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Message Publié : 21 Oct 2009 23:22 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

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En effet dans mon dictionaire on dit pour l'équivalent de "gentry": "noblesse terrienne" et je pense qu'en anglais ça doit être "landed gentry".

Il y a quelques jours qu'un contributeur a pointé à ce rôle specifique de ce "gentry" anglais. J'ai pendant trois-quart d'heure cherché pour le retrouver, mais en vain. Je pense que c'était ici parce qu'on avait en même temps un nouveau fil sur "Richelieu". Et on avait déja une réponse avec l'exemple du livre "Richelieu" de Philippe Erlanger. Je me le souviens parce que je voulais utiliser aussi dans ce fil. J'ai aussi cherché au forum Histoire globale dans le fil: "L'ascension de la Grande-Bretagne" mais la recension n'était pas là non plus. Je pense que ce sont les messages qui sont perdus du 17 Octobre.

Enfin, comme le contributeur, je suis de la même opinion: la rôle du "gentry" anglais est important. Pendant mes recherches pourquoi l'Angleterre avait surpassé d'abord la Hollande et puis la France, la rôle différente de cette noblesse terrienne anglaise est une des éléments importants selon moi dans ce processus.

J'ai trouvé deux URL's ce soir qui "étoffent" cette vue:
http://www.slideshare.net/alafito/polit ... capitalism
Le deuxième URL est trop long et compliqué pour écrire. Alors taper en Google: "Aristocracy, patrimonial management strategies and economic developpement" C'est dans la première fenêtre, la deuxième entrée. Il s'agit d'une conférence à Madrid sur ce thème. La contribution sur l'Angleterre est en anglais, celle sur la France est en français.

Je le laisse à demain pour mieux expliquer le contexte.

Peut-être un dernier commentaire sur la rôle spécifique qu'a joué la noblesse terrienne dans l'histoire de France et c'était cette phrase dans le livre d'Erlanger: Richelieu qui en 2002 a déclenché mon intérêt dans l'affaire.

Richelieu Philipe Erlanger 1996
Deuxième Partie: La première victoire: Le mirages de la mer: en partant du page 307:

"il avait tiré en 1626 la Compagnie du Morbihan ou des Cent Associés" Hmm je ne trouve pas le paragraphe que je voulais présenter: le désintérêt de la noblesse foncière envers les choses de la mer. Je chercherai demain plus loin.

Cordialement,

Paul.


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Message Publié : 22 Oct 2009 5:47 
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Jean Mabillon
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Je pense que la principale différence est que la noblesse anglaise s'est investie dans les affaires à partir du moment où son rôle militaire s'évanouissait (comme, grosso modo, toutes les noblesses d'Europe aux XVIIème et XVIIIème) tandis que son homologue française est devenue parasitaire au XVIIIème siècle car refusant de "déroger" et de participer au commerce, ainsi que de payer l'impôt fiscal puisqu'elle ne payait plus l'impôt du sang.


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Message Publié : 10 Nov 2009 23:33 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 21 Sep 2008 23:29
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Enki-Ea a écrit :
Je pense que la principale différence est que la noblesse anglaise s'est investie dans les affaires à partir du moment où son rôle militaire s'évanouissait (comme, grosso modo, toutes les noblesses d'Europe aux XVIIème et XVIIIème) tandis que son homologue française est devenue parasitaire au XVIIIème siècle car refusant de "déroger" et de participer au commerce, ainsi que de payer l'impôt fiscal puisqu'elle ne payait plus l'impôt du sang.


Enki-Ea,

(et j'ai vu le photo de votre avatar dans un livre, ne me demandez pas dans lequel et dans quel contexte)

je ne suis pas oublié ce fil, mais faute de temps...tant de recherches pour des autres fils.

