Bonjour,
Je ne suis pas vraiment « impartial » et assurément encore moins sur ce sempiternel sujet du « génocide vendéen dans les forums de discussion » (les guillemets faisant office de pincettes)
Je ne fais donc que passer, et seulement parce que Crillon a raison de demander des références.
J’en ai choisi une parmi d’autres ; il s’agit ici de Jean-Clément Martin, spécialiste des guerres de Vendée et de la Révolution, historien de grande qualité, reconnu et respecté.
Le passage est un peu long, je le cite in extenso depuis « La Vendée et la France », 1987, au Seuil.
Puisse-t-il éclairer ceux qui connaissent mal le sujet et en freiner d’autres qui, ici ou ailleurs, aiment à en profiter.
Cordialement,
Ph. Royet.
La Vendée et la Révolution
« La compréhension de ces chiffres ne peut pas pourtant s'arrêter à ce bilan comptable, elle doit s'accompagner d'une interprétation de la guerre de Vendée dans l’ensemble de l’histoire de la Révolution. D'abord il n'est pas possible de conclure que ces décès correspondent à autant de meurtres. Aussi importantes qu'aient été les hécatombes provoquées par les terroristes à Nantes et à Angers, aussi fréquents qu'aient été les massacres perpètrés par les colonnes infernales, les unes et les autres ne peuvent pas être tenus pour responsables de la disparition d'autant d'individus. A coté des crimes qui furent commis à ces occasions, en plus des morts causées directement et indirectement par les combats, une surmortalité a été provoquée par la destruction de l’économie régionale et il y a eu, tout simplement, si l'on ose dire, une crise démographique habituelle aux populations rurales de l'Ancien Régime, sensibles aux épidémies, aux famines, aux passages des troupes, trois causes ordinaires de la mortalité que la guerre civile fait coexister avec brutalité dès 1793. Les enfants de la marquise de La Rochejaquelein, ceux de Mme de Bonchamps, pour prendre ces exemples célèbres, meurent d'épuisement et de maladie, au cours de leurs pérégrinations. Même si c'est bien l’occasion de la guerre qui entraîne ces innombrables disparitions, elles ne sont pas toutes à porter au débit de la Révolution ni à celui des terroristes, complaisamment accusés par toute une historiographie.
Ensuite, pour aussi cynique que cela puisse paraître, il convient d'apprécier le bilan démographique sur la longue durée. La saignée qui est provoquée dans l’Ouest est importante, elle n’est pas irrémédiable. La population ne disparaît pas dans les tourments, elle n'est même pas dispersée au point de perdre son unité, son identité ou ses cadres sociaux. On a vu que, bien au contraire, des 1796-1797, la société régionale trouve un équilibre et un dynamisme, autant sociaux que démographiques, qui en assurent la continuité et l’avenir. La Vendée n'a pas connu le sort de l'Arménie de 1915 ni du Cambodge de 1975. Elle a pu résister seule à la pression militaire qui pesait sur elle et elle est sortie renforcée de l’épreuve. Le préfet Dupin avait relevé que les pertes démographiques subies par les Deux-Sèvres correspondaient au gain que le département avait enregistré pendant tout le cours du XVIII° siècle. Aussi effrayant que cela puisse paraître d'un point de vue humanitaire, en terme de comptabilité il y a eu en quelque sorte disparition des intérêts sans que le capital soit écorné. Les chiffres l'attestent, la région est repeuplée, dans les années 1820-1830, à l'identique de ce qu'elle était en 1790. Même si des villages ont perdu la moitié de leurs habitants en ces trois années de guerre, il n'y a pas eu de « génocide » à l'échelle de la région.
