une seule maison. » Louvois plus mort que vif s’en alla sur le champ. Ce n’était pas dans l’impatience de dépêcher le contre-ordre. Il s’était bien gardé de laisser partir le premier courrier. Il lui avait donné ses dépêches portant l’ordre de l’incendie mais il lui avait ordonné de l’attendre tout botté. (…) Il n’eut que la peine de reprendre ses dépêches et de le faire débotter. Il passa (le messager) toujours auprès du roi pour parti, et le second pour être arrivé assez à temps pour empêcher l’exécution.»


Peu après, Louvois, qui n’avait en rien changé sa conduite, sentit que le roi avait pris sa décision. Il confia à un ami : « Je ne sais s’il se contentera de m’enlever mes charges, ou s’il me mettra dans une prison ; tout m’est indifférent quand je ne serai plus le maître. Tout est changé, nous avons eu cent fois les disputes les plus aigres ; je sortais de son cabinet et le laissai fort en colère et le lendemain quand il fallait travailler il reprenait un air gracieux. Or depuis quinze jours il a toujours le front ridé. Il a pris son parti contre moi ; il n’est plus question que des expédients. »


Quelque jours plus tard, Louvois mourut d’apoplexie à l’âge de 50 ans. Mme de Sévigné écrivit alors : « Le voilà donc mort, ce grand ministre, cet homme si considérable, qui tenait une si grande place, dont le moi, comme dit M. Nicole, était si étendu, qui était le centre de tant de choses. Que d’affaires, que de desseins, que de projets, que d’intérêts à démêler, que de guerres commencées, que d’intrigues, que de beaux coups d’échecs à faire et à construire. »


L’affaire de Trèves, et bien d’autres, montrent que Louvois était capable, lorsque ses instincts prenaient le dessus, de prendre des risques énormes. C’est pour cela que je le crois capable d'avoir été l’instigateur de la fausse mort de Fouquet. Mais ce n’est qu’une hypothèse, qui comme vous l'avez fait remarquer, conduit à certaines contradictions.

J’en ai élaboré une autre, quelque peu audacieuse, et impliquant le roi, mais dont Louvois aurait probablement assumé la responsabilité en cas de coup dur.


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 Sujet du message : Re: Le masque de fer
Message Publié : 08 Mars 2010 22:29 
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Claude,

Vous êtes un hardi bretteur, et cet exemple permet un parallèle avec votre hypothèse tout à fait concluant. Mais qui dit qu'il y a similitude ne dit pas qu'il y ait exactitude, et autant la dévastation de Trêves avait une logique militaire compréhensible (empêcher les armées de la ligue d'Augsbourg d'emprunter la voie mosellane pour entrer en France en y supprimant les ressources logistiques disponibles pour plusieurs mois voire plusieurs années), autant la "mise en scène" du masque de fer me laisse plus sceptique sur sa raison d'être : en raison même de l'implacabilité du ministre, ne lui aurait-il pas été plus simple d'assassiner Fouquet ? Il en avait le pouvoir, la latitude et une quasi-certitude que jamais on ne viendrait lui chercher noise à ce sujet, pour un prisonnier d'Etat dont la disparition arrangeait tout le monde, le roi le premier.

Encore une fois, pourquoi cette mise en scène ? Le fait de le tuer pour éviter sa libération hypothétique réglait le problème, et si le cas de conscience peut être compréhensible pour Louis XIV, un Louvois qui ordonne dragonnades et dévastations du Palatinat sans remords particulier semble moins à même d'en être victime... D'autant plus, justement, au vu de votre exemple tiré de Saint-Simon.

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 Sujet du message : Re: Le masque de fer
Message Publié : 09 Mars 2010 10:50 
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Je n'ai pas grand chose à rajouter à ce que dit très pertinemment LTN. Qu'un ministre n'écoute pas toujours le roi et tente de lui forcer un peu la main lors d'une guerre, ça peut arriver. Mais faire passer pour mort un prisonnier que le roi pense grâcier, c'est se moquer du souverain et porter une atteinte directe à son droit régalien : un véritable crime de lèse-majesté. Il y a tant de risques que le jeu n'en vaut pas la chandelle. Surtout que si le roi pensait éventuellement grâcier Fouquet, il était évidemment hors de question de lui redonner quelque rôle que ce soit dans la vie publique. Le surintendant ne constituait plus une menace en 1680.

