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Message Publié : 08 Mai 2012 10:00 
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Georges Duby
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On a l'habitude d'entendre louer l'édit de Nantes, sa tolérance envers la religion protestante et son but, mettre fin aux guerres de religion.
Mais cet édit d'Henri IV comporte un autre aspect, il installe en France un pouvoir politique autonome appuyé par l'étranger et qui présente un danger pour la cohésion du royaume.

Wiki: " Si l’Édit de Nantes ramena la paix dans le royaume de France, il eut aussi comme effet de créer un État dans l’État. La menace vis-à-vis du pouvoir royal est bien réelle, et Richelieu entend bien la réduire à néant. Grâce à l’édit d’Henri IV, La Rochelle est devenue un haut lieu de la religion réformée en France. Ce port, dernière place de sûreté des Huguenots, reçoit de mer l’aide des Anglais, prompts à intervenir lorsqu’il s’agit de mettre en péril le pouvoir de leur grand rival. La principale crainte de Richelieu est que cette place forte devienne une sorte de bastion d’où les protestants, aidés financièrement par l’Angleterre, pourraient s’emparer de l’ensemble du territoire. Sa décision est donc prise : il faut prendre sans tarder la Rochelle. "
" La Rochelle est soutenue par l'Angleterre en tant que ville protestante mais aussi pour freiner le développement de la marine française. George Villiers, duc de Buckingham (orthographié en français Bouquinquan), quitte le port de Portsmouth avec 110 vaisseaux et 8000 hommes. "
L'édit de Nantes a t-il présenté un danger aussi grand pour la cohésion du royaume ?
Il semble que le projet anglais était de créer autour de la Rochelle une République autonome protestante sur le modèle de la République des Provinces Unies ?

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Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


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Message Publié : 08 Mai 2012 12:46 
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Philippe de Commines
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Eh bien, les clichés ont la peau dure! On oublie en fait de dire que les premiers bénéficiaires de l'édit de Nantes sont les catholiques, qui se voient restituer tous leurs biens spoliés, tandis que les réformés sont généralement relégués en dehors des murailles des grandes villes. Sur ce point, un article éclairant de Marc Venard a été publié dans le Bulletin de la SHPF en 1998 pour les 400 ans de l'édit. Le catholicisme est confirmé comme religion du roi et l'édit de Nantes n'est pensé par Henri IV que comme une mesure transitoire en attendant que Dieu éclaire les "hérétiques" et les fasse se convertir à la "vraie religion".

Les réformés ne forment pas à proprement parler un Etat dans l'Etat, et Arlette Jouanna a parfaitement montré que les "Provinces-Unies du Midi" sur lesquelles les historiens ont beaucoup glosé, n'avaient pas la structure des Provinces-Unies ex-espagnoles et qu'il n'y avait pas de velléité d'indépendance. Certes, les réformés ont une certaine autonomie financière et militaire (grâce aux places fortes), mais cette autonomie n'est que très fragile, puisqu'elle n'est garantie que par les brevets, qui sont révocables à tout moment. Mais c'est le programme de Richelieu, dans un contexte différent de celui de 1598, qui a donné l'impression aux historiens que l'édit de Nantes avait permis la constitution d'un "Etat dans l'Etat". Mais c'est oublier que la société de la France d'Ancien Régime fonctionne par appartenance à des corps qui ont leurs propres lois (c'est le sens étymologique de "privilèges"). Les privilèges accordés aux réformés sont certes une nouveauté (en fait pas tant que ça en 1598, puisque le premier essai de tolérance civile date de 1562), mais ils ne sont pas une incongruité dans l'univers mental de la France moderne.