Mais j'ai déja "travaillé" un peu. Ce n'est pas dans le livre d'Erlanger que j'ai trouvé la citation, mais dans le livre "La France de Richelieu" de Michel Carmona. Je l'ai trouvée la citation dans mes notes de "Histoforum" (qui est éteint) 05/07/2006: "Pourquoi l'Amérique du Nord n'est pas Français?" Et j'avais déja utilisé la citation pour le forum histoire du BBC en 2002.

Mais quoi que le rôle de la noblesse terrienne anglaise et française était mentioné je n'ai jamais vu une analyse profonde de la problème des differences.

Par la recherche de la citation j'ai maintenant lu deux livres de nouveau: "Richelieu" de Philllipe Erlanger et "La France de Richelieu" de Michel Carmona. Et parce que j'avais d'abord emprunté de la bibliothèque locale le livre "Richelieu" de Michel Carmona je l'ai lu pour la première fois. Et comme belge j'ai beaucoup appris (comme dans les deux autres) sur l'histoire de France entre Henri IV et Louis XIV.

Aussi par les retrouvailles de mes notes de "histoforum" je pense enfin de contribuer au fil sur ce forum de l'histoire de l'Amérique française.

Cordialement et avec estime,

Paul.


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Message Publié : 11 Nov 2009 2:06 
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Jean Froissart
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Cher Enki-Ea, j'ose un bémol : il ne me semble pas que la noblesse française ait refusé de déroger, mais que cela ne lui ait pas été possible, à peine de perdre sa noblesse, précisément.

J'avoue ne pas retrouver de source précisant les modalités de cette situation sociale qui revenait à confiner la noblesse dans son rôle traditionnel.

Le parasitisme que vous évoquez au XVIIIème semble par ailleurs avoir plutôt été la particularité de la noblesse de cour, portion finalement sans doute réduite de l'ensemble nobiliaire français, dont Jean Favier, dès sa "guerre de cent ans", soulignait le lent et inéluctable appauvrissement.

Je citerai aussi la particularité de la noblesse de Bretagne, qui disposait de la possibilité de se dessaisir temporairement de sa noblesse pour commercer (en déposant ses titres au Parlement de Bretagne) et conservait la possibilité, affaires faites pour le meilleur ou le moins bon, de venir reprendre titres et blasons.
Il me semble que cette faculté étonnante n'a pas eu d'autre exemple.

_________________
"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

Yves Modéran


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Message Publié : 11 Nov 2009 11:09 
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Bonjour Paul et La Saussaye! :P

La Saussaye a écrit :
Cher Enki-Ea, j'ose un bémol : il ne me semble pas que la noblesse française ait refusé de déroger, mais que cela ne lui ait pas été possible, à peine de perdre sa noblesse, précisément.
Hmmm... Je ne suis pas du tout spécialiste de la question mais il m'avait pourtant semblé que le pouvoir royal (Richelieu, Louis XIV...) avait encouragé à plusieurs reprises la noblesse à investir dans le commerce mais que celle-ci le refusait pour des raisons d'honneur.
Je ne sais pas si un intervenant connaissant bien la question pourrait confirmer ou infirmer.

Citer :
Le parasitisme que vous évoquez au XVIIIème semble par ailleurs avoir plutôt été la particularité de la noblesse de cour, portion finalement sans doute réduite de l'ensemble nobiliaire français, dont Jean Favier, dès sa "guerre de cent ans", soulignait le lent et inéluctable appauvrissement.
En fait, j'entendais par "parasitisme" l'absence d'utilité de la noblesse en général, qui ne payait plus l'impôt du sang, ne payait toujours pas l'impôt fiscal et percevait elle-même des impôts. Cela était vrai à la fois pour la noblesse de cour et la noblesse provinciale.


Paul, mon avatar est la Catrina. :wink:

Cordialement à tous deux.


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Message Publié : 11 Nov 2009 12:26 
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Jean Mabillon
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En fait, j'entendais par "parasitisme" l'absence d'utilité de la noblesse en général, qui ne payait plus l'impôt du sang, ne payait toujours pas l'impôt fiscal et percevait elle-même des impôts. Cela était vrai à la fois pour la noblesse de cour et la noblesse provinciale.


