Chouette, un débat !
Comme je pense que vous n’avez pas totalement lu mes interventions ci-dessus (qui ne sont pas parole d’Évangile, mais qui s’appuient sur des travaux d’historiens), je me permets quelques remarques qui sembleront répéter certains éléments que j’ai déjà écrits.
Jérémy76 a écrit :
La révocation de l'édit, dit de "tolérance"
Attention, l’édit de Nantes est certes un édit de tolérance civile, mais on ne l’a jamais appelé ainsi. L’édit dit « de tolérance » est celui de 1787, par Louis XVI, qui assouplit les conditions de l’édit de révocation.
Jérémy76 a écrit :
est complétement logique dans la mentalité du temps: une seule religion ne peut exister dans le royaume, celui du Prince. Pour comprendre cela on peut aller voir chez nos voisins outre-Rhin: dans les États de l'Empire, on est autorisé être catholique ou protestant que selon la religion de la principauté et de son prince (il y a un prince protestant: tous les sujets doivent être protestants... idem pour les catholiques, il n'y a pas de royaumes mixtes). D'ailleurs, en ce sens, le Royaume de France est une anomalie au XVIIe siècle.
Je suis assez d’accord avec vous sur le fond, même s’il existe d’autres anomalies (Pologne par exemple, mais aussi Angleterre avec une forte minorité catholique et des protestants non conformistes) et au sein de l’Empire même il y a des exceptions (par exemple, le Brandebourg luthérien est dirigé par un Électeur qui depuis 1613 est calviniste).
Par contre, là où votre argument est faible (mais c’est Louis XIV qui a fait l’erreur avant vous !), c’est que vous invoquez ce jus reformandi des princes, sans préciser que dans l’Empire il s’accompagnait d’un jus emigrandi des populations : en interdisant l’exil aux réformés français (sauf les pasteurs), Louis XIV se met en porte à faux avec son propre principe invoqué.
Jérémy76 a écrit :
L’État Protestant dans l’État Français était une menace pour l'autorité royale, et la contre-attaque aboutit par la révocation, mais le départ de cette contre-attaque ne débute qu'avec la répression de Richelieu (La Rochelle, en 1629).
C’est très contestable. S’il peut effectivement y avoir une menace avant 1629 (et encore, comme je l’ai écrit ci-dessus, des historiens comme Jouanna contestent l’idée d’un « État dans l’État), l’édit de Nîmes réduit les protestants français à l’obéissance la plus totale. Ils n’ont pas le choix ! Après 1629, ils n’ont plus aucun moyen d’inquiéter l’autorité royale. Ils ne tiennent plus d’assemblée politique, ils n’ont plus de moyens financiers et militaires autonomes, et même leurs assemblées religieuses nationales, les synodes nationaux, sont de moins en moins souvent convoquées, et quand elles se réunissent elles sont surveillées par des commissaires royaux devant lesquels les députés font preuve d’une allégeance qui flirte souvent avec la flagornerie.
Jérémy76 a écrit :
La révocation de l'édit est très logique, aussi parce que les protestants sont en fait minoritaires dans le royaume... les conséquences économiques ne seront pas aussi désastreuses qu'on le pense, car les négociants protestants sont remplacés par des catholiques sans scrupules...
Là je suis parfaitement d’accord. Les travaux de Warren Scoville et de Myriam Yardeni ont bien montré que l’exil de 200 000 protestants (1% de la population) n’avait pas eu les effets économiques que les contemporains, empreints de colbertisme, avaient imaginés.
Jérémy76 a écrit :
Aussi l'édit de Tolérance n'en n'est pas un: le mot "tolérance" n'y figure pas, et se mot à une connotation négative: tolérer, c'est supporter temporairement un mal, afin de se refaire et de pouvoir le supplanter plus tard. En fait, l'édit de Nantes, dans sa composition et ses articles, reste un simple édit de pacification, comme les précédents (édit d'Amboise, de Beaulieu, etc.). Il donne serte plus de libertés que le précédent, mais c'est une liberté contrôlée: il y a une liste de villes interdites au culte (dont Paris), qui sera ajourné un peu plus tard (on ajoute d'autres villes), et, si je me souviens bien, les lieux où résident la cour du roi.
Là encore, c’est parfaitement exact. L’édit de Nantes n’est pas en lui-même une nouveauté, c’est sa longévité (87 ans) qui en est une.
Jérémy76 a écrit :
Les protestants eux-mêmes étaient opposés à cet édit: leur but n'était pas d'être une minorité tolérée, mais de convertir le royaume entièrement à la Réforme.
Là, par contre, cela mériterait d’être confirmé par les sources. Si dans les années 1560 il peut encore y avoir l’espoir d’une conversion massive, ce n’est plus le cas en 1598 et la conversion du roi en 1593 a bien confirmé la vanité de toute espérance en ce sens.
Jérémy76 a écrit :
Les catholiques étaient formellement contre ceci, les protestants aussi... à qui pouvait-il bien profiter, cet édit? Au roi
En fait, le roi est le seul favorable ostensiblement. En coulisses, malgré leurs oppositions, catholiques et protestants ont également intérêt à la paix, parce qu’ils sont las de la guerre et parce qu’ils trouvent dans le texte de l’édit bien des choses qui leur conviennent. Les catholiques, grâce à l’action des Parlements, obtiennent un rééquilibrage en leur faveur du texte initial (le texte enregistré à Paris en 1599 est celui qui a force de loi, et il est bien plus favorable aux catholiques qu’aux protestants, grâce à cette inflexion faite au texte de départ). L’édit de Nantes est une pacification, une sortie de guerre civile. Ce n’est pas un hasard si les premiers articles organisent l’oubli et l’amnistie des crimes passés.