Quant à l'accusation de financement par l'étranger, elle n'a de sens que dans le contexte de la fin des guerres de Rohan dans les années 1620, elle n'a rien à voir avec l'édit de Nantes. Au contraire, celui-ci garantit l'indépendance financière des réformés français (car le roi s'engage à les financer par les brevets additifs). C'est la constitution d'un parti nobiliaire autour de Rohan qui a poussé certains d'entre eux à chercher des soutiens à l'étranger. Mais après 1629 (paix d'Alès et édit de Nimes), la soumission des réformés au roi est encore plus forte, puisque le système des places fortes est supprimé. Désormais, les réformés ne doivent leur liberté de culte qu'au bon vouloir du roi (c'était déjà le cas depuis 1598, mais ça l'est encore plus).
Ces accusations traditionnelles recoupent celles de républicanisme qui fleurissent dans la France des années 1650, alors même que les réformés français ont toujours soutenu les anglicans fidèles à Charles Ier contre les puritains et indépendants républicains qui ont soutenu le régicide. Mais la propagande catholique se saisit de l'opportunité et, malgré le mensonge éhonté, l'accusation fait mouche. "Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose".
La fidélité des réformés français, et notamment de leurs pasteurs, a été quasi totale dans le pays jusque dans dans les années 1680, et même complètement totale au nord de la Loire. Mais l'agitation d'un parti nobiliaire autour de Rohan a jeté sur eux le discrédit. Jusqu'à propager aujourd'hui des idées reçues comme celles qui trainent sur Wikipédia. Je vous conseille les travaux pionniers et toujours éclairants de la regrettée Elisabeth Labrousse. Dans un de ses articles (il faudrait que je vérifie la référence exacte, mais je suis sûr de la citation), elle a écrit qu'un huguenot français se sentira toujours plus proche d'un catholique français que d'un réformé étranger.

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Message Publié : 08 Mai 2012 15:22 
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Georges Duby
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Je connais peu le sujet, me doute qu'il est complexe et qu'on surestime la résistance politique des protestants, ce qui m'a surpris est de lire que Buckingham était venu au secours des protestants avec 110 vaisseaux et 8000 hommes, c'est considérable. Est-ce exact ? Là on n'est plus dans les guerres de religion telles qu'on les comprend en France.
Ce qui m'a mis en branle est aussi cette présentation des protestants comme des victimes pacifiques alors que dans l'histoire locale on apprend qu'il arrive que les protestants surgissent dans un pays catholique, tuent, ravagent les édifices religieux, cassent tout dans les églises, voire profanent les lieux avec férocité, y compris à l'autel. Et il ne s'agit pas de légitime défense.

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Message Publié : 08 Mai 2012 16:17 
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Philippe de Commines
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Je crois surtout que la question est mal posée, car ce n'est pas du tout l'édit de Nantes qui facilite les liens avec l'étranger, au contraire.
Maintenant, vous avez raison sur un point, mais vous êtes victime d'anachronismes.
En effet, vous avez raison de pointer du doigt l'image plutôt positive des huguenots dans la mémoire collective, fruit combiné, à mon avis, de la force des historiographes protestants et de l'incompréhension des philosophes des Lumières vis-à-vis de la politique de persécution légale contre les réformés au cours du XVIIe siècle, qui culmine entre 1661 et 1685. Si l'on met dans la balance les drames du XVIIe siècle liés aux affrontements confessionnels, les protestants sont objectivement beaucoup plus souvent les victimes, il suffit pour cela de jeter un oeil dans les arrêts du conseil pour voir le matraquage dont ils sont l'objet. Par contre, vous avez raison de souligner qu'auparavant, au temps des guerres de Religion, catholiques et réformés se sont rendus coupables de crimes atroces, sans doute comparables. Dans ce domaine, l'image de victimes des réformés vient sans doute du fait que la plupart du temps le pouvoir royal était contre eux et qu'ils ont subi le plus grand massacre, celui de la Saint-Barthélemy, qu'ils ont réussi à instrumentaliser afin de se forger cette image de victime. Mais dans certaines zones majoritairement protestantes, la mémoire des massacres de catholiques est restée vive, par exemple à Nîmes (cf la Michelade en 1567).
Par contre, la violence contre les lieux de culte relève d'une autre logique. L'iconoclasme, étudié notamment dans le champ francophone par Olivier Christin, est autre chose que de la violence gratuite. C'est de la violence symbolique, mais dont le sens est très fort. Il s'agit de "purifier" les lieux de culte, "pollués" par "l'idolâtrie". Les attaques d'autel sont en cela tout à fait compréhensibles: pour eux, l'autel est le symbole du sacrifice de la messe, qui est à leur avis un dévoiement du message christique.

Là où vous êtes victime de l'anachronisme, c'est que vous tombez dans le piège tendu par la propagande catholique sur les liens du protestantisme avec l'étranger. En effet, nous sommes à une période décisive dans la construction d'une identité nationale, et il est aisé de pointer du doigt des intelligences avec un "ennemi" étranger. Mais dans ce cas, puisque vous êtes visiblement très soucieux de l'objectivité de la comparaison (et c'est à votre honneur), il faut aussi insister sur les liens entre les catholiques et Rome et sur ceux entre les héritiers intellectuels de la Ligue et l'Espagne. Chacun des deux camps confessionnels a fait appel à un moment donné à une aide étrangère, mais c'est aussi là que se situe l'erreur: c'est nettement moins par solidarité confessionnelle que par l'appartenance à des réseaux nobiliaires que ces tractations étaient rendues possibles.
En réalité, l'édit de Nantes a été une construction qui n'est toujours pas bien comprise, parce que notre univers mental a beaucoup changé. En tout cas, il vise à garantir la liberté de conscience des sujets, précisément pour éviter qu'ils ne soient influencés par l'étranger.