Par ailleurs, en suivant votre hypothèse, Claude, Barbezieux a eu un rôle au moins aussi important que Louvois puisque c'est lui qui aurait décidé de continuer la mystification et inventé un deuxième masque après la "vraie" mort de Fouquet en 1694. Or, autant Louvois était un "crack", autant Barbezieux n'avait pas du tout l'envergure ni les "cojones" (il faut bien que je trouve une manière de le dire :wink: ) de son père.

Non, vraiment, je ne crois pas à cette thèse. Ceci dit, je pense que vos messages très intéressants et bien informés ont eu le grand mérite de montrer qu'on ne pouvait croire Petitfils sur parole étant donné les incohérences dont il fait preuve et que vous relevez. Décidément, ce Masque de fer restera un mystère... ;)


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 Sujet du message : Re: Le masque de fer
Message Publié : 10 Mars 2010 12:45 
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Bonjour,

L’identification de Fouquet sous le masque d’acier est chose aisée dès lors que l’on peut établir que les deux prisonniers d’Exilles (« que l’on appelait à Pignerol de la tour d’en bas » dixit Louvois, et dont l'un allait devenir le masque de fer) n’étaient pas deux valets, mais un maître et son valet.

En dehors de Fouquet, les deux autres prisonniers de Pignerol disposant d’un valet – Lauzun et Matthioli – se trouvaient l’un à Versailles et l’autre à Pignerol lorsque le prisonnier masqué accosta l’île Ste Marguerite.

Conclusion… Cela me semble aussi évident que la chute d’une pomme. Mais s’il a fallu longtemps pour que la chute d’une pomme soit expliquée scientifiquement, celle de Fouquet dans une oubliette demeurera je le crains longtemps un mystère.

Si j’ai avancé l’hypothèse d’une supercherie conçue par Louvois, c’est parce que celui-ci avait toute l’apparence du « coupable ». Ceci dit, le caractère rusé et exécrable de Louvois et le fait que le donjon ait été longtemps son fief et Saint-Mars sa créature servile, n’expliquent pas tout.

Mais si l’imposture n’est pas le fait de Louvois, qui l’a voulue sinon le roi ? Et là, il est encore plus difficile d’admettre que Louis XIV ait pu faire précipiter Fouquet dans un cul-de-basse-fosse après lui avoir laissé espérer sa libération !

Il est vrai que la découverte d’un passage secret reliant la prison de Lauzun à celle de Fouquet, passage grâce auquel, écrit Louvois le 8 avril 1680, Lauzun a pu apprendre « la plupart des secrets » de l’ancien surintendant, a dû sérieusement indisposer le roi.

Mais, selon toute apparence, rien n’obligeait celui-ci à libérer Fouquet. Il lui suffisait de le laisser à Pignerol jusqu’à ce que mort s’ensuive. Pourquoi alors risquer une telle mise en scène, qui, si elle était un jour dévoilée, aurait provoqué une scandale sans précédent dans toute l’Europe ?

C’est pour tenter d’éclaircir ce mystère que j’ai décidé de faire des recherches sur Fouquet avant et après son arrestation. En reconstituant autant que possible sa vie, celle de sa famille, et l’appartenance d’une partie de celle-ci à la Compagnie du Saint-Sacrement, à laquelle le surintendant dut d’échapper à la condamnation à mort.

Ce faisant, j’ai relevé des indices qui m’ont paru éclairer d’un jour nouveau l’énigme Fouquet et celle du Masque de fer.


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 Sujet du message : Re: Le masque de fer
Message Publié : 11 Mars 2010 7:20 
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Jean Mabillon
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claude a écrit :
C’est pour tenter d’éclaircir ce mystère que j’ai décidé de faire des recherches sur Fouquet avant et après son arrestation. En reconstituant autant que possible sa vie, celle de sa famille, et l’appartenance d’une partie de celle-ci à la Compagnie du Saint-Sacrement, à laquelle le surintendant dut d’échapper à la condamnation à mort.
Ce faisant, j’ai relevé des indices qui m’ont paru éclairer d’un jour nouveau l’énigme Fouquet et celle du Masque de fer.
Quels sont-ils?


