A l'heure où certains fêtent l'anniversaire de la victoire d'Arcole, on voit la version donnée par Napoléon à Sainte-Hélène (et relayée par une très nombreuse iconographie) fleurir ici et là.
« Mais ce pont d'Arcole, par sa situation , résistait à toutes nos attaques. Napoléon essaya un dernier effort de sa personne : il saisit un drapeau, s'élança vers le pont, et l'y plaça. La colonne qu'il conduisait l'avait à moitié franchi, lorsque le feu de flanc fit manquer l'attaque. »
(Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène)
Il n'est pas question ici de nier le courage dont fit indéniablement preuve Bonaparte ce jour-là, mais seulement de s'interroger sur la supposée position du général en chef de l'armée d'Italie sur ce fameux pont. Certains témoins, en effet, avancent au contraire que le pont ne fut pas atteint.
Comme ce fil est consacré à Estienne, voici la version qu'il donna.
« Ce fut dans ces moments la que le général en chef Bonaparte vin prendre le meme drapeau et qui vin le planter environ dix pas plus louin. Il y avait encore cinquante-cinq pas environ pour arrivair sur le pont d’Arcole. » (André Estienne, cahier A)
« C’est dans ce moment que Bonaparte etant a cheval pris le même drapeaux et put le porter a dix pas plus loing. Il y avait encore, par conséquance 55 pas du drapeaux au pont d’Arcole. » (André Estienne, cahier
De la même manière, on peut se référer au rapport rédigé par Berthier le 19 novembre 1796 (et retranscrit ensuite dans le Moniteur du 3 décembre) :
« Le général en chef se porta, avec tout son état-major, à la tête de la division d'Augereau ; il rappela à nos frères d'armes qu'ils étaient les mêmes qui avaient forcé le pont de Lody. Il crut s'apercevoir d'un mouvement d'enthousiasme et voulut en profiter. Il se jette à bas de son cheval, saisit un drapeau, s'élance à la tête des grenadiers et court sur le pont en criant : Suivez votre général. La colonne s'ébranle un instant, et l'on était à trente pas du pont, lorsque le feu terrible de l'ennemi frappa la colonne, la fit reculer au moment même où l'ennemi allait prendre la fuite. »
« Le général, instruit de cet échec, se porta à cette division avec son état-major, et y vint renouveler la tentative d’Augereau, en se plaçant à la tête de la colonne pour l’encourager : il saisit un drapeau, et, cette fois, la colonne s’ébranla à sa suite ; arrivés à deux cent pas du pont, nous allions probablement le franchir, malgré le feu meurtrier de l’ennemi, lorsqu’un officier d’infanterie, saisissant le général en chef par le corps, lui dit : « mon général, vous allez vous faire tué, et si vous êtes tué, nous sommes perdus ; vous n’irez pas plus loin, cette place-ci n’est pas la vôtre. »
[…]
Quand la tête d'une colonne est si près de l'ennemi et ne marche pas en avant, ele recule bientôt : il faut absolument qu'elle soit en mouvement ; aussi rétrograda-t-elle, se jeta sur le revers de la digue pour être garantie du feu de l'ennemi, et se replia en désordre. »
(Marmont, Mémoires)