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Message Publié : 09 Mai 2012 10:29 
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Polybe
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La révocation de l'édit, dit de "tolérance", est complétement logique dans la mentalité du temps: une seule religion ne peut exister dans le royaume, celui du Prince. Pour comprendre cela on peut aller voir chez nos voisins outre-Rhin: dans les États de l'Empire, on est autorisé être catholique ou protestant que selon la religion de la principauté et de son prince (il y a un prince protestant: tous les sujets doivent être protestants... idem pour les catholiques, il n'y a pas de royaumes mixtes). D'ailleurs, en ce sens, le Royaume de France est une anomalie au XVIIe siècle. L’État Protestant dans l’État Français était une menace pour l'autorité royale, et la contre-attaque aboutit par la révocation, mais le départ de cette contre-attaque ne débute qu'avec la répression de Richelieu (La Rochelle, en 1629). Il s'agit au départ de mettre fin à une opposition politique, faire plaisir au pape n'est que secondaire pour Louis XIV, qui de toute façon n'est pas vraiment attaché au soutient de Rome (comme le démontre les conflits gallicans: le conflit des régales, fait que Louis remette en application la Pragmatique Sanction, qui fait du roi le véritable chef de l’Église de France, tout en reconnaissant l'évêque de Rome).

La révocation de l'édit est très logique, aussi parce que les protestants sont en fait minoritaires dans le royaume... les conséquences économiques ne seront pas aussi désastreuses qu'on le pense, car les négociants protestants sont remplacés par des catholiques sans scrupules... Aussi l'édit de Tolérance n'en n'est pas un: le mot "tolérance" n'y figure pas, et se mot à une connotation négative: tolérer, c'est supporter temporairement un mal, afin de se refaire et de pouvoir le supplanter plus tard. En fait, l'édit de Nantes, dans sa composition et ses articles, reste un simple édit de pacification, comme les précédents (édit d'Amboise, de Beaulieu, etc.). Il donne serte plus de libertés que le précédent, mais c'est une liberté contrôlée: il y a une liste de villes interdites au culte (dont Paris), qui sera ajourné un peu plus tard (on ajoute d'autres villes), et, si je me souviens bien, les lieux où résident la cour du roi.

Les protestants eux-même étaient opposés à cet édit: leur but n'était pas d'être une minorité tolérée, mais de convertir le royaume entièrement à la Réforme. Les catholiques étaient formellement contre ceci, les protestants aussi... à qui pouvait-il bien profiter, cet édit? Au roi: en 1598, la France est dévastée par les guerres de Religion. La noblesse est décimée (duels sanglants entre l'entourage d'Henri III et Monsieur, assassinats d'autres seigneurs importants, l’assassinat d'Henri Guise ne met pas fin à la maison, mais calme les prétentions des Guise...) les multiples massacres (protestants et catholiques)... Économiquement, ces guerres ont endettés le royaume, et cette dette, dont hérite Henri IV, est très grave (il résout le problème avec Sully), etc. Il fallait absolument rétablir la paix dans le royaume, la "tolérance" est le seul moyen de mettre fin aux guerres civils. Cependant le conflit religieux reste présent, et les deux confessions veulent supprimer l'autre. Ce qui se ressent sur la politique. Les protestants jouent la carte de l'autonomie. Mais en période de renforcement de l'autorité monarchique, ils s'attirent les foudres de Richelieu, et Louis XIV, par son édit, ne fait qu’entériner la politique de Louis XIII. Il y a une forte émigration, mais la crise qui s'en suit n'est pas vraiment lié à leur départ, mais surtout à la conjoncture économique très favorable aux Anglais et aux Néerlandais, et défavorable aux Français.


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Message Publié : 09 Mai 2012 12:42 
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Philippe de Commines
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Chouette, un débat ! :wink: Comme je pense que vous n’avez pas totalement lu mes interventions ci-dessus (qui ne sont pas parole d’Évangile, mais qui s’appuient sur des travaux d’historiens), je me permets quelques remarques qui sembleront répéter certains éléments que j’ai déjà écrits.