Il faudrait nuancer cette affirmation: au XVIIIe, l'armée est toujours le débouché naturel pour la noblesse de province ou de cour, un grand nombre d'officiers sont encore d'origine noble, et des ordonnances interviennent vers la fin du siècle, avec plus ou moins de succès, pour confirmer l'association traditionelle noblesse/haut commandement militaire. Ce qui est nouveau, c'est que des roturiers accèdent aux grades d'officiers en nombre non négligeable même si encore minoritaire (ce qui peut être source d'anoblissement), et donc que l'impôt du sang pèse aussi sur les roturiers. Pour ce qui est de ces différentes ordonnances, on les a déjà évoquées sur d'autres fils.
Ce qu'il faut souligner aussi dans la comparaison avec la noblesse anglaise, c'est l'absence de rôle politique institutionnalisé de la noblesse française. Rien de tel que la chambre des Lords en France à laquelle les membres de la noblesse anglaise appartenaient par droit de naissance et qui resta beaucoup plus puissante que la Chambre des Communes pratiquement jusqu'au XVIIe siècle.

D'autre part, dans la noblesse anglaise, il faut distinguer entre les lords (ou peers = pairs) qui sont ducs, marquis, comtes, vicomtes ou barons, et la gentry, composée de baronnets, squires et gentlemen. Seuls les pairs peuvent siéger à la Chambre des Lords. Noblesse terrienne pour "landed gentry" n'est qu'une traduction littérale qui n'exprime pas une spécificité de la gentry: toute la noblesse était nantie de terres par définition.


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Message Publié : 11 Nov 2009 13:19 
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Tonnerre a écrit :
Il faudrait nuancer cette affirmation: au XVIIIe, l'armée est toujours le débouché naturel pour la noblesse de province ou de cour, un grand nombre d'officiers sont encore d'origine noble, et des ordonnances interviennent vers la fin du siècle, avec plus ou moins de succès, pour confirmer l'association traditionelle noblesse/haut commandement militaire.
Moui mais au XVIIIème (nous ne sommes d'ailleurs pas dans la bonne section de L'Occident moderne), il n'y a plus beaucoup de guerres, celles qui existent sont autant coloniales et maritimes que continentales, elles ne se font de toute façon plus pour la sécurité/survie du royaume, l'artillerie est devenue incontournable (et la cavalerie chère à la noblesse marque le pas)... Bref, la noblesse perd son rôle de bras armé du royaume (rôle pour lequel elle était dispensée de l'impôt fiscal). Cette dichotomie entre impôt du sang qui n'est plus payé et impôt fiscal qui n'est toujours pas payé est d'ailleurs l'une des causes de la Révolution (via la contestation des privilèges) mais ça nous emmenerait trop loin.


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Message Publié : 11 Nov 2009 14:05 
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Moui mais au XVIIIème (nous ne sommes d'ailleurs pas dans la bonne section de L'Occident moderne), il n'y a plus beaucoup de guerres,


Au XVIIIe siècle, la France est presque constamment engagée dans des guerres impliquant les grandes puissances européennes dans un jeu de coalitions complexe. Certaines des batailles les plus célèbres de l'histoire militaire française ont eu lieu au XVIIIe. Pour mémoire:
- guerre de Succession d'Espagne (pour l'installation de la dynastie française sur le trône d'Espagne, 1701 à 1714, batailles de Denain, Malplaquet, siège de Lille)
- guerre de la Quadruple alliance de 1718 à 1720
- guerre de Succession de Pologne (installation de Stanislas Leczinski, beau-père de Louis XV, sur le trône de Pologne) de 1733 à 1738
- guerre de Succession d'Autriche, bataille de Fontenoy, de 1740 à 1748
- et surtout la Guerre de Sept ans, de 1756 à 1763, que certains ont comparé à la PGM pour sa dureté, avec les batailles de Rossbach et de Quiberon.
- la guerre de Corse qui s'est prolongée avec des répits, de 1732 à 1769
- et enfin la guerre d'Indépendance américaine

De quoi occuper largement les officiers, tant nobles que roturiers, comme vous voyez.


