Bonjour,
J'ai effectué dans le cadre de mes études d'histoire à l'université deux ans de recherches dans les archives des colonies sur les flibustiers français de Saint-Domingue entre 1674 et 1697.
Voici quelques ouvrages sérieux sur le sujet :
-CAMUS Michel-Christian, L’île de la Tortue au cœur de la flibuste caraïbe, collection Horizons Amériques Latines, Paris-Montréal, L’Harmattan, 1997.
-BUTEL Paul, Les caraïbes au temps des flibustiers, XVIème-XVIIème siècles, Paris, Aubier Montaigne, 1982.
-MOREAU Jean-Pierre, Pirates, Flibuste et piraterie dans la caraïbe et les mers du Sud (1522-1725), Paris, Tallandier, 2006.
-LANE Kris, Pillaging the Empire: Piracy in the Americas, 1500-1750, London, M.E. Sharpe, 1998.
Il me semble que la meilleure synthèse sur la piraterie, flibuste dans cette ère géographique et à cette époque soit effectivement le dernier ouvrage de Jean-Pierre Moreau (historien et archéologue) qui a fait un travail considérable de croisement de sources (anglaises, espagnoles, françaises) et traite tous les grands aspects de cette thématique.
Il y a plusieurs choses qui me choquent dans cette discussion :
Citer :
Un flibustier est un pirate qui écumait les côtes caraïbes et dévastait les possessions espagnoles en Amérique. Que certains aient, a un moment donné, possédé une lettre de marque de corsaire, c'est sûr, mais c'était loin d'être la généralité.
C'est loin d'être aussi simple que ça, je suis tout à fait d'accord avec Enki-Ea pour la définition. En 1690, Furetière le définit dans son Dictionnaire universel comme «
flibustier c’est le nom que l’on donne aux corsaires ou aventuriers qui courent les mers des Antilles et de l’Amérique, vient de l’anglais flibuster qui veut dire corsaire. »
Si les flibustiers sont souvent confondus avec les pirates (au-delà des simples « clichés » contemporains), c’est qu’il existe une difficulté à définir clairement leur statut, tant au niveau social qu’au niveau politique. Cela laisse planer un certain mystère quant à l’identité de leur communauté. La pauvreté des sources officielles peut difficilement l’éclaircir.
Si l’activité des corsaires était la même que celle des pirates, elle faisait l’objet d’une réglementation sévère que les premiers se devaient de respecter. Les corsaires étaient jugés comme des mercenaires et non des hors-la-loi lors des procès. Lorsqu'ils outrepassaient le cadre fixé par les lois de la nation qui les employait, ils étaient considérés comme pirates et risquaient la mort. Les flibustiers, qui furent les principaux acteurs des phénomènes de course aux Antilles, étaient théoriquement soumis à ces mêmes règles. On ne peut cependant les définir uniquement sur ces mêmes critères et les assimiler à de simples corsaires étant donné la faible autorité et présence dans la Caraïbe, des États auxquels ils s’appartenaient.
En effet, deux nations concurrentes comme l’Espagne et la France pouvaient ne pas envisager de la même manière le statut juridique d’un flibustier. Ainsi, quand une source espagnole parle de piraterie, une autre peut affirmer un statut différent qui d’un point de vue législatif, s’assimile à celui du corsaire. De ce fait, au niveau international une même personne pouvait être flibustier pour la France et pirate pour l’Espagne. D’autre part, les flibustiers eux-mêmes pouvaient s’affranchir des restrictions imposées par leur nation d’origine et être considérés comme pirates ou forbans.
La commission, délivrée en temps de guerre, ou la lettre de marque ou de représailles en temps de paix, qui leur était nécessaire pour partir en course avec un statut légal, est une de ces constantes. Le fait qu’elles ne soient disponibles qu'auprès des gouverneurs des
différentes colonies et plus précisément des gouverneurs français et anglais en est une deuxième constante et supposait une certaine coopération avec ces gouvernements. Pour autant, la nation d’origine n’était pas déterminante: si un flibustier anglais se voyait interdire une commission à la Jamaïque rien ne l’empêchait de tenter sa chance à La Tortue ou à Saint-Domingue selon les époques. De plus l’origine des commissions n’est pas un élément dénué de complexité, certaines d’entre elles étaient sources de conflits concernant les prérogatives des gouverneurs. On vit même Bertrand d’Ogeron gouverneur français des côtes de Saint-Domingue et île de la Tortue distribuer aux flibustiers des commissions d’origine portugaises pour courir sus aux Espagnols. En outre le drapeau qui délivrait la commission n’était pas forcément celui de la nation d’origine du flibustier et souvent un même équipage était composé d’hommes issus de diverses nations. Diego le Mulâtre connu pour sa rage envers les Espagnols était lui-même né à la Havane et aurait habité Séville. Cela ne l’a pas empêché de servir successivement sous le drapeau hollandais puis français. En ce sens les flibustiers étaient aussi mercenaires même si souvent ils dictèrent leurs principes à des gouverneurs et un État qui étaient forcé de s'adapter du fait de leur incapacité à défendre les colonies dans le milieu caribéen.
Si une certaine confusion demeure, nous le répétons, elle est aussi certainement due à des spécificités inhérentes à ce même cadre géographique antillais et aux évènements historiques, à un manque de sources fiables, ainsi qu’à une constante difficulté des autorités à contrôler, maîtriser les flibustiers dans le cadre juridique précédemment défini et à faire en sorte qu’ils ne glissent pas dans la piraterie. Ce fait est perceptible de manière régulière dans les correspondances du fonds des colonies. Le passage dans les mers du Sud d’une grande partie des flibustiers alors que la Métropole durcissait son discours en est l’exemple le plus célèbre.