Jérémy76 a écrit :
La révocation de l'édit, dit de "tolérance"


Attention, l’édit de Nantes est certes un édit de tolérance civile, mais on ne l’a jamais appelé ainsi. L’édit dit « de tolérance » est celui de 1787, par Louis XVI, qui assouplit les conditions de l’édit de révocation.

Jérémy76 a écrit :
est complétement logique dans la mentalité du temps: une seule religion ne peut exister dans le royaume, celui du Prince. Pour comprendre cela on peut aller voir chez nos voisins outre-Rhin: dans les États de l'Empire, on est autorisé être catholique ou protestant que selon la religion de la principauté et de son prince (il y a un prince protestant: tous les sujets doivent être protestants... idem pour les catholiques, il n'y a pas de royaumes mixtes). D'ailleurs, en ce sens, le Royaume de France est une anomalie au XVIIe siècle.


Je suis assez d’accord avec vous sur le fond, même s’il existe d’autres anomalies (Pologne par exemple, mais aussi Angleterre avec une forte minorité catholique et des protestants non conformistes) et au sein de l’Empire même il y a des exceptions (par exemple, le Brandebourg luthérien est dirigé par un Électeur qui depuis 1613 est calviniste).
Par contre, là où votre argument est faible (mais c’est Louis XIV qui a fait l’erreur avant vous !), c’est que vous invoquez ce jus reformandi des princes, sans préciser que dans l’Empire il s’accompagnait d’un jus emigrandi des populations : en interdisant l’exil aux réformés français (sauf les pasteurs), Louis XIV se met en porte à faux avec son propre principe invoqué.

Jérémy76 a écrit :
L’État Protestant dans l’État Français était une menace pour l'autorité royale, et la contre-attaque aboutit par la révocation, mais le départ de cette contre-attaque ne débute qu'avec la répression de Richelieu (La Rochelle, en 1629).


C’est très contestable. S’il peut effectivement y avoir une menace avant 1629 (et encore, comme je l’ai écrit ci-dessus, des historiens comme Jouanna contestent l’idée d’un « État dans l’État), l’édit de Nîmes réduit les protestants français à l’obéissance la plus totale. Ils n’ont pas le choix ! Après 1629, ils n’ont plus aucun moyen d’inquiéter l’autorité royale. Ils ne tiennent plus d’assemblée politique, ils n’ont plus de moyens financiers et militaires autonomes, et même leurs assemblées religieuses nationales, les synodes nationaux, sont de moins en moins souvent convoquées, et quand elles se réunissent elles sont surveillées par des commissaires royaux devant lesquels les députés font preuve d’une allégeance qui flirte souvent avec la flagornerie.

Jérémy76 a écrit :
La révocation de l'édit est très logique, aussi parce que les protestants sont en fait minoritaires dans le royaume... les conséquences économiques ne seront pas aussi désastreuses qu'on le pense, car les négociants protestants sont remplacés par des catholiques sans scrupules...


Là je suis parfaitement d’accord. Les travaux de Warren Scoville et de Myriam Yardeni ont bien montré que l’exil de 200 000 protestants (1% de la population) n’avait pas eu les effets économiques que les contemporains, empreints de colbertisme, avaient imaginés.

Jérémy76 a écrit :
Aussi l'édit de Tolérance n'en n'est pas un: le mot "tolérance" n'y figure pas, et se mot à une connotation négative: tolérer, c'est supporter temporairement un mal, afin de se refaire et de pouvoir le supplanter plus tard. En fait, l'édit de Nantes, dans sa composition et ses articles, reste un simple édit de pacification, comme les précédents (édit d'Amboise, de Beaulieu, etc.). Il donne serte plus de libertés que le précédent, mais c'est une liberté contrôlée: il y a une liste de villes interdites au culte (dont Paris), qui sera ajourné un peu plus tard (on ajoute d'autres villes), et, si je me souviens bien, les lieux où résident la cour du roi.


Là encore, c’est parfaitement exact. L’édit de Nantes n’est pas en lui-même une nouveauté, c’est sa longévité (87 ans) qui en est une.

Jérémy76 a écrit :
Les protestants eux-mêmes étaient opposés à cet édit: leur but n'était pas d'être une minorité tolérée, mais de convertir le royaume entièrement à la Réforme.