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Message Publié : 11 Nov 2009 14:53 
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D'autre part, c'est un stéréotype de l'historiographie progressiste du XIXe siècle que d'affirmer que la noblesse française a été parasitaire parce qu'elle n'a pas assumé de responsabilités économiques, contrairement à la noblesse anglaise qui, elle, se serait adaptée sans états d'âme au capitalisme.
Dans un de ses ouvrages que j'ai déjà cité ailleurs, JM Constant constate que les deux noblesses étaient finalement assez peu différentes, au moins jusque vers le milieu du XVIIe et que la noblesse française ne s'est guère moins engagée dans l'industrie et l'agriculture moderne que son homologue britannique. D'ailleurs, autant que la dérogeance, les protestations de bourgeois peu désireux de se voir concurrencer par de riches nobles dans leur domaine d'activités commerciales a été un frein à cet engagement de la noblesse dans les activités économiques, frein qui ne l'a pas empêchée d'occuper le domaine de la métallurgie et de la verrerie quasiment exclusivement pendant longtemps, ainsi que de jouer un grand rôle dans l'armement de navires et le grand commerce (cf Compagnie des Indes) et de s'intéresser aux méthodes agricoles modernes.

"Rien n'est plus faux. La noblesse française est largement aussi occupée que la noblesse anglaise" écrit Constant à propos de ce stéréotype de l'oisiveté noble;
un auteur anglais, L. Stone, réfute aussi cet autre stéréotype: que la noblesse anglaise était beaucoup plus ouverte que la noblesse française (dans un article des Annales intitulé "La noblesse anglaise, une noblesse ouverte?") Selon Constant et Stone, les taux de renouvellement des deux noblesses étaient proches, et on s'assimilait à la noblesse anglaise de la même façon qu'à la noblesse française: par l'argent et la vie noble essentiellement, et aussi en suivant un certain parcours (fonctions et charges).
Les deux noblesses ont divergé au XVIIe, en ce sens que la noblesse anglais est devenue un groupe ayant une vocation sociale et politique, alors que la noblesse française n'avait qu'un rôle social. A noter que les développement de la Chambre des Communes s'est fait en parallèle avec le développement de la gentry, composée d'individus de familles de petite noblesse mais aussi d' "honorables", c'est à dire des cadets des familles de la noblesse, seul les ainés héritant du titre, de la pairie et de la qualité noble en GB, contrairement à ce qui se passait en France.


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Message Publié : 12 Nov 2009 1:42 
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Tonnerre a écrit :
Au XVIIIe siècle, la France est presque constamment engagée dans des guerres impliquant les grandes puissances européennes dans un jeu de coalitions complexe. Certaines des batailles les plus célèbres de l'histoire militaire française ont eu lieu au XVIIIe. Pour mémoire...
Par XVIIIème siècle, j'entendais à partir de la fin du règne de Louis XIV. C'est la division historiographique traditionnelle, y compris sur ce forum. Donc la Guerre de Succession d'Espagne n'y entre pas. Pour la période qui va de 1715 à la Révolution, les guerres sont beaucoup moins nombreuses qu'au siècle précédent et beaucoup moins "importantes", dans le sens où elles ne mettent plus en jeu la sécurité du royaume ou de l'Etat, définitivement assurée après Louis XIV, qui clôt ainsi une période ayant grosso-modo débuté avec la Guerre de Cent ans.

