Bonjour,
J’ai lu avec intérêt ce forum. Certains s’y disent convaincus par la thèse du valet de Fouquet, défendue par M. Petitfils. D’autres pensent qu’un aussi petit personnage n’aurait pas justifié autant de précautions (et de dépenses) la part du Pouvoir de l’époque.
C’est la question que se posait déjà Voltaire : « Pourquoi des précautions aussi inouïes pour un confident de M. Fouquet, pour un subalterne ? »
Pour expliquer cette invraisemblance, M. Petitfils pense à une comédie jouée par Saint-Mars aux habitants de l’île dans le but de se donner de l’importance à travers celle de son prisonnier.
Hypothèse ingénieuse, hélas contredite par la correspondance officielle. En arrivant sur l’île avec son prisonnier, Saint-Mars écrit le 3 mai 1687 à Louvois : « Je puis vous assurer, Monseigneur que personne au monde ne l’a vu ». Les fameuses précautions n’étaient donc pas une initiative visant à épater la galerie mais une réponse aux attentes du pouvoir qui craignait que le prisonnier ne soit identifié.
Autre point litigieux, selon moi, dans l’ouvrage de M. Petitfils : dans le cadre d’une enquête qu’il qualifie de « policière », l’auteur regroupe les prisonniers encore sous la garde de Saint-Mars à Pignerol en 1681, parmi lesquels figure celui qui deviendra, six ans plus tard, l’Inconnu de Sainte-Marguerite. La démarche serait excellente si, parmi les éliminés ne figurait pas Fouquet, dont la mort officielle en 1680 n’a rien d’historique, c’est le moins que l’on puisse dire. Rappelons ce qu’en ont dit plusieurs historiens :
– Maurice Duvivier (Le masque de fer, 1932) : « Aucun acte officiel n’a constaté, semble-t-il, la fin du surintendant. Une conclusion est certaine : mort subite. On peut ajouter inattendue. La minutieuse correspondance du donjon ne signale aucune indisposition du prisonnier durant la fin de sa vie. »
– Etienne Huyard (« L’Affaire Fouquet », 1937) : « Le moins que l’on puisse dire est que la mort de Fouquet reste mystérieuse ».
– Voltaire (« Siècle de Louis XIV » ): « On ne sait pas où est mort cet infortuné »
–Jean-Christian Petitfils (« Fouquet », 1998) : « Aucun acte officiel ne vint constater le décès, aucune épitaphe laudative ne vint sceller sa sépulture. Ces silences gênants sont lourds de mystère. Où le surintendant a-t-il rendu le dernier soupir ? Et dans quelles circonstances ? Où fut-il réellement inhumé ? »
Ainsi M. Petitfils tait dans son récent ouvrage ce qu’il soulignait avec force en 1998, à savoir les lourdes incertitudes pesant sur la mort de Fouquet. N’est-il pas troublant qu’il n’existe aucun écrit de Saint-Mars la mentionnant ? D’autre part, des recherches menées à Pignerol et dans l’Eglise de la Visitation à Paris, n’ont pas permis de retrouver son corps. Tout cela devrait rendre prudent et je m’étonne que M. Petitfils élimine le candidat Fouquet d’un trait de plume, sans autre forme de procès.
Un troisième point me paraît fâcheux pour la thèse Danger. j’ai appris sur un autre forum qu, le 12 mars 1680, peu avant la mort officielle de Fouquet, une lettre de Louvois évoquait la mort de l’un de ses valets. Or La Rivière est toujours là et sera même soupçonné par Louvois le 8 avril 1680 de détenir « la plupart des secrets de Fouquet ». Compte tenu des circonstances ténébreuses de la mort de Fouquet, l’idée que la personne décédée en 1680 au donjon de Pignerol soit Danger et non Fouquet ne peut manquer d’effleurer l’esprit.
D’autant que si l’on observe l’original de la lettre de Louvois, ce n’est pas Danger qu’il ordonne de jeter dans la tour avec La Rivière, c’est d’Angers. Or tout le monde sait que Fouquet est d’Angers, par ses origines…
En lisant M. Petitfils, je ne vois aucune allusion à cette lettre du 12 mars. En revanche l’auteur cite des documents comptables qui nous disent que les deux « messieurs de la Tour d’en bas » sont un maître et son valet !
Or trois prisonniers et trois seuls eurent à Pignerol une domesticité : Lauzun qui ne peut pas avoir été le masque de fer parce que libéré en 1681, Matthioli qui ne peut pas avoir été le masque de fer parce que il est établi qu’il est demeuré à Pignerol de 1679 et 1694, et … Fouquet.
Ces documents comptables suffisent à eux seuls à asseoir la thèse Fouquet. J’avoue ne pas comprendre pourquoi l’auteur ne leur accorde d’autre intérêt que pour y relever des variations d’orthographe (« La Tour d’en bas et un valet », « La tour d’aubas et son valet » etc…) et néglige l’essentiel.
J’aimerais savoir ce qu’en pensent les habitués de ce forum.