Là, par contre, cela mériterait d’être confirmé par les sources. Si dans les années 1560 il peut encore y avoir l’espoir d’une conversion massive, ce n’est plus le cas en 1598 et la conversion du roi en 1593 a bien confirmé la vanité de toute espérance en ce sens.

Jérémy76 a écrit :
Les catholiques étaient formellement contre ceci, les protestants aussi... à qui pouvait-il bien profiter, cet édit? Au roi


En fait, le roi est le seul favorable ostensiblement. En coulisses, malgré leurs oppositions, catholiques et protestants ont également intérêt à la paix, parce qu’ils sont las de la guerre et parce qu’ils trouvent dans le texte de l’édit bien des choses qui leur conviennent. Les catholiques, grâce à l’action des Parlements, obtiennent un rééquilibrage en leur faveur du texte initial (le texte enregistré à Paris en 1599 est celui qui a force de loi, et il est bien plus favorable aux catholiques qu’aux protestants, grâce à cette inflexion faite au texte de départ). L’édit de Nantes est une pacification, une sortie de guerre civile. Ce n’est pas un hasard si les premiers articles organisent l’oubli et l’amnistie des crimes passés.

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Message Publié : 09 Mai 2012 20:53 
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Jean-Claude a écrit :
Chouette, un débat ! :wink: Comme je pense que vous n’avez pas totalement lu mes interventions ci-dessus (qui ne sont pas parole d’Évangile, mais qui s’appuient sur des travaux d’historiens), je me permets quelques remarques qui sembleront répéter certains éléments que j’ai déjà écrits.


Je suis assez d’accord avec vous sur le fond, même s’il existe d’autres anomalies (Pologne par exemple, mais aussi Angleterre avec une forte minorité catholique et des protestants non conformistes) et au sein de l’Empire même il y a des exceptions (par exemple, le Brandebourg luthérien est dirigé par un Électeur qui depuis 1613 est calviniste).
Par contre, là où votre argument est faible (mais c’est Louis XIV qui a fait l’erreur avant vous !), c’est que vous invoquez ce jus reformandi des princes, sans préciser que dans l’Empire il s’accompagnait d’un jus emigrandi des populations : en interdisant l’exil aux réformés français (sauf les pasteurs), Louis XIV se met en porte à faux avec son propre principe invoqué.

[...]

C’est très contestable. S’il peut effectivement y avoir une menace avant 1629 (et encore, comme je l’ai écrit ci-dessus, des historiens comme Jouanna contestent l’idée d’un « État dans l’État), l’édit de Nîmes réduit les protestants français à l’obéissance la plus totale. Ils n’ont pas le choix ! Après 1629, ils n’ont plus aucun moyen d’inquiéter l’autorité royale. Ils ne tiennent plus d’assemblée politique, ils n’ont plus de moyens financiers et militaires autonomes, et même leurs assemblées religieuses nationales, les synodes nationaux, sont de moins en moins souvent convoquées, et quand elles se réunissent elles sont surveillées par des commissaires royaux devant lesquels les députés font preuve d’une allégeance qui flirte souvent avec la flagornerie.



Pour l'Angleterre, les catholiques sont serte encore présents, mais on fait tout pour leur faire comprendre que "ce n'est pas bien": on leur retire tous leurs droits (il faut attendre le début du XXè siècle pour la fin définitive de la discrimination contre la minorité catholique). La Pologne est un cas exceptionnel. Les Juifs y sont accueillis à bras ouverts par le roi (Casimir III, 1303-1370), les protestants sont très nombreux (la noblesse comporte presque la moitié de protestants !), et les orthodoxes sont assez nombreux (la Pologne de l'époque possède la Belaruss actuelle, l'Ukraine occidentale, et une partie de la Russie occidentale, Smolensk est une ville polonaise). Là-bas les catholiques ne sont que, environ, 40% de la population au 16e siècle (pour la digression, le public s'en étonne, alors qu'elle sait qu'aujourd'hui c'est le pays le plus catholique d'Europe). La Pologne reste un cas à part, je pense en raison de sa culture. Mais je n'en sais pas plus (j'ai deux livres sur l'histoire de la Pologne... mais je n'ai pas eu le temps de les lires :oops: ). Tout ça pour dire que l'Angleterre est un argument très solide, d'autant plus que les anglais se cassent les dents sur le rocher catholique qu'est l'Irlande. Il y a des protestants qui pénètrent sur l'île (on fait venir des écossais sur la partie nord de l'île), les Anglais essaient de mettre fin à la prédominance catholique... sans y réussir (les Irlandais jouent la carte de l'alliance espagnole, sous le règne d'Elisabeth 1re). Lorsqu'il devient évident que la présence catholique restera irréductible, les Anglais s'en accommodent serte, mais on discrimine la minorité catholique.