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 Sujet du message : Re: Le masque de fer
Message Publié : 12 Mars 2010 9:25 
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Inscription : 09 Mars 2010 11:27
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L'hypothèse Fouquet est séduisante, elle a été brillamment défendue dans un livre de P.J. Arrèse de 1969, qui n'a pas trop vieilli. En particulier, on n'a aucune preuve formelle de la mort de Fouquet à Pignerol, et la lettre où Saint-Mars l'annonce(rait?) est manquante aux archives, par hasard ou non.

Rappelons la chronologie avérée : à Pignerol en 1680, à la mort (officielle) de Fouquet, ses deux valets, La Rivière et Dauger, sont mis au secret, et ne seront plus jamais nommés ; le nom de La Rivière est toutefois mentionné dans une lettre de Louvois de 1684, et donc l'un des deux est très probablement La Rivière, l'autre est en principe Dauger mais pourrait éventuellement être Fouquet, il n'y a pas d'impossibilité. Appelés « les Deux de la tour d'en bas », ils sont transférés en 1681 à Exilles avec Saint-Mars ; l'un des deux y meurt en 1687, l'autre suit Saint-Mars à Ste-Marguerite en 1687, puis (selon toute probabilité, même s'il y a d'autres prisonniers à Ste-Marguerite, dont Matthioli qui était aussi à Pignerol) à la Bastille en 1698, et y meurt en 1703.
Mais il y a un petit détail qui me semble devoir tuer l'hypothèse Fouquet : c'est une lettre de Louvois à Saint-Mars de 1686, où il écrit « vous auriez dû me nommer quel est celui de vos prisonniers qui est devenu hydropique » ; l'hydropisie, à l'époque, c'est la mort assurée, on le voit dans Le Malade Imaginaire. Peut-on imaginer un Saint-Mars assez borné pour ne pas préciser si c'est Fouquet ou son valet qui va mourir?

De manière générale, la question primordiale est de savoir si le Masque est un prisonnier « de qualité » ou non ; elle devrait être facile à résoudre, tant est grand l'écart qui à Pignerol sépare Fouquet et Lauzun, logés dans des « appartements », bien nourris, traités avec respect, pourvus d'un ou de préférence deux valets, et tous les autres (y compris Matthioli), au cachot dans la  tour d'en bas , nourris « une fois le jour, de quoi vivre toute la journée » (Dauger en 1669), bastonnés s'ils ne se tiennent pas tranquilles.
Or justement, pour le Masque les informations sont contradictoires, et chaque auteur retient ce qui avantage sa thèse : il vit dans un cachot de la tour d'en bas de 1680 à 1681 ; à Exilles, son mobilier est « vieux et rompu » et sera vendu à bas prix ; si La Rivière peut servir de valet avant 1686 (bien qu'aucune lettre n'indique un rapport de domesticité entre les Deux de la tour d'en bas), le Masque est ensuite seul jusqu'à sa mort. Quelle décadence si c'est Fouquet! D'un autre côté, d'après une lettre de 1694, dans son appartement de Ste-Marguerite, il est traité « fort civilement », on lui apporte plusieurs fois par jour « les plats et les assiettes » qui contiennent ses repas ; quelle opulence si c'est Dauger!