Les guerres que vous citez sont soit de petites "escarmouches" (Guerre de la Quadruple alliance, Guerre de Succession de Pologne, Guerre de Corse), soit des guerres coloniales (Guerre d'Indépendance américaine, Guerre de Sept ans et de Succession autrichienne sur le continent américain). Les deux grosses guerres du siècle sont la Succession autrichienne et la Guerre de Sept ans. Or aucune des deux ne se mène pour sauvegarder le royaume, pour sauver l'Etat. On se bat pour aider un allié, pour maintenir un équilibre... Quand la France gagne la Succession autrichienne, Louis XV rend tout et accepte même de détruire les fortifications de Dunkerque pour faire plaisir au vaincu ! Bref, on est loin des guerres "nécessaires" pour le royaume, des guerres de défense. On a surnommé les guerres du XVIIIème siècle les "guerres en dentelles", évoquant la frivolité avec laquelle elles étaient – non pas menées, parce qu’une guerre est une guerre-, mais déclarées et conclues.

Et puis, je l’ai écrit dans le message précédent, la guerre elle-même change de nature. Elle devient coloniale et maritime autant que continentale, et les nobles n’y participent pas ou peu. L’artillerie devient l’alpha et l’oméga et il n’y a pas besoin d’être noble pour faire tirer un canon.

Bref, la noblesse a perdu son rôle de gardienne du royaume, rôle qu’elle avait tenu durant un bon millénaire.


Tonnerre a écrit :
D'autre part, c'est un stéréotype de l'historiographie progressiste du XIXe siècle que d'affirmer que la noblesse française a été parasitaire parce qu'elle n'a pas assumé de responsabilités économiques, contrairement à la noblesse anglaise qui, elle, se serait adaptée sans états d'âme au capitalisme.
Dans un de ses ouvrages que j'ai déjà cité ailleurs, JM Constant constate que les deux noblesses étaient finalement assez peu différentes, au moins jusque vers le milieu du XVIIe et que la noblesse française ne s'est guère moins engagée dans l'industrie et l'agriculture moderne que son homologue britannique. D'ailleurs, autant que la dérogeance, les protestations de bourgeois peu désireux de se voir concurrencer par de riches nobles dans leur domaine d'activités commerciales a été un frein à cet engagement de la noblesse dans les activités économiques, frein qui ne l'a pas empêchée d'occuper le domaine de la métallurgie et de la verrerie quasiment exclusivement pendant longtemps, ainsi que de jouer un grand rôle dans l'armement de navires et le grand commerce (cf Compagnie des Indes) et de s'intéresser aux méthodes agricoles modernes.

"Rien n'est plus faux. La noblesse française est largement aussi occupée que la noblesse anglaise" écrit Constant à propos de ce stéréotype de l'oisiveté noble;
un auteur anglais, L. Stone, réfute aussi cet autre stéréotype: que la noblesse anglaise était beaucoup plus ouverte que la noblesse française (dans un article des Annales intitulé "La noblesse anglaise, une noblesse ouverte?") Selon Constant et Stone, les taux de renouvellement des deux noblesses étaient proches, et on s'assimilait à la noblesse anglaise de la même façon qu'à la noblesse française: par l'argent et la vie noble essentiellement, et aussi en suivant un certain parcours (fonctions et charges).
Les deux noblesses ont divergé au XVIIe, en ce sens que la noblesse anglais est devenue un groupe ayant une vocation sociale et politique, alors que la noblesse française n'avait qu'un rôle social. A noter que les développement de la Chambre des Communes s'est fait en parallèle avec le développement de la gentry, composée d'individus de familles de petite noblesse mais aussi d' "honorables", c'est à dire des cadets des familles de la noblesse, seul les ainés héritant du titre, de la pairie et de la qualité noble en GB, contrairement à ce qui se passait en France.

