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L'ambiance ne suffit pas à expliquer le ton d'imprécateur
"Ambiance" était un doux euphémisme sous ma plume. Je ne sais pas ce qu'il vous faut de plus : des gouvernements étrangers finançaient à la fois les royalistes en Vendée et les Ultras à Paris, comme je l'ai montré plus haut, dans le but de prendre les républicains de gouvernement en étau. Lorsque Robespierre dit, de mémoire : "les bonnets rouges (pour désigner les enragés) sont parfois plus proches des talons rouges (aristocrates) que l'on ne le croit", je comprends que cela paraisse délirant hors contexte, mais dès lors que l'on a connaissance des intrigues qui se déroulent à Paris, cette "paranoïa" apparaît au contraire assez proche des réalités.
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"tout s'est ligué contre moi", (pas contre nous); "
De fait, les adversaires de Robespierre n'ont pas lancé leurs attaques contre l'ensemble des robespierristes, mais contre leur chef. Saint-Just et Couthon sont surtout accusés d'être les âmes damnées de l'Incorruptible. Dans la séance de Thermidor, Cambon s'exclame : "Il est temps de dire la vérité tout entière:
un seul homme paralyse la Convention ; cet homme c'est Robespierre". Augustin Robespierre et Lebas ne sont pas condamnés d'emblée au 9 Thermidor, ce sont eux qui demandent le décret d'accusation à leur encontre (de mémoire "Je partage les vertus de mon frère, je veux partager son sort"). Bref, il y a une évidente personnalisation du groupe robespierristes, aussi bien chez ses partisans que ses adversaires.
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Il y a quelque chose qui est inquiétant chez Robespierre, sans compter sa conception de la justice qu'on trouve dans " La loi pénale doit avoir quelque chose de vague parce que le caractère actuel des conspirations étant la conspiration et l'hypocrisie .."
Ceci est contraire à tous les principes du droit et permet d'accuser n'importe qui de n'importe quoi en inventant au besoin des incriminations sur mesure.
Je vous renvoie à ce que j'ai écrit dans mes précédents posts. Il est clair que Robespierre est l'un des responsables de la mise en place des moyens de la Terreur par la suppression des droits accusés : cette Terreur devait être selon lui "vertueuse", c'est à dire dirigée uniquement contre les trâitres avérés, grâce à la présence de jurés choisis pour leur probité. Mais la Terreur qui eut lieu n'eut rien à voir avec cela, ce fut une boucherie d'innocents.
Pour essayer d'avancer dans l'établissement des responsabilités des différents acteurs, je propose ce cheminement :
Première étape : attendu que le comité de salut public, le comité de sûreté générale, les envoyés en mission et la Convention étaient, il me semble, les seuls habilités à déférer des suspects au tribunal, il faudrait voir quelle est la part qui revient à chacun.
-Concernant les envoyés en mission, les responsabilités n'incombent certainement pas aux robespierristes : au contraire, Couthon a élargi à Lyon beaucoup de suspects arrêtés par Fouché et Collot, et Robespierre a fait rappeler la plupart des envoyés "terroristes" (Carrier, Tallien...) pour mettre fin à leurs agissements. (cf la lettre à Augustin Robespierre mentionné par Napoléon dans le Mémorial)
-Concernant la Convention, ce n'est pas elle qui a prononcé la grande partie des arrestations, elle se limitait à mon avis aux grandes figures (Danton, Robespierre...)
-Le Comité de Sûreté générale est, selon Mathiez et Jean-Clément Martin, le principal auteur des accusations. Or il était truffé d'anti-robespierriste. Vadier notamment détestait l'Incorruptible pour son déisme, et, selon certains documents que j'ai cités plus haut, il se réunissait régulièrement avec Vouland, Barère et d'autres compagnons pour dresser des listes de condamnés.
Ce groupe serait donc le principal responsable de la Terreur.-Reste les arrestations (je ne sais pas si le terme est le bon) signés par les membres du comité de Salut Public. Je sais que seul un quota de signatures (3 membres sur 12 il me semble), était nécessaire pour signer un décret. Il faudrait donc voir le nombre de décrets d'accusation rédigés, et les signatures qui reviennent le plus souvent. Malheureusement je n'ai pas l'oeuvre de Mathiez sous les yeux, mais il me semble qu'il avait effectué un travail de dépouillement et de décompte. De mémoire, il disait que contrairement aux idées reçus, Robespierre avait signé bien moins de décret d'accusation que d'autres, notamment... Carnot, dont on a voulu plus tard faire l'"organisateur de la victoire" pur de toute implication dans la Terreur de 1794.
Deuxième étape : Il faut voir qui nomme les membres du tribunal révolutionnaire, notamment les fameux jurés, ceux qui sont sensés corriger, dans l'esprit de Robespierre, les abus de Vadier et cie.
Selon la fiche Wikipedia sur le tribunal révolutionnaire, voici sa composition après les lois de Prairial.
Président : Dumas. (robespierriste)
Vice-présidents : Coffinhal (robespierriste), Scellier, Naulin.
Accusateur public : Fouquier-Tinville. (anti-robespierriste)
Substituts : Grebauval, Royer, Liendon, Givois, agent national du district de Cusset, Bravet, Barbier (de Lorient), Harny, Garnier-Launay, Paillet, Laporte, Félix, Loyer.
Jurés : Renaudin, Benoitrais, Fauvetti, Lumière, Feneaux, Gauthier, Meyère, Châtelet, Petit-Tressin, Trichard, François Topino-Lebrun, Jean-Baptiste Sambat, Pijot, Girard, Presselin, Didier, Vilatte, Dix-Août, Laporte, Ganney, Brochet, Aubry, Gemont, Prieur, Duplay (robespierriste), Devèze, Desboisseaux, Nicolas, Gravier, Billon, Trois jurés actuels : Subleyras, Laveyron, l’aîné, Fillon, Potherel, Masson, Marhel, Laurent, Moulin, Dépréau, Émery, Lafontaine, Blachet, Debeaux, Gouillard, Dereys, Duquenel, Hannoyer, Butins, Pecht, Muguin.
Je n'ai pas les connaissances pour juger des allégeances de tous ces personnages. Savoir qui contrôlait réellement le Tribunal serait une des clefs pour mieux fixer les responsabilités.
Je devance certaines critiques : il y a bien une opposition très nette robespierriste / anti-robespierriste, au moins dans les mois qui précèdent Thermidor : or c'est précisément cette période qui correspond à la Grande Terreur.