Le terme de génocide ne convient pas pour ces raisons, ni parce qu'il n'y a pas eu volonté de détruire une population déterminée. La destruction de la Vendée, telle qu'elle a été demandée par les révolutionnaires parisiens, exécutée par les terroristes et les soldats des colonnes incendiaires, ne peut pas être assimilée aux aberrations totalitaires qui ont fleuri depuis, même si des analogies peuvent être tentées. Le passage des troupes, l’occupation d'une région avec la mise à sac du pays et les violences contre les habitants n'appartiennent pas exclusivement aux pratiques totalitaires ; elles sont usuelles bien avant la Révolution. Des exécutions militaires ont été régulièrement requises par la monarchie de l’Ancien Régime contre tous les mouvements séditieux, contre tous « les crimes d'Etat » commis par le « peuple grossier et brutal » incapable de comprendre autre chose que « le châtiment et la punition ». Des populations ont été ainsi livrées à la soldatesque à de nombreuses reprises. En Vendée les volontaires se sont conduits de la pire façon des le début des oppositions paysannes ; la répression du soulèvement de Bressuire, en août 1792, en est le meilleur exemple. Les procédés habituels, mis en oeuvre par les détenteurs des pouvoirs politiques et militaires surs de leur bon droit sur des paysans incultes, ont eu cours après 1789 comme ils avaient cours auparavant.
Restent les imprécations de Barère, de Carrier contre la Vendée et les vendéens qui ressortissent à une autre logique. La région est bien vouée a la destruction, les habitants doivent être dispersés (car l’objectif initial est d'évacuer les « bons » habitants pour isoler les réfractaires a la loi républicaine qu'il sera nécessaire de faire disparaître). Les critères retenus pour l’anéantissement ne sont pas déterminés sur des bases ethniques ou géographiques (ce que suppose la définition même du terme génocide) ; ces objectifs relèvent complètement du domaine politique et appartiennent plus précisément à ses registres symboliques. La lutte n'est pas menée contre des individus qui en groupe sont des obstacles à la prise du pouvoir. Elle est conduite contre les incarnations d'idées abstraites, contre les représentants protéiformes de la Contre-Révolution (aux vendéens, seront assimilés les républicains modérés de la région, les généraux suspects...). Elle voue à l'anéantissement physique tous les opposants à la marche de la Révolution, quels qu'ils puissent être. Dans cette dérive politique, que d'aucuns utilisèrent abusivement à leur profit, il n’est pas nécessaire de rechercher particulièrement des responsabilités jacobines ; la tentation d'assimiler les ennemis abstraits d'un régime à un regroupement d'individus désignés comme bouc émissaire s'est couramment pratiquée tout au long de l'histoire du monde. Il ne faut donc pas prendre les gesticulations révolutionnaires pour ce qu'elles ne furent point. Elles sont restées le caractère de petits groupes, elles n’ont pas eu de valeur opératoire effective : Barère comme Carrier ou Turreau furent bien incapables de définir ce qu'était un vendéen, sauf à dire qu'il s'agissait d'un opposant à la Révolution, mais sans donner des définitions identiques de la Révolution et des objectifs révolutionnaires. Si bien que d'autres révolutionnaires dénoncèrent l'imprécision des termes et réussirent à enrayer rapidement le libre cours laissé à la violence militaire en brisant la logique destructrice et en prenant le pouvoir en lieu et place des terroristes. Il est certain que la Vendée doit sa naissance, en tant que région marquée par la guerre menée par la Révolution, à la visée politique que les révolutionnaires ont eue des événements de mars 1793. Il n’est pas possible pour autant d'assimiler à un génocide causé par la Révolution - c'est-à-dire au massacre délibéré d'une population désignée dans le cours même de la Révolution - ce qui ne fut que l’outrance passagère d'un petit groupe d'hommes, greffée sur une vision manichéenne de la vie politique.
Chacun reste libre de penser ce qu'il veut de l’idéologie jacobine. Il est cependant fallacieux d'assimiler l’épisode terroriste en Vendée à l’ensemble de la Révolution, car, en comprenant encore la Révolution comme un bloc, on reproduit les mécanismes de blocage qui ont interdit de prendre conscience du désastre et qui ont provoqué une conspiration du silence facile à dénoncer. L'assimilation des disparitions à des massacres, de ceux-ci à une politique systématiquement menée par l’ensemble des révolutionnaires est une imposture ; comme l’est l’oubli (quand ce n’est pas le refus) des conséquences démographiques qui a été trop fréquent dans toute une historiographie, qui, en sens inverse, défend une révolution abusivement comprise dans une unité qu'elle n'a jamais eue. La prise de conscience du désastre, commencée en 1795, n’est pas encore achevée. »
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