Heu... oui mais nous parlions précisément du XVIIIème siècle, pas du XVIIème. Il n’y a pas de problème de légitimité de l’exemption fiscale noble au XVIIème étant donné que l’aristocratie paye toujours l’impôt du sang à cette époque.
Ceci dit, même au XVIIème, Richelieu a toutes les peines du monde à impliquer la noblesse française dans les compagnies maritimes qu’il souhaite développer, malgré les assurances répétées que l’aristocratie ne dérogerait pas en y investissant.

Et il y a effectivement la dimension politique dont vous parlez.


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Message Publié : 12 Nov 2009 10:30 
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Jean Mabillon
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Les guerres que vous citez sont soit de petites "escarmouches" (Guerre de la Quadruple alliance, Guerre de Succession de Pologne, Guerre de Corse), soit des guerres coloniales (Guerre d'Indépendance américaine, Guerre de Sept ans et de Succession autrichienne sur le continent américain). Les deux grosses guerres du siècle sont la Succession autrichienne et la Guerre de Sept ans. Or aucune des deux ne se mène pour sauvegarder le royaume, pour sauver l'Etat. On se bat pour aider un allié, pour maintenir un équilibre...


Ce que je mettais en évidence n'était pas si ces guerres se menaient pour sauvegarder le royaume, il s'agissait de montrer qu'elles étaient suffisamment nombreuses au XVIIIe pour "occuper" l'armée et la noblesse, ce qui est évidemment le cas. Et l'aide aux alliés, et en particulier le désir de placer un allié sur tel ou tel trône d'Europe relèvait bien d'une préoccupation de sécurité nationale; il fallait maintenir un équilibre des forces favorable à la France et éviter que tel ou tel grand pays d'Europe n'accroisse induement sa puissance et ne prenne la France en tenaille, comme ça a été le cas pour les Habsbourg d'Autriche, et d'ailleurs nombre des guerres de Louis XIV obéissaient à la même logique.
Le stéréotype de la noblesse française oisive et parasitaire est la conséquence directe de la défaite subie par celle-ci lors de la Révolution: comme elle était vaincue, l'historiographie progressiste du XIXe siècle a eu beau jeu de l' accabler de tous les maux. Sa faiblesse essentielle par rapport à la noblesse anglaise n'est pas tant son manque de modernité économique que son manque de pouvoir politique et son échec dans toutes ses tentatives pour se constituer en tant que force politique capable de tenir tête au roi.
La force de la noblesse anglaise par rapport au monarque, qui obligeait celui-ci à la respecter, était qu'elle votait l'impôt, à la Chambre des Lords pour la noblesse, et aux Communes pour la gentry. Elle tenait donc le souverain par la bourse, argument imparable. En France, ce pouvoir avait été abandonné au roi par les états depuis 1439.


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Message Publié : 12 Nov 2009 11:26 
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Jean Mabillon
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Je ne pensais pas en terme d'occupation de la noblesse mais de légitimité de la noblesse. Pourquoi un Beaumarchais par exemple, dans son Mariage de Figaro (donc avant la Révolution, pas après), a-t-il écrit son célèbre vers: Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus ? Qu'est-ce qui a motivé cette perte de légitimité des privilèges de la noblesse alors que ce n'eût pas été le cas un siècle auparavant? C'est en cela que la nature des guerres du XVIIIème siècle me semble être un facteur fondamental, pour toutes les raisons que j'ai données auparavant.

La noblesse se bat beaucoup moins et elle ne se bat plus que dans des "guerres d'opérette", dans le sens où elles n'ont quasiment aucune conséquence sur la France : quand elle gagne, elle n'en retire rien et on peut même dire qu'elle en pâtit (Succession autrichienne, Guerre d'Indépendance américaine); quand elle perd, ses ennemis sont un peu moins bêtes et en profitent, mais cela concerne des territoires lointains qui n'ont pas une place centrale dans la psychée collective (Guerre de Sept ans). L'opinion (qui devient réellement importante à cette époque) ne comprend pas vraiment les guerres où la France est impliquée (voire l'incompréhension totale après la Succession autrichienne) et de moins en moins les privilèges que la noblesse tire de sa participation de plus en plus théorique à celles-ci.

