Que penser du nouveau livre de Jean-Paul Bertaut ?
"En accédant au pouvoir en 1799, Napoléon se veut le continuateur du Nouveau Régime, l'héritier des grandes valeurs de la Révolution et des Lumières. Il met en place un régime dictatorial, mais devant assurer le retour à l'ordre, la sécurité et la prospérité. Qu'en fut-il ? Quelle fut l'adhésion de l'opinion à ce nouveau régime et à cet Empereur paradoxal qui confisque les libertés, mais s'intéresse au progrès de la science et de la santé pour les Français ? La méritocratie impériale fut-elle un mythe ? L'Empire fut-il finalement monopolisé par la guerre ? Quel rôle Napoléon a-t-il eu personnellement dans tout cela ? Jean-Paul Bertaud nous apporte des réponses dans ce nouvel ouvrage de référence, fruit d'un méticuleux travail de recherche et d'une prise en compte des nouvelles orientations de l'historiographie. Un auteur reconnu,... Napoléon et les Français est le tout dernier ouvrage que nous propose le désormais célèbre Jean-Paul Bertaud, historien reconnu, professeur émérite à la Sorbonne (Paris I) et auteur d'une vingtaine d'ouvrages sur la Révolution et le Premier Empire. Dans ce nouveau livre, Jean-Paul Bertaud ne cherche pas à nous refaire l'histoire diplomatique et militaire du Premier Empire, ni même suivre les aventures épiques des Grognards de l'épopée. Non, bien que ces derniers fassent partie de son étude, celle-ci se veut beaucoup plus vaste puisqu'elle traite de façon très large du rapport des Français à leur souverain et à son régime. Il y a déjà quelques années, Jean Tulard avait écrit un livre (1978) dans une optique similaire, Jean-Paul Bertaud renouvelle l'historiographie sur le sujet en faisant dialoguer les études classiques et les acquis les plus récents de la recherche historique avec des sources parfois encore inédites. ...pour une synthèse de grande qualité
Ce livre s'attarde sur tout ce qui faisait le quotidien des Français (« de souche » et naturalisés suite aux conquêtes récentes) quelle que soit leur position sociale. À travers eux, c'est finalement tout le système politique napoléonien qui apparait avec ses aspects autoritaires aux multiples facettes. La première partie de l'ouvrage est consacrée au caractère autoritaire du régime, avec le déni de démocratie, la surveillance policière, le culte de l'Empereur... Mais aussi d'un autre côté la tolérance religieuse, la lutte contre le brigandage, le retour de la paix civil...Autrement dit un régime napoléonien qui préfère l'ordre à la liberté. La seconde partie de ce livre s'attarde plus particulièrement à l'interrelation permanente entre le régime napoléonien, la guerre et l'armée. Jean-Paul Bertaud s'attarde sur la diplomatie impériale face à l'Europe des rois, mais il s'attache aussi à présenter l'armée, un sujet qu'il maitrise parfaitement. Sur ce thème, l'auteur nous présente le recrutement, l'apprentissage du métier des armes, le mythe du bâton de maréchal dans la giberne, les insuffisances de la Marine, et il aborde aussi un élément important dans l'histoire culturelle : le rôle de l'armée impériale comme outil d'intégration nationale et de francisation. Enfin, les campagnes de 1803 à 1815 sont bien entendu évoquées (d'ailleurs, un corpus de cartes permet de suivre aisément), mais pas dans l'objectif de faire une histoire bataille, bien au contraire. Si Jean-Paul Bertaud aborde évidemment des sujets des plus classiques comme la Garde Impériale ou les différentes campagnes, il interroge également les sources sur des questions plus actuelles de l'historiographie par exemple la question de la naissance de la guerre totale. Enfin, la troisième et dernière partie de cet ouvrage est consacrée à ce que Jean-Paul Bertaud a appelé « la société des héritiers ». Dans cette partie l'historien étudie la gestion de la population sous l'Empire, avec notamment une prise en charge de la santé publique de plus en plus sérieuse et une lutte contre les différents risques récurrents au XIXe siècle : épidémies, incendies... Qui aboutissent à un très net recul de la mortalité. Pour ces « héritiers », beaucoup de choses dépendent de la façon dont l'Empire va gérer la question de la propriété et va réussir à atteindre la prospérité. L'auteur s'attarde alors à cette question de la propriété dans le Code civil (qui est aussi étudié pour la question du droit des femmes ou des ouvriers), à la croissance économique, au libéralisme tempéré de Napoléon, à l'interventionnisme d'État lors des crises, au rôle positif de la guerre sur l'économie, mais aussi aux freins à la prospérité, avec notamment le blocus continental... Agriculture, industrie, commerce national, grand commerce atlantique et international, tout est passé au peigne fin. Vient ensuite l'étude des notables (civils et militaires) et de la noblesse d'Empire, dans toute leur diversité. Là encore, l'historien sort des sentiers battus et aborde la question en reprenant des thèmes très actualisés de l'histoire sociale, notamment le rôle de la famille ou la question de la reproduction sociale. Enfin, l'ouvrage s'achève sur la masse des « croquants, bras nus et miséreux », où l'on découvre les difficultés des travailleurs des villes, mais aussi d'un monde paysan paupérisé et manquant de main d'œuvre. Une misère que l'État cherche à contrôler. ...qui a tout pour devenir la nouvelle référence !
Cet ouvrage historique, très documenté et s'appuyant sur des sources riches, tend à renouveler notre approche de la société française sous Napoléon. Le Premier Empire y apparait tout en nuance, avec ses avancées, ses garanties, sa sécurité, son retour à l'ordre, son calme relatif après la tourmente révolutionnaire, mais aussi avec ses désillusions en termes d'ascension sociale, son système répressif, ses problèmes économiques... La question de l'adhésion des Français au régime et à Napoléon se pose bien évidemment, et la réponse bien entendu ne peut pas être unique, elle évolue au gré du temps, du sort des armes et varie aussi selon la position sociale et la situation économique des intéressés. Ce discours nuancé, argumenté, et justifié par les sources renvoie dos à dos (ou donne du grain à moudre...) hagiographes et détracteurs de Napoléon. Peu à peu se dessinent les contours d'un Empire entrainé par la guerre, qui lui consacre tout au détriment de la philanthropie et d'une main-d'œuvre de plus en plus rare. Une guerre qui rapidement remet en cause ce qui avait justifié l'aliénation de la liberté : le retour à l'ordre et à la sécurité. Une guerre quasi continue qui caractérise Napoléon, mais dont il n'est pas pour autant l'unique responsable. Jean-Paul Bertaud nous offre une histoire du Premier Empire en parfaite adéquation avec les tendances actuelles de l'historiographie : histoire totale, histoire sociale, histoire culturelle, micro histoire, histoire des femmes et des classes « soumises », expliquant la société sans recourt simpliste au structuralisme, il remet les individus et les événements à l'honneur et éclaire d'un jour nouveau notre perception de la société impériale.
Cet ouvrage de référence devrait trouver un très large public, tant chez les étudiants et chercheurs qu'au sein de l'immense phalange des passionnés de Napoléon.
BERTAUD Jean-Paul, Napoléon et les Français, Armand Colin, 2014."
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