Alors le Masque n'est ni de haute ni de basse condition... Ce qui reste, et commence me semble-t-il à devenir l'hypothèse privilégiée (le colloque de Cannes s'avançait timidement sur cette voie, et plusieurs participants au présent forum l'évoquent), c'est bien l'idée du LEURRE.
Dans son livre, Arrèse montre que le budget global dépensé chaque mois est le même pour le Masque que pour Fouquet, et, mieux : la pension que reçoit Saint-Mars, pour la vie de ses prisonniers, est bien supérieure pour Fouquet que pour les autres, et celle-ci n'est pas supprimée à la mort de Fouquet, mais répartie entre les Deux de la tour d'en bas. Il en conclut que Fouquet n'est pas mort... mais n'a-t-il pas plutôt mis le doigt sur le nerf de l'affaire?
La mort de Fouquet, ce sont de gros revenus en moins pour Saint-Mars, peut-être le démantèlement de sa compagnie, il va redevenir un mousquetaire anonyme ; Louvois y pert une partie de l'importance qu'il avait dans le gouvernement, comme garant du non-retour de Fouquet - et puis un ministre n'aime pas voir ses crédits diminuer. Alors, rien de plus facile que de décider que les deux valets en savent trop, et qu'il faut les garder avec autant de précautions – et donc, d'argent – que Fouquet. Les crédits sont maintenus, on en demande même de nouveaux pour aménager Exilles, et tout le monde est content – sauf les deux à qui on ne demande pas leur avis. Plus tard, en particulier après 1687 quand il a d'autres prisonniers pour lesquels il touche beaucoup moins, Saint-Mars en viendra à traiter royalement le survivant, puis à le masquer pour lui – et se - donner de l'importance, et aussi, je pense, pour cacher justement qu'il n'est PAS Fouquet : ainsi Saint-Mars peut-il laisser entendre (peut-être même à Barbezieux s'il n'est pas dans la combine) que son prisonnier est Fouquet toujours vivant ; cela justifie les importants subsides encaissés, c'est bon pour son ego, et sans doute s'était-il attaché à son ancien prisonnier...

Cette hypothèse est la seule à expliquer clairement pourquoi on n'a pas tué le prisonnier et pourquoi on l'a masqué. Elle me déçoit un peu, car elle semble donner raison aux éternels anti-Masque : ces défenseurs du Sérieux de l'Histoire et de la Grandeur du Roi-Soleil auraient voulu que le Masque de Fer n'existe pas, à défaut le « misérable » Dauger, coupable d'on ne sait quel crime mystérieux, leur convient bien. Mais ils auraient tort de se réjouir : d'abord, leur Roi-Soleil s'est fait escroquer dans les grandes largeurs, et c'est plaisant ; ensuite, leur candidat n'est pas forcément le bon. Presque tous les auteurs affirment que c'est La Rivière qui est mort à Exilles, seulement parce qu'il n'a commis aucun crime, même imaginaire, et n'a aucune raison d'être le Masque ; mais dans le contexte d'un leurre, l'anonyme, et totalement innocent, valet professionnel fait aussi bien l'affaire que le plus sulfureux Dauger, et il a exactement autant de chances d'avoir fini à la Bastille.
On pourrait même imaginer que Fouquet est mort à Exilles : Saint-Mars annonce à Louvois qu'il va mourir, celui-ci détruit la lettre et répond par celle évoquée au début, Saint-Mars comprendra que peu importe si Fouquet est mort, on peut continuer avec le survivant ; dans ce cas aussi c'est La Rivière le Masque de Fer.
Mais l'hypothèse la plus simple reste la plus probable, les Deux de la tour d'en bas sont bien La Rivière et Dauger ; il est à peu près prouvé (comme tout le reste, sous réserve d'erreur ou de découverte ultérieure) que le Masque est l'un des Deux de la tour d'en bas, mais pour le moment il n'y a aucun moyen de savoir lequel est mort à Exilles et lequel à la Bastille.
Quant à Matthioli, il y a toutes les raisons de croire qu'il est mort à Ste-Marguerite en 1694, en raison d'une lettre évoquant « le valet du prisonnier qui est mort » ; or, le futur Masque n'a pas de valet, la lettre de 1694 citée plus haut précise bien qu'il empile lui-même ses plats et assiettes ; aucun prisonnier n'a de valet, mais un pauvre hère, arrêté après son maître en 1679, croupit toujours dans une cellule séparée sous l'unique nom de « valet de Matthioli » … et y restera (dans une « prison voûtée ») après la mort de son ex-maître.

En résumé donc, je donne généreusement 5% de chances à Fouquet d'être le Masque, et les 95% restants se partagent également entre Dauger et La Rivière ; pour tous les autres, 0% pointé, aucune autre possibilité ne tient la route, quoiqu'en disent les amateurs de solutions nouvelles. Si c'est La Rivière ou Dauger, le crime qui leur a valu un tel châtiment est seulement d'avoir – peut-être- « connu tous les secrets de M. Fouquet » (on retrouve cette expression concernant le Masque chez un témoin du 18e siècle, je ne sais plus lequel) et d'avoir ainsi justifié le maintien de sa pension...


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