La noblesse oisive n'est pas un stéréotype, c'est une réalité (Bluche donne la date de 1750 environ).


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Message Publié : 12 Nov 2009 11:33 
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Localisation : Lorrain en exil à Paris
Des guerres lointaines et pas menaçantes? Je rappelle tout de même qu'en 1743-44, les armées autrichiennes du prince Charles de Lorraine ravagent l'Alsace pendant 2 étés successifs, menaçant une Lorraine en voie d'intégration au royaume et surtout, si l'Autriche avait été aussi loin que le prévoyait le plan anglais, menaçant l'ensemble du nord du royaume. Tout cela allant jusqu'à forcer le roi à quitter le front des Flandres pour rejoindre dare-dare l'Alsace... et tomber malade en chemin (le fameux épisode de Metz). L'été 1744 fut tout de même celui de tous les dangers pour le royaume de France, ne l'oublions pas, même si au regard de l'ensemble du XVIIIe s. cela ne parait bien entendu qu'un épiphénomène.

_________________
"[Il] conpissa tous mes louviaus"

"Les bijoux du tanuki se balancent
Pourtant il n'y a pas le moindre vent."


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Message Publié : 12 Nov 2009 12:23 
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Jean Mabillon
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Inscription : 04 Juin 2006 12:47
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Localisation : Centre
La non-légitimité de la noblesse est la conséquence directe de son absence de pouvoir politique. Ce n'est pas tant qu'elle ne sert à rien, c'est qu'elle a perdu son prestige parce qu'elle n'a guère de pouvoir par rapport au roi et que toutes ses tentatives pour en acquérir ont échoué. Constant rappelle que c'est la constitution d'un Etat fort et centralisé en France suite entre autres aux menaces militaires qui pesaient sur le pays (menaces dont l'Angleterre était protégée suite à sa situation insulaire) qui expliquent en grande partie les différences entre noblesse française et anglaise.

Bien sûr, d'accord avec Alfred T. : non, les guerres du XVIIe siècle n'étaient pas plus "sérieuses" que celles du XVIIe; la guerre de Sept ans notamment a été très éprouvante et a laissé l'armée française en piteux état.

Citer :
La noblesse oisive n'est pas un stéréotype, c'est une réalité (Bluche donne la date de 1750 environ


J'ai quatre ou cinq ouvrages de Bluche--que j'apprécie beaucoup-- sur la noblesse. Pourriez-vous citer le passage auquel vous faites allusion? Merci.


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Message Publié : 12 Nov 2009 12:31 
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Localisation : Myrelingues la brumeuse
Tonnerre a écrit :
La non-légitimité de la noblesse est la conséquence directe de son absence de pouvoir politique. Ce n'est pas tant qu'elle ne sert à rien, c'est qu'elle a perdu son prestige parce qu'elle n'a guère de pouvoir par rapport au roi et que toutes ses tentatives pour en acquérir ont échoué. Constant rappelle que c'est la constitution d'un Etat fort et centralisé en France suite entre autres aux menaces militaires qui pesaient sur le pays (menaces dont l'Angleterre était protégée suite à sa situation


Pas que ça ! l'histoire d'angleterre est quand même constellée de "capitulations" de la royauté face au pouvoir nobiliaire ou parlementaire ("magna carta", "provisions d'oxford" "déclaration de bréda"). La royauté étant beaucoup plus faible qu'en france, mis à part l'intermède cromwell, elle n'a jamais été remise en question, non plus que l'aristocratie. En outre cette dernière s'étant rendue indépendante financièrement dans le commerce et l'industrie, ne dépendait pas du roi.

_________________
C'est l'ambition qui perd les hommes. Si Napoléon était resté officier d'artillerie, il serait encore sur le trône.

Mr Prudhomme


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