Concernant le deuxième point, je pense que si le danger de l'Etat dans l'Etat est écarté depuis la Rochelle, je pense que si Louis XIV veut se débarrasser des protestants, c'est quand même par leur dangerosité politique. À l'époque, le fait d'appartenir à une religion autre que celle du prince c'est considérer comme une opposition politique. Le roi l'est par la grâce de Dieu, les catholiques maintiennent l'idée de la sacralité du roi par l'onction du sacre. Les protestants de France ne suivent pas la dite logique. Au XVIè siècle on trouve des auteur monarchomaques. Pour la première fois, des hommes se sont attaqués au roi et à l'essence même de son pouvoir: le Roi de France est l'instigateur de la saint Barthélimy, il s'est souillé, il s'est compromis comme le suppôt de Satan. Si cette mémoire de ce massacre reste ancrée dans la "huguenote", l'image du roi reste une figure obscure, qui complote contre la "véritable Église". Ainsi, même si elle est minoritaire, cette communauté protestante est très gênante, elle pourrait faire répandre des idées qui pourraient lui coûter très chère: un roi a déjà était tué ainsi, Henri III. À son époque, les idées virulentes d'une minorité des huguenots, deviennent celle des ultra-catholiques et des guisards, alliés dans la Ligue Catholique. Et c'est un moine, abreuvé par les serments véhéments des prédicateurs ligueures, qui tua un roi de France (le premier régicide depuis les mérovingiens).

Cependant, le volet politique de la révocation n'est certainement pas le seul qui fait poids. Il faudrait peut-mettre ceci en lien avec le litige entre Louis XIV et Innocent XI. En 1682, le roi dépoussière la Pragmatique Sanction de Bourges avec la déclaration des quatre articles, texte qui fait quasiment du roi un chef de l’Église de France (tout en reconnaissant le pape) et mettant en place les libertés gallicanes. Le conflit gallican est très complexe (et il se joue sur plusieurs échelles), je ne le détaillerai pas, mais on pourrait penser que la révocation de l'édit de Nantes soit une soupape de sécurité, on lâche la pression avec Rome (je rappel que les papes ont tous étaient contre la politique "clémente" des derniers Valois et d'Henri IV envers les réformés). Les Quatre Articles pouvaient constitué un cas de schisme... Louis XIV ne veut pas de ceci, bien qu'il ne cache pas que le pape "l'enquiquine" dans la gestion du Royaume. Mais il ne veut pas coupé les ponts, alors que, dans un processus vaguement similaire, Henri VIII (en fait ses conseillers, dont Cramner et Cromwell) a coupé les ponts avec Rome définitivement.


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Message Publié : 12 Mai 2012 10:12 
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Jérémy76 a écrit :
Pour l'Angleterre, les catholiques sont serte encore présents, mais on fait tout pour leur faire comprendre que "ce n'est pas bien": on leur retire tous leurs droits (il faut attendre le début du XXè siècle pour la fin définitive de la discrimination contre la minorité catholique).


Je ne vois pas bien ce qui change de la situation française: ce que je disais dans mon message précédent, c'était juste que la situation cujus regio, ejus religio était très loin d'être la norme à l'échelle européenne (et je ne suis pas rentré dans les détails, car il y a aussi un pluralisme confessionnel impressionnant aux Provinces-Unies). Malgré tout, le roi de France est le seul à avoir pris la décision de la répression totale.

Jérémy76 a écrit :
À l'époque, le fait d'appartenir à une religion autre que celle du prince c'est considérer comme une opposition politique. Le roi l'est par la grâce de Dieu, les catholiques maintiennent l'idée de la sacralité du roi par l'onction du sacre. Les protestants de France ne suivent pas la dite logique.


C'est totalement faux. Les théologiens réformés français (les pasteurs les plus influents) multiplient les publications de traités et de sermons rappelant que le roi, bien que catholique, est le lieutenant de Dieu sur terre et qu'il a droit au respect en cette qualité. Même si les réformés contestent certains aspects du sacre (notamment le serment contre l'hérésie), ils n'en nient pas pour autant toute la légitimité (certains trouvent cela d'ailleurs assez fascinants, car c'est une cérémonie théoriquement inspirée de l'Ancien Testament, et les réformés sont férus de ces références vétérotestamentaires).

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